Entrepreneuriat féminin : des feuilles fraîches surgelées, une trouvaille qui fait recette

Dorcas Ba/Nadembèga et Wenyame Léonie Kaboré sont de jeunes entrepreneuses burkinabè qui ont osé se lancer sur un terrain où le combat semblait perdu d’avance. Si l’une est douée dans la congélation des feuilles fraîches précuites, l’autre est une spécialiste de la transformation des épices en bouillons culinaires. Femmes battantes avec la fibre entrepreneuriale à fleur de peau, elles ont libéré leur génie créateur pour devenir aujourd’hui une référence en matière de transformation des produits locaux au Burkina Faso.

sauces à base de feuilles peuvent se réjouir car, il est désormais possible pour eux d’en consommer autant de fois et à tout moment de l’année. Il leur suffit d’utiliser des feuilles fraîches précuites et surgelées, une innovation de Dorcas Ba/ Nadembèga, ingénieure en génie biomédical. Ce sont, entre autres, des feuilles d’oseille, d’aubergine locale, de patate douce, d’amarante, de manioc, d’épinard…, précuites, empaquetées et prêtes pour utilisation. «Elles sont naturelles, soigneusement triées, découpées, cuites, emballées et congelées, sans additif ou conservant», assure la promotrice. Ces feuilles s’ajoutent à la sauce après le mélange des ingrédients. On les trouve à Ouagadougou, dans des supermarchés et au siège de l’entreprise «Feuilles fraîches et clean», sise à Kamboinsin. Le paquet de 500 g de chaque espèce de feuilles coûte 750 F CFA.

Dorcas Ba/Nadembèga : « les feuilles surgelées nous permettent de gagner en temps ».

En s’investissant dans cette activité, l’innovatrice a pour objectifs de faciliter l’accès à toutes sortes de feuilles consommables pendant toute l’année, de permettre l’autonomisation des femmes, l’augmentation du chiffre d’affaires des maraichers et la préservation de la santé des populations. A entendre Mme Nadembèga, l’idée a germé en 2019 quand les marchés ont été fermés à cause de la crise de la COVID-19. « L’approvisionnement en produits était difficile. Etant consommatrice de feuilles fraîches et ayant perdu mon emploi, j’ai eu l’idée de les prendre avec des vendeuses qui n’arrivaient plus à les écouler. Je les arrangeais pour les proposer aux consommateurs », confie-t-elle. En cas de mévente, le problème de conservation se posait. C’est ce qui l’a poussée à faire des recherches et à s’autoformer dans le domaine de la surgélation. Les premiers essais ont été très concluants, se souvient-elle. En 2021, elle se présente au concours « Pépites d’entreprises » organisé par la télévision bf1. Elle décroche le premier prix, « Pépite d’or ». La moisson est bonne : 15 millions F CFA composés de 10 millions F CFA cash et 5 en bon de communication. Une manne financière qui lui permet de booster son entreprise.

Férue d’innovation

L’idée séduit également d’autres partenaires dont le Fonds burkinabè du développement économique et social (FBDES) qui lui apporte un appui financier. «Avec cet appui, nous avons installé une chambre froide d’une capacité de 9 tonnes. Nous nous sommes également ravitaillés en découpeuses, autocuiseurs…», se réjouit-elle. Elle dit avoir pour ambition, à terme, l’obtention d’équipements nécessaires pour sortir un produit fini et répondant aux normes internationales. Avec 9 permanents, cette jeune entreprise prospère et arrive à faire une recette mensuelle d’environ trois millions F CFA. Elle s’impose sur le marché local et en Côte d’Ivoire où elle a créé une vitrine de vente de produits burkinabè. Férue d’innovation, «Feuilles fraîches et clean» propose aujourd’hui une gamme variée de nouveaux produits dont la pâte de «gonré » (en langue mooré), faite à base de haricot local, le haricot vert précuit, la macédoine, la pomme de terre, les choux- fleurs… Bien que les affaires soient florissantes pour l’entreprise, celle-ci se heurte à des difficultés d’approvisionnement. «Les producteurs ou les fournisseurs ne sont pas réguliers dans les livraisons; ils nous font souvent de faux bonds en ne respectant pas le planning», se plaint la fondatrice.

Des bouillons à la saveur de bœuf.

