Financement agricole dans les Hauts-Bassins : un projet « doux-amer »

La question du financement du secteur agricole revient de manière récurrente, notamment lors de la traditionnelle Journée nationale du paysan (JNP). Si la mise en place d’une banque agricole en 2019 a permis de combler le déficit de financement déjà existant dans ce secteur, force est de reconnaitre que de nombreux producteurs se heurtent à de multiples difficultés (frais de tenue de compte, garantie, taux d’intérêts élevés, etc.). Immersion dans les arcanes du financement des projets agricoles dans les Hauts-Bassins.

Alizèta Rouamba, productrice, demande à la BADF de revoir ses méthodes.

Un imposant immeuble situé sur l’avenue de la Révolution à quelques encablures du stade Sangoulé- Lamizana de Bobo-Dioulasso abrite les bureaux de la Banque agricole du Faso (BADF). Devant les guichets, l’affluence n’est pas au rendez-vous. Quelques producteurs viennent prendre des renseignements et repartent. Les « candidats » aux crédits bancaires dont les dossiers sont déjà bien ficelés patientent dans les couloirs. Bakary Traoré, producteur à Karangasso Sambla dans le Houet, est l’un des heureux bénéficiaires de prêt auprès de cette banque qui a ouvert ses portes dans la capitale économique du Burkina Faso en octobre 2019.

Un double prêt contracté en 2021 scelle désormais ses relations avec l’institution. Le premier à travers la coopérative « Bègnongotè » dont il est le président, d’un montant de 1,5 million FCFA est destiné à l’achat des intrants. Le deuxième, au nom du groupement, d’environ 4 millions FCFA, a servi à s’équiper d’une batteuse multifonctionnelle. Pour ce deuxième prêt, l’Alliance pour la révolution verte en Afrique (AGRA), une Organisation non gouvernementale (ONG) qui apporte son assistance aux producteurs burkinabè, a décidé de régler la moitié des frais. Le producteur Traoré exploite une ferme de 25 ha dont 15 ha de coton, 7 ha de maïs, 2 ha de sésame et une portion réservée à la production maraîchère. Le problème du financement étant quasiment réglé, il s’est remis résolument au travail. Les membres du groupement« Bègnongotè » ont alors accueilli avec entrain, l’avènement de la banque agricole. Ce vent nouveau qui souffle sur le secteur agricole a aussi permis au groupement des coopératives agricoles du village de Kouremangafesso dans la commune rurale de Karangasso-Vigué dans le Houet, d’emprunter de l’argent. En 2021, il a obtenu 29 millions FCFA répartis entre les 160 membres qui le composent. L’appétit venant en mangeant, le groupement rebelote en 2022. Cette fois-ci, le montant du prêt est ramené à 4 millions FCFA. Par ce financement, le groupement se dote d’une batteuse multifonctionnelle. Là encore, l’ONG AGRA décide de supporter la moitié du crédit. Les membres de ce groupement doivent solder le montant restant dans 36 mois au taux de 9%.

Une lueur d’espoir

Abdoulaye Sawadogo, P-DG de NAFASO : « J’ai renoncé à un prêt de 1,2 milliard à cause de l’insécurité ».

Au constat, la mise à disposition des fonds aux producteurs change naturellement leur quotidien. Non seulement la charge du travail diminue avec la modernisation de leur outil de production mais aussi l’acquisition des intrants agricoles et autres frais de production sont pris en charge. Toutefois, le financement du secteur agricole ne saurait être l’apanage de la seule banque agricole. L’Etat, à travers ses subventions et des partenaires du monde rural, mise beaucoup d’argent dans ce secteur. Sur le terrain, des résultats concrets sont visibles. Bakary Traoré a obtenu son tracteur de 60 chevaux à 9 millions FCFA, grâce à la subvention de l’Etat au matériel agricole. Profitant de cette aubaine, la Chambre régionale d’agriculture (CRA) des Hauts-Bassins a doté en 2020, des producteurs de 33 tracteurs. L’année suivante, c’est au tour du Projet d’appui à la promotion des filières agricoles (PAPFA) de remettre 10 tracteurs à des coopératives. Le SG de la CRA, Réné Ouattara, salue cette œuvre de solidarité publique qui soulage les bénéficiaires. « La subvention de l’Etat a sauvé des producteurs. Sans elle, les tracteurs de 9 millions FCFA seraient vendus autour de 18 millions FCFA », reconnaît Abdoulaye Sawadogo, Président-directeur général (PDG) de Neema agricole du Faso (NAFASO), une entreprise spécialisée dans la production et la commercialisation des semences.

