Faso dan fani : Des tisseuses, entre profits et concurrence déloyale

Marie Kaboré et Esther Convolbo (gauche), toutes tisseuses professionnelles, s’attèlent à la confection des pagnes traditionnels du 8 mars, journée de la femme.

Les pagnes traditionnels « Faso dan fani » connaissent un regain d’intérêt dans les habitudes vestimentaires de bon nombre de Burkinabè voire de clients hors du Burkina Faso. Pour satisfaire la demande, des structures essentiellement dirigées par des femmes s’organisent pour répondre aux attentes de la clientèle. Immersion dans la chaine de production des tisseuses du Faso dan fani.

Il est 10 heures ce mardi 1er février 2022 au quartier Cissin de Ouagadougou, la capitale burkinabè. C’est une ambiance des jours ordinaires avec les bruits de cyclomoteurs et de véhicules. A un jet de pierre du lycée Vénégré, se trouve le siège de l’Association des tisseuses de Kadiogo (ATK). A l’entrée de cet espace de plus de 240 m2, depuis le portail, différents bruits attirent notre attention. A l’intérieur, plusieurs longs fils très épais et de différentes couleurs sont reliés à des machines à tisser.

A côté, un lot de gros sacs blancs contenant des rouleaux de fils trainent au sol avec divers objets éparpillés çà et là. Sous un hangar, deux femmes, la trentaine bien sonnée, assises côte à côte, chacune devant une machine à tisser devisent, rient, tout en travaillant. Ce sont les tisseuses de l’association qui confectionnent des pagnes traditionnels communément appelés Faso dan fani pour la célébration de la Journée internationale de la femme, le 8 mars 2022. Esther Convolbo, 36 ans, mariée et mère de deux enfants est tisseuse depuis 2008.

Dame Convolbo manie avec dextérité une navette de la main gauche vers la main droite le tout en harmonie avec des coups de pédale à l’aide des deux pieds. Grâce à ce métier, elle parvient à faire face, aux côtés de son époux, aux charges familiales. « Cela me permet de contribuer aux dépenses du foyer, comme par exemple payer la scolarité des enfants et la nourriture. L’association me paie 15 000 FCFA par mois.

De plus, j’ai la possibilité d’avoir mes propres commandes. C’est un métier très rentable pour moi et ce d’autant plus que c’est mon unique gagne-pain», confie-t-elle. L’autonomie financière des femmes à travers l’apprentissage ou toutes autres activités génératrices de revenus est, selon Mme Convolbo, très importante.

Un métier féminin

La responsable de vente de l’ATK, Jocelyne Ouédraogo : « lorsque vous portez le pagne Faso Dan Fani, vous mettez en lumière votre identité africaine ».

Malheureusement, certaines femmes ne veulent pas s’y mettre parce qu’elles ignorent toute la fierté que cela procure », dit-elle avec un sourire. Marie Kaboré, la deuxième tisseuse de l’ATK, est du même avis. « Cela fait 25 ans que je pratique ce métier. C’est ma principale source de revenus et j’en suis fière », explique-t-elle.

Chaque jour, dès les premières heures, Mme Kaboré parcourt plus d’une quinzaine de kilomètres, de son domicile situé au quartier Nagrin à la sortie Sud de la capitale pour se rendre à son lieu de travail. Le métier n’ayant plus de secret pour elle, elle soutient être capable de confectionner deux pagnes par jour.

Mais, cela demande une certaine concentration, car il vous faut un bon calcul pour pouvoir placer les fils, souligne-t-elle. « Pour parvenir à avoir ce morceau de pagne de cette couleur, je mets le fil bleu 15 fois, le jaune 3 fois et le mauve 3 fois», précise-t-elle. Afin de profiter pleinement de leur savoir-faire, Esther et Marie lancent un appel aux bonnes volontés pour un accompagnement en matière première.

« Notre gros souci est le manque de fil. Cela fait que nous sommes par moment en chômage technique », regrettent-elles. Tout comme les tisseuses de l’association, Safi Kaboré, 30 ans, célibataire, mère d’une fille est piquée par le virus du métier. Devant la concession familiale à une dizaine de kilomètres du siège de l’ATK, se dresse son atelier. Assise sur une chaise placée devant sa machine à tisser, elle s’attèle à finir son premier pagne du jour.

« C’est cette activité qui me permet de nourrir ma fille et moi. Je tisse les pagnes Faso dan fani depuis cinq ans. C’est un métier qui est beaucoup pratiqué par les femmes », avance-t-elle. Puis de préciser qu’elle a appris le métier de sa mère qui était une tisseuse née. A l’entendre, elle est capable de confectionner un pagne et demi en une journée. Pour avoir ce produit fini, Safi Kaboré commande les fils à plusieurs couleurs sur le marché local.

Méthode de travail

Les tisseuses offrent des modèles de pagnes et de couleurs différentes
à leur clientèle.

A proximité de la famille Kaboré, une experte dans le secteur de la teinture des fils force l’admiration de ses clients. Suzanne Nikiema/Convolbo, 54 ans, mariée et mère de six enfants, est tisseuse depuis sa tendre enfance. Aujourd’hui, présidente de l’ATK, elle a plusieurs cordes à son arc : tisseuse, formatrice de tisseuses, spécialiste en teinture de fil, chef d’entreprise de commercialisation des fils et de pagnes Faso dan fani.

Son domicile en cette mi-journée du mardi 1er février 2022, présente une allure d’un atelier de fabrication et de teinture de pagnes traditionnels. Dans la cour, trois filles font d’interminables va-et-vient. Elles se préparent à changer la couleur d’un lot de fils blancs, sous le regard bienveillant de Mme Nikièma. « Aujourd’hui, nous voulons faire passer nos fils de la couleur blanche à la couleur moutarde », explique avec enthousiasme la plus jeune des filles, Ariane Jessica Nikièma.