Une autre difficulté à laquelle elle doit faire face est liée à l’engagement des commerciaux. Elle se justifie : « nous avons besoin de commerciaux bien engagés, dynamiques qui puissent toucher les quatre coins de Ouagadougou. Un excellent plan marketing pour faire croître la demande». Le sort des Personnes déplacées internes (PDI), victimes de l’insécurité, préoccupe Dorcas Ba/Nadembèga. «L’entreprise est mise, présentement, sous volet social. Cela veut dire que sur tout achat d’un paquet de feuilles, 20% sont réservés au projet social d’appui technique aux élèves PDI. C’est notre façon de leur venir en aide », affirme l’entrepreneure. Après les feuilles et légumes, la structure a l’intention de produire des fruits surgelés et espère pouvoir les imposer partout en Afrique. A cet effet, la promotrice invite à la consommation de leurs produits en toute confiance. Elle assure, à cet effet, que tout est empaqueté dans de bonnes conditions, avec à la clé l’hygiène et la qualité. Elle offre la possibilité à ceux qui le désirent d’opter pour un système d’abonnement qui permet de recevoir régulièrement les surgelés.

Les bouillons de Bio cube

Une autre jeune entrepreneuse qui se distingue dans la transformation des produits locaux est Wenyame Léonie Kaboré. Auditrice comptable à la base, elle se dit passionnée de cuisine saine et d’épices. Elle est la fondatrice de l’entreprise Bio cube, prospérant dans la fabrication des épices naturelles. C’est en décembre 2018, après des formations en transformation agroalimentaire, notamment sur les épices sèches et purée et une formation en ligne à partir de la Côte d’Ivoire, qu’elle se lance dans cette activité. Par la suite, elle suit un cours de perfectionnement en ligne à partir du Maroc. Mme Kaboré se donne comme défi, la transformation des épices et des légumes en d’autres saveurs. Ce sont par exemple le soumbala, le gingembre, l’oignon, l’ail, le persil, le céleri, le poivre… Pour elle, la nécessité de consommer des produits naturels ne souffre d’aucun doute de nos jours. C’est pourquoi, son entreprise propose deux sortes de produits : des bouillons culinaires en poudre et en purée. «Nous faisons les bouillons en poudre à base de soumbala ou non à la saveur poulet, bœuf, poisson, crevette. Nous vendons la purée d’ail aux fines herbes, purée de gingembre, d’oignon, de piment à la moutarde, de gingembre pur … Sans oublier la P’tite touche qui est un mélange d’épices, de légumes et d’herbes aromatiques », dit-elle. 2 000 F CFA, c’est le prix de 150g de pot de bouillon en poudre et de 300 g de pot de purée. Ces inventions viennent en réponse aux préoccupations des consommateurs qui réclament de plus en plus ce qui est naturel.

La persévérance

La fondatrice de Bio cube, Wenyame Léonie Kaboré : « de nos jours, la nécessité de consommer des produits naturels ne souffre d’aucun doute ».

Au démarrage, Bio cube a bénéficié d’un appui financier de 2 millions F CFA d’un projet qui soutient l’entrepreneuriat féminin. En 2021, elle est 2e finaliste de « Pépites d’entreprises » de bf1 avec à la clé un financement de 7,5 millions F CFA. Ce qui a permis d’acquérir du matériel pour renforcer sa capacité de production. Bio cube est présent à Ouagadougou dans une quinzaine de points de vente, à Bobo-Dioulasso, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. A en croire la patronne, les produits sont prisés et gagnent de la place sur le marché local et international. «Les gens ont compris le besoin de consommer des produits naturels, sains», dit-elle. Avec six employés permanents en charge, elle estime sa recette mensuelle à environ 2 500 000 F CFA. Que de chemin parcouru pour atteindre ce niveau. «J’ai commencé avec tout au plus 25 000 F CFA qui m’ont permis de payer un petit appareil pour écraser les graines et quelques kg d’épices.

C’était difficile d’obtenir 2kg d’épices écrasées car, plus l’appareil se chauffait, plus il s’arrêtait ou se grillait», relate-t-elle. N’en pouvant plus, elle a négocié avec un propriétaire de moulin qui, à chaque sollicitude, se montrait agacé par son insistance de laver son outil. C’est plus tard, qu’elle s’achètera son propre moulin. En dépit de la concurrence des autres bouillons sur le marché, la propriétaire de Bio cube reste sereine. Toutefois, elle reconnait que beaucoup de travail reste à faire pour amener plus de consommateurs à adhérer à leur cause. Pour le moment, les difficultés se résument à l’insuffisance de financement et l’acquisition des emballages qui sont importés de la Chine. Comme projet, Mme Kaboré envisage conditionner ses épices en sticks pour usage unique. Augmenter le nombre de points de vente et de commerciaux fait également partie de ses futurs plans. La promotrice de Bio cube remercie tous ceux qui consomment déjà leurs produits. « Grâce à eux, nous existons, nous grandissons. Nous les invitons à consommer davantage. A ceux qui hésitent, nous disons de franchir le pas car, nos produits sont sains. Ils apportent un bon goût aux repas tout en préservant la santé », déclare-t-elle.

Habibata WARA

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