Sur cette question, le président de la CRA des Hauts-Bassins, Moussa Traoré, propose aux uns et aux autres de mettre aussi le paquet sur les équipements de récolte et post-récolte comme par exemple, les moissonneuses, les faucheuses, les vanneuses. Toute acquisition, poursuit-il, doit s’accompagner d’une bonne formation dans la gestion du matériel. Quant à l’ONG AGRA, ses actions visent notamment à assouplir les conditions d’accès des crédits aux producteurs à travers son fonds de garantie. En 2020, les partenariats avec les institutions financières et d’assurance ont facilité l’acquisition d’engrais et d’équipements à 12 000 producteurs pour un montant d’environ 3 milliards FCFA. Cette ONG œuvre en outre à nouer des contrats entre agriculteurs et fournisseurs d’engrais basés sur le modèle d’agriculture contractuelle. Les producteurs peuvent toujours compter sur le soutien de cette ONG panafricaine manifestement acquise à leur cause. C’est du moins le message qu’a laissé entendre son Président du conseil d’administration (PCA), Hailemariam Dessalegn, par ailleurs ancien Premier ministre éthiopien, lors de sa visite au Burkina Faso, le 5 juillet 2021. « Nos interventions seront toujours alignées sur les priorités nationales », avait-il assuré.

Des prêts à problèmes

Dominique Sansara, chef d’agence BADF/ Bobo, exhorte les producteurs à signer des contrats de production.

Si certains s’en sortent bien, d’autres par contre se noient dans leur nouvelle aventure avec leur banque. Rokia Barro, productrice et transformatrice de produits locaux à Orodara dans le Kénédougou, en est un exemple illustratif. Les produits qu’elle propose à ses clients sont composés d’huile de sésame, de la farine infantile Misola pour bébés de 6 à 24 mois, de fonio et de la farine de maïs. Faute de production suffisante, Mme Barro ne parvient pas à satisfaire les commandes de ses clients. D’où l’idée de se tourner vers la Banque agricole du Faso pour solliciter un appui financier. Celle-ci lui prête 10 millions FCFA, une somme qu’elle doit rembourser en 12 mois au taux de 13,5%. Tout allait bien jusqu’à ce que le Kénédougou sombre dans l’insécurité totale. Les incursions des Hommes armés non identifiés (HANI) dans les campagnes mettent en péril les affaires jadis, florissantes de l’entreprise Barro. C’est le début de sa descente aux enfers. Difficile d’écouler les stocks qui s’empilent dans le magasin. « Au moment où je contractais le prêt, il n’y avait pas d’attaques. Je parcourais les villages pour vendre mes produits. Avec l’insécurité, mes déplacements sont limités», justifie-t-elle. Pendant ce temps, les arriérés s’accumulent en banque. Bon an mal an, un compromis a été trouvé avec sa banque qui lui donne une dernière chance de solder sa dette. « On est menacé de toutes parts mais on fait avec. J’ai pris un nouvel engagement, j’attache du prix à le respecter», affirme-t-elle. Mme Barro est visiblement déterminée à sauver son honneur. Elle ne jure cependant que sur la providence divine pour sortir la tête de l’eau.

En tenant compte du volet sécuritaire, certains, flairant le danger, ont dû renoncer dare-dare à leurs engagements. C’est le cas de Abdoulaye Sawadogo, P-DG de NAFASO. En quête de financement pour mettre en œuvre un projet de production de semences de pomme de terre dans la zone de Titao, il le soumet à la Banque agricole qui accepte de lui prêter 1,2 milliard FCFA en 2021. M. Sawadogo explique qu’une partie du montant était destinée à financer la production et l’autre à construire une chambre froide d’une capacité de 5 000 tonnes pour la conservation. « Avec l’insécurité qui sévit dans cette partie du territoire, nous avons demandé à la banque de surseoir au virement des fonds dans notre compte », atteste-t-il. De cette manière, il échappe de justesse au piège de la dette.

