Epouses d’immigrés à Béguédo: Les victimes silencieuses de la COVID-19

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La pandémie de la Covid-19 qui ébranle le monde depuis plus d’une année n’épargne personne. Les épouses de migrants burkinabè de la commune rurale de Béguédo, située dans la région du Centre-est, qui vivent en Italie, subissent de plein fouet les effets pervers de la maladie. Privées désormais du soutien financier de leurs époux, elles sont devenues, contre leur gré des victimes collatérales du coronavirus avec en toile de fond un quotidien rythmé par le manque, la solitude, la détresse et le désespoir.

Mère de deux enfants (une fillette et un garçonnet), Néma Bancé, une jeune femme de 29 ans, réside dans la commune rurale de Béguédo, située dans la région du Centre-Est, à 145 Kilomètres (km) de Ouagadougou. Béguédo est réputée avoir un nombre important de ressortissants qui ont migré en Italie. Ces derniers ont transformé cette modeste bourgade en une ville moderne grâce aux investissements immobiliers. L’époux de Néma Bancé fait partie de ces immigrés qui ont choisi l’Italie pour faire fortune. Il y réside depuis 2005. Son épouse, restée au pays, en plus de vivre dans une solitude, dont elle a du mal à supporter le poids, subit désormais les conséquences collatérales de la pandémie de la COVID-19. Depuis que la maladie s’est propagée dans le monde entier avec son corollaire de confinements et de paralysie de l’économie, son époux s’est retrouvé au chômage en Italie comme la plupart de ses compatriotes immigrés. Le soutien financier qu’elle recevait régulièrement de son époux, pour prendre soin de la maisonnée, s’est ainsi réduit, au fil des mois, comme une peau de chagrin. Au bord du dénuement, la famille vit au jour le jour en attendant un hypothétique retour à la normale. Elancée, un voile couvre pudiquement en permanence sa tête. Son visage émacié, le sourire qu’elle arbore est un paravent pour masquer les jours difficiles que vit quotidiennement la famille. S’activant autour d’une grosse marmite posée au milieu de la concession, Néma joue l’arbitre entre ses deux enfants qui se chamaillent. C’est dans cette ambiance un tantinet particulier qu’elle nous reçoit. Le regard porté furtivement, par moment, sur sa grosse marmite bouillonnante, elle se prête néanmoins volontiers à nos questions avec un large sourire. C’est mon gagne-pain, confie-t-elle, nous montrant du doigt le récipient sur le feu. En effet, depuis quelques années, elle a abandonné la vente de gâteaux pour se consacrer à celle du babenda, un plat local fait essentiellement à base de feuilles, d’arachide et de céréales. C’est grâce à ce petit commerce, qu’elle arrive à subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants. A l’évocation de la COVID-19, la tristesse envahit son visage. Elle écrase discrètement les larmes qui s’échappent de ses yeux. Elle a de la peine à admettre que cette pandémie assombrirait son horizon. « Depuis la survenue de la maladie, mon mari a perdu son emploi en Italie, il est confiné à la maison. Il ne m’envoie plus d’argent comme il le faisait régulièrement », affirme-t-elle, le regard baissé. Cela fait plus d’une année qu’elle est privée d’un appui conséquent qui lui permettrait de vivre aisément.

Un séjour prolongé

L’absence prolongée de son époux, associée au manque d’argent, la plonge dans des moments d’incertitudes. Elle, naguère brillante élève en classe de 5e, est saisie de remords pour avoir écourté son cursus scolaire pour un mariage qu’elle considérait comme synonyme de bonheur. Elle est d’autant plus bouleversée, que ses enfants réclament leur père. Lors de leurs rares échanges téléphoniques, les enfants demandent, raconte-t-elle, à leur père de revenir au bercail. « Ma première fille Zoulfao a dix ans, elle fait la classe de CE2. Mon deuxième, Fatao, a sept an et fait le CP1. Les enfants réclament leur papa chaque fois qu’il appelle. Ils lui disent de venir. Tout cela me fend le cœur, mais je suis tenue de m’accrocher en espérant que le meilleur viendra », se console Néma Bancé, interrompant l’entretien pour aller voir sa marmite fumante au feu. Aujourd’hui, elle n’a qu’un seul souhait : que la pandémie puisse être jugulée et que son époux retrouve son emploi afin de permettre à la famille de vivre décemment. « Ma prière quotidienne est qu’il puisse reprendre au plus vite le boulot et économiser un peu d’argent pour venir nous voir. Il me manque énormément. La dernière fois qu’il était au pays, c’était en 2018. Il avait fait six mois avant de repartir », relate-t-elle, avec un trémolo dans la voix. Au cours de cette visite en 2018, elle espérait tomber enceinte, mais hélas ! Toutefois, elle entretient le secret espoir d’avoir un enfant ou deux au plus.

