Financement de la guerre contre le terrorisme : un peu plus de solidarité de la BCEAO

Le Burkina Faso traverse actuellement une des plus grandes épreuves de son existence par cette guerre contre le terrorisme depuis sept ans, ce qui devrait susciter une plus grande mobilisation autour de l’armée. A titre indicatif, à la seconde Guerre mondiale, De Gaulle, à partir de Londres, a mobilisé les Français, les pays alliés, les Etats-Unis, l’Angleterre, l’URSS, les pays africains pour la libération de la France.

Chez nous au contraire la mobilisation internationale est faible voire inexistante, non seulement de la part des pays africains, mais aussi, en interne même le débat est loin d’être mobilisateur. A écouter certains journalistes, politiciens, chercheurs qui auraient dû donner de la voix, on est surpris par la faiblesse du discours tourné vers le chronogramme de la Transition, les élections, les qualités ou défauts des membres du gouvernement, le retour à une vie constitutionnelle normale, l’absence du Premier ministre etc., toute chose qui éloigne de la mobilisation générale.

Cette posture, nous semble-t-il, est liée à la méconnaissance des enjeux des parties prenantes à la guerre, ce qui rend les contributions difficiles à mobiliser alors que des niches non suffisamment approchées existent pour la mobilisation des ressources pour la guerre. 1-Les enjeux de cette guerre Les djihadistes veulent à terme l’implantation de l’Islam politique en Afrique de l’Ouest ; les Occidentaux veulent le contrôle des immenses réserves de métaux précieux du sous-sol sahélien et les Africains veulent la récupération de leur territoire pour s’organiser librement et exploiter leurs richesses au profit de leurs populations. L’Islam politique est fortement associé aux combats des djihadistes. Entendons par là, une société organisée selon les préceptes de l’Islam dans sa version violente. Il faut signaler qu’il existe des courants islamistes non violents en France, en Algérie, en Tunisie, au Maroc qui s’accommodent bien avec les libertés de pensée et d’action d’autrui, contrairement à la ligne dure, intolérante qui prône la violence comme moyen d’y parvenir. L’Europe a connu la violence religieuse entre le XIIe et le XIIIe siècle avec l’instauration de l’inquisition, qui fut aussi barbare sinon même plus par la dureté des peines de condamnation pouvant aller « de la simple pénitence à la mort sur le bûcher, en passant par l’amende, la confiscation des biens, le bannissement ».

En rappel, l’Afrique de Ouest a été esclavagisée et colonisée par les Arabes entre le VIIIe et le XIVe siècle. Kano au Nigéria et surtout Tombouctou au Mali ont été de grands centres commerciaux et universitaires qui ont assuré des formations religieuses et scientifiques, produits du monde arabo-musulman. La civilisation arabo-musulmane a laissé des stigmates indélébiles. Avec, le déclin du monde arabo- musulman à partir du XVe siècle et son remplacement en Afrique noire par l’impérialisme occidental avec l’esclavage et la colonisation, le sort de l’Afrique noire ne s’est pas fondamentalement amélioré. La divergence de développement est criante entre l’Occident et l’Afrique qui fournit pourtant les matières premières aux entreprises occidentales. Donc, le courant reconquérant de l’Afrique de l’Ouest sous couvert d’une interprétation violente de la religion profite de l’appauvrissement des masses africaines que la mission civilisatrice de l’Occident, en collaboration avec l’élite africaine, a créé ou entretenu ou n’a pas voulu ou su éliminer par des politiques volontaristes de développement. La misère humaine que vivent les Africains est anachronique par rapport au reste du monde occidental qui profite de leurs richesses. A l’inverse, malgré le déclin du monde arabo -musulman depuis le XVe siècle, les sociétés arabes depuis le XXe siècle, connaissent une relative prospérité. En effet, elles profitent largement de la valorisation des ressources pétrolières pour améliorer significativement les conditions de vie des populations arabo-musulmanes, dans leur ensemble. Certains groupes en profitent pour revenir en force en Afrique de l’Ouest pour récupérer « leurs territoires » antérieurement perdus.

Ils disposent des moyens économiques de leurs politiques expansionnistes, l’environnement de pauvreté y est favorable, leur discours sur les inégalités accessibles est perméable aux masses démunies et désœuvrées. En effet, une bonne partie de la manne pétrolière fut investie dans la formation religieuse des Africains dans les pays arabes, la construction de mosquées et d’infrastructures scolaires avec la diffusion de programme sans références au programme d’enseignement officiel, l’ouverture de radios émettant en modulation de fréquences pour faciliter la diffusion du discours conquérant. Ce terreau est propice à l’expansion de l’Islam politique, entendons par là, l’organisation de la société selon une déviance violente du Coran, qui pourtant est un message de Paix, de Solidarité et d’Amour entre les prochains. Au cas où leur projet de l’Islam politique de tendance violente sort vainqueur de cette guerre, assurez-vous, plus de liberté d’association, ni syndicale, plus de droit de grève, dissolution des partis politiques, plus de liberté de presse, finis les droits de l’Homme ou de la Femme, plus de constitution, plus de liberté de religion à termes. C’est ce funeste projet majeur qui nécessite une union sacrée pour triompher du terrorisme. Tous les spécialistes de guerre disent qu’une guerre se gagne à 48% par l’armée, 48% par la contribution de la population et à 4% dû au hasard.