La garantie, un gros souci

Au moment de monter le prêt, Rokia Barro a été surprise lorsque la banque lui demande un document de Permis urbain d’habiter (PUH). Et pourtant, elle n’avait pas de garantie. C’est la Société de construction et de gestion immobilière du Burkina (SOCOGIB) qui l’a aidée à décanter la situation en lui délivrant le précieux « sésame ». Le même problème s’est posé au niveau des entrepreneures agricoles de Kouremangafesso. Selon la présidente Alizèta Rouamba, le capital de la coopérative étant considéré comme une garantie, une solution a pu être trouvée. L’apport de garantie n’est pas la seule condition. « Nous exigeons une garantie financière à titre de participation qui est comprise entre 10 et 30% maximum du montant de la sollicitation », dévoile Dominique Sansara, chef d’agence à la BADF de Bobo-Dioulasso. En vue de faciliter les opérations, il encourage les producteurs à nouer des partenariats multipartites avec les fournisseurs, les clients et la banque à travers notamment la signature des contrats de production.

« La banque veut toujours s’assurer que le demandeur de prêt a un client qui va acheter sa production après les récoltes», relève M. Sansara. Abdoulaye Sawadogo dit ne pas être surpris de l’attitude de la banque vis-à-vis de ses clients. De son point de vue, le débat sur la garantie n’a pas lieu d’être parce qu’aucune banque dans ce monde ne va prêter son argent sans chercher à le récupérer. Comme alternative, les producteurs des Hauts-Bassins plaident pour la création d’un fonds de garantie. Ou à défaut, reconvertir les parts détenues par les organisations paysannes dans le capital de la BADF, en garanties au profit de leurs membres. Abdoulaye Sawadogo est de cet avis. Il révèle que les semenciers détiennent 20 000 actions d’une valeur de 800 millions FCFA. « Ces actions peuvent à l’avenir se constituer en garanties pour permettre aux membres de l’Union nationale des producteurs semenciers du Burkina (UNPSB) de bénéficier des crédits sans apporter de garantie », suggère-t-il.

Les producteurs accusent, la banque s’explique

Si les producteurs sont plus tolérants vis-à-vis de l’Etat et ses partenaires, ils sont cependant très durs envers la Banque agricole qu’ils qualifient affectueusement de « notre banque ». Mazouma Sanou, animatrice à l’Union provinciale des professionnels agricoles du Houet (UPPA), reproche à cette institution de ramer à contre-courant des intérêts des producteurs. Elle est contre le montant des frais de tenue de compte(2 900 FCFA) jugé trop élevé contre zéro FCFA dans d’autres banques. « On a soumis le problème aux responsables de la banque mais ils ont dit que sans ces frais, il leur serait difficile de tenir pour le moment », informe-t-elle. Des accusations balayées du revers de la main par le chef d’agence qui estime que de gros efforts ont été consentis afin de répondre aux besoins des clients. A cet effet, il indique que les produits développés par la banque sont en phase avec ses ambitions. Il s’agit entre autres, du prêt équipement agricole, du prêt intrants, du « wallet » qui est un compte bancaire connecté au compte Orange money de chaque producteur et du Fonds de développement agricole (FDA) qui finance tout ce qui se rapporte à la production végétale à un taux de 5%. « Pour les financements autres que le FDA, les taux varient en fonction de la nature du risque et de l’activité », précise Dominique Sansara. En ce qui concerne le prêt dénommé « acquisition d’intrants », la banque applique un taux de 18%.

La productrice Mazouma Sanou le dénonce en ces termes :« Cela m’a dissuadé à aller vers cette banque. Avec ce taux, c’est pour aller me noyer ». C’est finalement dans une autre banque qu’elle a obtenu son prêt de 600 000 FCFA. « Il faut que la BADF sache pourquoi elle a été créée », avertit-elle. Il faut également noter que le prêt engage la responsabilité de chaque producteur. Le slogan selon lequel « c’est de l’argent public, on n’est pas tenu de rembourser » est battu en brèche. « C’est ce comportement qui faisait qu’on ne prenait pas les producteurs au sérieux. Un professionnel doit toujours respecter ses engagements », conseille Abdoulaye Sawadogo. Avant l’avènement de la Banque agricole, le secteur bénéficiait déjà de l’accompagnement de certaines institutions financières qui s’en sont sorties avec des fortunes diverses. Une d’entre elles garde un souvenir douloureux de sa mésaventure dans ce secteur. Des milliards FCFA sont à recouvrer auprès de producteurs qui ont manqué à leurs obligations. Contactée, elle n’a pas souhaité réagir. Quoi qu’il en soit, les producteurs sont fiers d’avoir un outil de financement de leurs projets. Même si tout n’est pas rose, Bakary Traoré note avec une pointe de satisfaction : « Nous avons plus à gagner qu’à perdre avec notre banque».

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com

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