Etre Sankara, sans valoir un carat… ?

Quand je les entends crier et chanter le nom de Thomas Sankara, je perds mes moyens ; mes bras m’en tombent et mes larmes me brûlent. Quand je vois toutes ces gesticulations « théâtrales », ces mises en scènes politico-politiciennes et tout le bataclan, j’ai honte de l’intégrité en papier. Il y en a qui pensent que c’est en portant un T-shirt à l’effigie de Sankara qu’ils s’identifieront à l’icône.

Il y a ceux qui restent convaincus à tort que c’est en citant une phrase « virile » de l’illustre révolutionnaire dans leur discours qu’ils seront crus et suivis. Le Burkinabè a beaucoup changé ; il a tellement changé qu’il n’a plus les premiers bons réflexes du citoyen et patriote d’antan. L’amour de la patrie est devenu un vieux souvenir qui se mime avec maladresse. Aujourd’hui, celui qui crie son amour pour la patrie, c’est celui-là même qui abuse de la patrie au détriment de la fratrie : détourneur impénitent de deniers publics ; commis bandit aux cols blancs, dealers de destins et fossoyeurs du patrimoine commun ; vendeur d’illusions et menteur invétéré sans vergogne ; citoyen paresseux à faible vision et aux rêves éphémères, sans ambition ; opportuniste nombriliste aux positions unijambistes, selon ses intérêts…

Non, ce ne sont pas des attaques mais une réaction « épidermique » à l’arnaque ! Du reste, que celui qui se sent morveux se mouche avec éclat et nous éclabousse ! On ne scande pas le nom de Sankara pour ensuite prendre des dessous de table dans le prochain marché public ; on ne prône pas les idées de Sankara en convoitant des idéaux qui ne valent pas un carat. Mon pays ressemble de plus en plus à la caverne d’Ali Baba. Il suffit d’être dans le cercle fermé avec le bon code d’accès pour ouvrir toutes les portes aux trésors. Il suffit de monter pour mieux se servir au lieu de servir ceux qui ont servi d’échelle et continue de tenir l’échelle.

On n’invente pas le futur en bradant le présent ; on ne peut pas se réclamer de Sankara et se complaire dans son petit confort douillet de bourgeois éphémère. Vous avez beau sculpter trait pour trait les statues et monuments les plus géants, les plus fidèles des sosies du père de la Révolution, le profane passera sous son ombre sans s’en apercevoir. Sans avoir le moindre frémissement patriotique. Vous avez beau planter ces statues partout, tant que les Burkinabè y verront plus un chef-d’œuvre sans entrevoir la perfection à convoiter, ce serait vain.

Il y a longtemps que le symbole ne fait plus école chez nous ! Il y a longtemps que le sens du sacrifice a changé de sens. Désormais, c’est chacun pour soi ; chacun se bat pour lui et lui seul ; la réussite est le fruit d’un combat qui se mène entre le menton et le nombril sur un ventre mou bourré de compromissions. L’idéal du citoyen moyen, c’est de parvenir coûte que coûte à la mangeoire et se goinfrer en regardant la populace en plongée. Tant que l’idée révolutionnaire restera un simple slogan de campagne à la tartuffe, nous regarderons d’autres vaillants hommes la mettre en pratique dans leur pays avec un succès digne de miracle.

Pendant ce temps, des Burkinabè nagent en V8 pour rentrer chez eux sans être capable de s’unir pour boucher les nids de poule des routes du quartier. Pendant que sous d’autres cieux le chef de l’Etat balaie la rue et cure les fossés de sa ville avec ses citoyens. Chez nous, certains enjambent des abîmes et des dépotoirs pour rejoindre leur villa cossue. Les Burkinabè ne plient plus l’échine pour creuser des fossés et ramasser les ordures en chantant à l’unisson l’hymne national. Les Burkinabè ne peuvent plus s’organiser pour construire un pont, un dispensaire ou une école avec des briques collectées et apportées par les dignes ménages.

Les Burkinabè n’ont plus le réflexe d’être à l’heure au service, mais sont prompts à tout revendiquer à cor et à cri. Les Burkinabè ne travaillent plus comme dans le champ de leur papa, mais ils sont notés par complaisance à 09/10 chaque année et sont les premiers à maugréer quand leurs dossiers d’avancement trainent au ministère. Etre Burkinabè aujourd’hui, ferait mourir de rire Sankara, pour qui la vraie intégrité ou la vraie indépendance n’est pas écrite sur du papier volatile froissable à volonté.

La vraie indépendance à la poigne d’un bras valide aux muscles utiles ; la vraie indépendance, c’est avoir une intelligentsia au cerveau habile, mais ô combien subtile pour tourner en bourrique le débile néo-impérialiste qui se fourvoie. La vraie indépendance ne se célèbre même pas ; elle se commémore, la tête baissée pour les braves héros morts ; le cœur battant de fougue pour les combats futurs à remporter ! Hélas, dommage !

Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr

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