2-Le deuxième enjeu majeur pour, cette fois-ci, les Occidentaux, est le contrôle d’immenses ressources minières et énergétiques non exploitées du sous-sol ouest-africain, indispensables au développement des entreprises occidentales ; ceci finalement justifie la présence des forces militaires européennes, au nom de la démocratie. Si bien que l’Afrique de l’Ouest est entre les serres de deux impérialismes, les uns politico- religieux, les autres économiques. Ces deux groupes peuvent-ils se connecter ? Tactiquement oui, rien n’est exclu en politique. Aux Etats-Unis une entreprise européenne vient d’être condamnée à 780 millions de dollars par la justice pour avoir financé un groupe terroriste en Syrie, qui opère en Afghanistan et au Sahel. Donc la déstabilisation du Sahel peut être organisée par des groupes antagonistes, chacun ayant ses propres stratégies. Ce qui signifie que la bataille pourrait être longue, exiger plus d’efforts financiers et de mobilisation de ressources. 3-La mobilisation des ressources Au Burkina Faso, le gouvernement a proposé une contribution de 1% de retenu sur les salaires des travailleurs du privé et des fonctionnaires. Les organisations syndicales ont rejeté cette initiative au motif de la mauvaise gestion des fonds publics ; ce qui n’est pas faux dans l’absolu ; mais en quoi ce gouvernement de capitaine qui donne de bons signes de probité est-il responsable des maux de mauvaise gestion des fonds publics qui date de bien avant leur naissance ?

Face à l’urgence et aux enjeux, ne peut-on pas taire nos divergences pour aller à l’essentiel de la mobilisation sociale ? Les syndicats, en refusant la contribution patriotique, font un gros « coucou » aux djihadistes qui ne veulent qu’affaiblir l’Etat, créer les divisions. Nous pensons que les organisations syndicales de fonctionnaires auraient dû accepter de contribuer pour plusieurs raisons : Primo, les fonctionnaires représentent moins de 1% de la population du Burkina (0,87% environ) mais capturent 68% des ressources budgétaires propres de l’Etat, si bien que la marge de manœuvre de l’Etat est extrêmement réduite en termes d’investissement pour poser les jalons du développement futur ; dans ce paysage résilient, seuls les fonctionnaires bénéficient d’un revenu permanent non indexé sur aucune productivité du travail. Secundo, les organisations syndicales font une analyse locale et légère de la crise ; si les djihadistes gagnaient la partie, plus de liberté syndicale, plus de scolarisation des femmes et des jeunes filles, etc. Le gouvernement procède alors à l’augmentation des prix des produits de grande consommation comme les boissons et les produits de luxe, mais le gap restera, donc d’autres niches de collecte sont à rechercher. 4-Les sources possibles de financement En lisant le rapport annuel de la BCEAO de 2021, les réserves de Banque centrale étaient de 14 040 milliards FCFA, en hausse de 20% par rapport à la période précédente. Placées sur les différentes places financières en fonction des risques et de liquidités, ces réserves rapportent plus de 1000 milliards F CFA l’an. Au vu de la généralisation et de la gravité de la crise, qui menace l’existence même des Etats, la conférence des chefs d’Etat pourrait décider exceptionnellement que ces surplus des intérêts soient affectés à la lutte contre le terrorisme, au lieu que les cadres se les partagent en partie. Là n’est pas le problème, car toute situation crée des rentes. Les Mossé le disent très bien qu’on ne peut pas donner à manger à un enfant sans se lécher les doigts. Rien que sur le cumul des produits des réserves, les chefs d’Etat peuvent faire prélever 1500 à 2000 milliards F CFA pour aider les pays à lutter contre le terrorisme. Seul le Sénégal est pour l’instant épargné des attaques, mais pour combien de temps ?

Quel compromis le gouvernement sénégalais a-t-il conclu avec ces groupes terroristes ? Des cellules dormantes y résident. Par le passé, le gouvernement du Burkina Faso sous Blaise Compaoré a fait de tel deal avec les groupes terroristes, mais le réveil a été douloureux et nous y sommes toujours. En cas de désaccord de tous les présidents, le Niger, le Burkina et le Mali, les plus attaqués, pourraient demander leur part des produits des placements des réserves pour soutenir l’effort de guerre. Cette guerre qui se joue sur le sol ouest-africain est : – Une guerre de civilisation politico- religieuse : de même que l’inquisition a sévi en Europe par le passé, des groupes arabo- musulmans veulent imposer l’Islam politique par la violence dans des espaces antérieurement conquis, sous couvert d’une interprétation violente de l’Islam ; -une guerre économique : les Européens veulent le contrôle des richesses du sous-sol ouest-africain sous couvert de l’instauration de la démocratie de type occidentale ;

– une guerre de souveraineté : les Africains veulent disposer librement de leur espace vital et de leurs ressources. Les Africains noirs dans leur majorité ne se reconnaissent ni dans l’Islam violent arabo- musulman, ni dans la démocratie issue de la civilisation judéo- chrétienne qui prétend définir un ordre constitutionnel normal pour tous. Les Africains se doivent de penser leur société au vu de leur histoire et leur civilisation.

YAMEOGO Clément Roger

Cerya.org

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