Pour obtenir cette couleur, poursuit la jeune fille de 22 ans, il faut arranger les fils de sorte à faire un mouvement circulaire. « On les trempe par la suite dans de l’eau oxygénée afin qu’ils deviennent plus blancs pour que l’opération réussisse », précise-t-elle. De façon pratique, pour obtenir la couleur moutarde pour un paquet de fils, il faut dix litres d’eau chaude, trois cuillérées de bicarbonate, trois cuillérées de teinture jaune moutarde, une cuillérée de teinture marron et 1 ml de soude caustique, détaille-t-elle.

Le mélange est remué jusqu’à ce qu’il devienne homogène avec une mousse qui indique déjà la couleur souhaitée. Ensuite, on plonge le paquet de fils dans la composition pendant 30 minutes au minimum, explique la professionnelle Ariane. Une fois le fil bien coloré et séché, il est prêt à être commercialisé. Dame Nikiema a ouvert une boutique à cet effet pour la vente d’une gamme de couleurs de fils aux tisseuses qui, à leur tour, vont se charger de les transformer en pagnes avec divers motifs.

Une activité au ralenti

Les femmes s’organisent pour maitriser les phases de teinture des fils pour la confection des pagnes.

L’Association des tisseuses de Kadiogo offre dans sa boutique une variété de pagnes traditionnels. La responsable de vente, Jocelyne Ouédraogo, 31 ans, célibataire et mère d’une fillette indique que le prix du pagne Faso Dan Fani varie entre 5 000 F CFA et 10 000 F CFA. Tout dépend de la consistance du tissu et des modèles, assure-t-elle. Concernant la vente, Mlle Ouédraogo confie que le marché est relativement satisfaisant.

Au regard de la situation nationale difficile, la vente des produits se fait à pas de tortue, relève Suzanne ikiema/Convolbo. « L’un des plus grands défis auxquels nous faisons face est l’augmentation du prix du fil sur le marché alors que la demande est de plus en plus en baisse », regrette la présidente de l’ATK.

En plus, d’autres firmes chinoises copient les modèles, les confectionnent ailleurs et reviennent les vendre à vil prix ici entre 1000 et 2000 F CFA, fulmine-t-elle. Selon elle, ces pagnes importés sont de mauvaise qualité, car faits à base du nylon. « Nous proposons du coton pur. Les prix ne peuvent donc pas être les mêmes. La balle de coton nous coûte 85 000 F CFA pour 30 pagnes.

Le prix minimum du pagne si nous voulons réaliser des bénéfices doit être de 5000 F CFA. C’est pourquoi, la plupart des clients jugent nos prix très élevés. Mais ce sont des pagnes de bonne qualité », se justifie-t-elle. D’où le cri du cœur de l’association qui invite les autorités à prendre des mesures protectionnistes en faveur des produits locaux contre la concurrence déloyale.

Jean François KATTIA (Stagiaire)


Faso Dan Fani, entre traditions et mystère

Le pagne traditionnel Faso dan fani est de plus en plus utilisé par les différentes couches sociales du Burkina Faso. Bon nombre de Burkinabè y trouvent un lien avec la tradition et par conséquent travaillent à perpétuer ces valeurs culturelles. La responsable de vente de l’ATK, Jocelyne Ouédraogo, explique que pour les cérémonies de mariage, il est recommandé de porter un modèle de pagne Faso Dan Fani, car cela porte chance aux jeunes mariés.

« Certaines personnes déterminent même des jours fixes pour en porter. Le pagne traditionnel noir est souvent recommandé aux femmes qui accouchent », précise-t-elle. Aujourd’hui, des citadins, des intellectuels n’hésitent pas à porter des vêtements Faso dan fani pour manifester leurs attachements aux idéaux du leader de la révolution burkinabè Thomas Sankara, qui avait fait de la promotion du Faso Dan Fani, son combat personnel. Cependant, d’autres Burkinabè se montrent toujours réticents à l’utilisation de ces pagnes pour diverses raisons liées parfois à des superstitions. Selon Mlle Ouédraogo, certains maris interdisent même à leurs femmes de tisser le pagne traditionnel, car ce métier constituerait un blocage à la prospérité du conjoint.

K.J.F


Métier de tissage : de mère en fille

Dans la famille Nikièma, la confection du pagne traditionnel est presque devenue une question d’héritage. La quinquagénaire de la famille, Suzanne Nikièma, a appris le métier à bas âge auprès de sa mère. Aujourd’hui, c’est son tour de transmettre son savoir à ses trois filles. « Nous sommes une famille de tisseuses.

Nous le faisons avec beaucoup de passion et d’amour », explique Ariane Jessica Nikièma, une étudiante. Pour elle, études et apprentissage d’un métier ne sont guère incompatibles. « Même si tu es à l’université, connaître un métier est un avantage. Avec cette activité, j’ai de petites économies pour mes besoins et j’invite mes sœurs à faire de même », conseille-t-elle. Cette activité a permis à la mère de Jessica d’atteindre son autonomie financière. Les produits sont vendus à Ouagadougou, à l’intérieur du pays, au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Sénégal.

Du 06 au 20 décembre 2021, Mme Nikièma a participé à la 29e édition de la foire internationale de Dakar où elle a exposé ses articles. A l’image de la famille Nikièma, plusieurs tisseuses apprennent le métier à leurs filles qui nourrissent à leur tour l’ambition de transmettre le flambeau.

K.J.F

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