A l’instar de Néma Bancé, l’époux de Alima Bara vit en Italie depuis 2005. Les deux dames vivent dans la même cour familiale avec les beaux-parents. Une complicité visible unit les deux dames. Mère de quatre enfants (deux filles et deux garçons), Alima Bara déclare sans ambages, que la COVID-19 est un drame dans leurs vies. Son époux est rentré au pays en décembre 2019 quelques jours avant que la maladie ne se déclare. Venu pour trois mois, il sera contraint d’attendre tout un semestre avant de regagner l’Italie. Au cours de ce séjour prolongé, elle tombe enceinte et donne naissance à son quatrième enfant, une fillette potelée qu’elle tient fièrement entre ses mains. « La COVID-19 a tout bouleversé dans nos vies. Entre 2016 et 2019, la situation financière de mon mari était reluisante. Je ressentais un changement visible dans mon quotidien. Mais depuis 2020, avec la survenue de la pandémie, je ne reçois plus rien de lui puisqu’il est confiné et ne va plus au travail », précise Alima Bara, avec une once de dignité dans le regard. Comme sa complice Néma, elle s’investit avec sérieux dans la vente de charbon de bois et le commerce de jus de bissap et autres pour avoir l’argent nécessaire à son quotidien. Son époux lui envoie de l’argent à des intervalles très irréguliers.  Mais c’est très dérisoire, admet-elle, pour faire face aux charges inhérentes aux frais de scolarité des enfants, leur nourriture et leur habillement.

« La COVID-19, un désastre »

Pour Alima Bara, la COVID-19 est un désastre, parce qu’elle s’est fait sentir dans les coins les plus reculés de la planète. « Au début, nous en avons eu vraiment peur, mais nous ne savions pas qu’elle allait s’imposer aussi radicalement dans nos petites vies. Notre souffrance est double, d’autant plus que nos époux sont exposés à la maladie. L’Italie a été sérieusement touchée par la COVID-19 », détaille la jeune dame, qui prend régulièrement les nouvelles de son époux par le réseau social WhatsApp.

Mère de quatre enfants, Awa Bara, vend des friandises et des biscuits dans une école primaire en plein centre-ville de Béguédo.  La cour est bruyante à cette heure précise de la journée où une pause s’observe. Les élèves, par petits groupes, s’adonnent à des jeux sous les arbres en attendant la reprise des cours pour l’après-midi. Le mari de Awa est en Italie depuis quatre ans après avoir séjourné plusieurs années au Gabon. Depuis que la maladie a commencé, laisse-t-elle entendre, au milieu du vacarme des élèves, son mari l’a informé qu’il ne travaille plus et qu’il ne sera pas à mesure de lui faire parvenir de l’argent. Depuis lors, son petit commerce est devenu son unique source de revenu pour faire face aux dépenses quotidiennes. « Mon premier fils a eu le Bac en 2020, je dois le soutenir dans ses études. La COVID-19 a tout chamboulé. Je m’accroche difficilement », susurre-t-elle.  Saisissant l’occasion, elle se fait le porte-parole de ses sœurs d’infortune qui se comptent par milliers dans la ville. Il faut que l’on songe à leur venir en aide en leur offrant la possibilité de mener des activités génératrices de revenus face à la détresse causée par la pandémie, plaide-t-elle. L’Etat burkinabè a pris des mesures sociales, souligne-t-elle, au temps fort de la pandémie pour soulager les populations. Il serait aussi intéressant qu’un élan de solidarité, estime-t-elle, se fasse à l’endroit des épouses d’immigrés à Béguédo qui vivaient grâce à l’argent envoyé depuis l’étranger. « Nous sommes des victimes dont on ne parle pas. Tout le monde sait que notre quotidien dépend en grande partie de l’argent que nous recevons de l’étranger. Mais la COVID-19 a fait perdre à nos époux leurs boulots. Avec quoi vont-ils nous soutenir s’ils sont au chômage ? », s’interroge la brave dame, l’œil rivé sur son étal. Avant la crise sanitaire, se souvient-elle, son époux qui est employé dans une usine, lui envoyait de l’argent en fonction de ses besoins. Mais depuis plus d’un an, cela est révolu. « Heureusement que la belle-famille me vient en aide quand je suis face à certaines difficultés. Mais je me réjouis que mon époux soit en bonne santé, parce qu’on a eu trop peur de la maladie au début », dit-elle, avec un brin d’optimisme.

Un sevrage financier

L’achalandage squelettique de la boutique de Mariam Bara est le symbole éloquent, que la crise sanitaire affecte son activité commerciale. Epouse d’immigré qui réside en Italie depuis une vingtaine d’années, ce dernier, se trouvant au chômage à cause de la pandémie, ne parvient plus à lui envoyer de l’argent. Du coup, dame Bara est obligée de compter sur ses maigres ressources pour joindre les deux bouts. Affectée depuis quelques temps par un pernicieux mal à la hanche, elle se rend régulièrement en consultation dans l’espoir de recouvrer la santé. La COVID-19, soutient-elle, est une catastrophe qui a brisé ses rêves et sa quiétude. Mère d’une fille qui s’est mariée, Mariam Bara s’est habituée à la longue absence de son mari et se consacre à plein temps à la gestion de sa boutique. Mais elle vit très mal le « sevrage » de l’appui financier, de son époux, dû à la COVID-19.

Dans la grisaille des jours qui se succèdent sous le sceau du manque et de la solitude, la plupart des épouses d’immigrés ont renoncé au rêve ardent de rejoindre leurs époux en Italie. L’usure du temps et les longues attentes ont eu raison de cet espoir. Désormais résilientes et informées des conditions de vie de leurs époux à l’étranger, elles préfèrent prendre leur mal en patience et attendre dans les belles maisons qu’ils leur ont bâties à Béguédo.  Néma Bancé et Alima Bara abordent avec lucidité et sérénité cette situation. Avec une teinte d’humour, Alima parle de ce rêve abandonné. « Comment une femme pourrait cohabiter au milieu de plusieurs hommes ? Ce serait quand même gênant. J’ai renoncé à rejoindre mon époux en Italie. Je tenais vraiment à y aller, mais je trouve que les conditions d’hébergement ne sont pas assez commodes », se justifie-t-elle, sourire aux lèvres. Rongées par une solitude lancinante et désormais privées de l’argent qui venait régulièrement de l’Italie, Néma Bancé, Alima Bara et les autres épouses d’immigrés de Béguédo n’ont qu’un seul souhait : que la crise sanitaire connaisse son épilogue et que leurs hommes reviennent au pays retrouver leurs familles.

Karim BADOLO

karimbadolo96@gmail.com


Issa Bara, immigré de retour de l’Italie

« La COVID-19 a ébranlé la foi de certains Italiens »

Issa Bara dit « Banagané » est un ressortissant de Béguédo qui vient de rentrer définitivement de l’Italie après y avoir séjourné une trentaine d’années. Il a vécu de plus près la crise sanitaire inhérente à la COVID-19. Ancien employé d’usine dans la ville italienne de Brescia, il se considère comme un « chanceux » parce que 2020 marquait l’année de sa retraite. Ce qui lui a permis d’éviter le piège du chômage contrairement à bon nombre de ses compatriotes. A l’évocation de la maladie, Issa Bara confie avoir été horrifié par les vies emportées dans son pays d’accueil en 2020. « La COVID-19 a été une période très difficile en Italie. Beaucoup d’Italiens ont été emportés par la maladie. Mais de ce que j’ai pu observer, les Africains vivant dans ce pays étaient relativement épargnés par la maladie. Les Italiens s’interrogeaient sur le fait que les Noirs ne mouraient pas de la maladie. Nous avons eu beaucoup de chance d’avoir été épargnés », raconte-t-il. Aux premières heures de la pandémie, précise-t-il, les hôpitaux refusaient du monde et les malades étaient majoritairement des Italiens. Tout était bloqué, car tous étaient confinés. « Aucune visite à nos proches n’était autorisée. Même quand certains se rendaient au travail, tout était restreint. Quand tu faisais la fièvre ou souffrait de maux de tête, ton entourage et toi étaient considérés comme des cas suspects de COVID-19. Vous étiez automatiquement mis en quarantaine », affirme le sexagénaire qui se sent heureux d’avoir regagné son Burkina natal. A l’entendre, le nombre de décès liés à la COVID-19 a ébranlé la foi de certains Italiens. « Des amis Italiens me demandaient si nous, les Noirs, croyions en un deuxième Dieu caché. Ils ne comprenaient pas pourquoi les Noirs étaient à l’abri de la maladie », révèle-t-il. Sur le plan économique, la COVID-19 a été une calamité pour tout le monde puisque le confinement a littéralement figé tout. Les employés percevaient juste entre 500 et 600 euros pour faire face aux charges d’électricité et autres factures. « Nous ne pouvions plus envoyer quelque chose aux familles restées au pays. Même jusqu’à présent, la situation est encore très difficile pour les immigrés puisque tout tourne au ralenti », confie l’ancien employé d’usine. Toutefois, Issa Bara se réjouit d’avoir migré en Italie et de pouvoir travailler jusqu’à la retraite. « Je suis très reconnaissant envers un de nos aînés, Moustapha Bara, celui-là qui nous a aidés à regagner l’Italie. Ce sont nos doyens qui nous ont ouvert la voie. C’est en partie grâce à eux que le visage de notre commune Béguédo a changé. Ils ont fait preuve de solidarité et de générosité à l’endroit de leurs frères », souligne M. Bara. Père de sept enfants (six garçons et une fille), Issa Bara soutient qu’il doit beaucoup à son pays d’accueil qui lui a permis de bâtir sa vie. « J’ai eu la nationalité italienne, trois de mes fils y travaillent. Ce pays m’a permis d’investir chez moi au Burkina Faso », reconnait le sexagénaire.

KB.

 

 

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