Forêts aménagées dans le Ziro : le front agricole menace 29 ans de sacrifices

Aménagés en 1993 dans le but de ravitailler les centres urbains en bois de chauffe, de favoriser le développement socio-économique des populations locales et de préserver la biodiversité, les Chantiers d’aménagement forestier (CAF) du Ziro font, de nos jours, face à des actions anthropiques néfastes. A Bougnounou et à Cassou, les activités agricoles et la coupe frauduleuse du bois vert menacent sérieusement la survie des deux chantiers.

A Bougnounou, ce 8 novembre 2022, les populations sont en pleine récolte. Si dans certains champs, les épis de mil présentent une mauvaise physionomie due aux excès de pluies, ce n’est pas le cas pour la flore qui semble se porter à merveille. A la lisière du bourg, situé dans la province du Ziro, région du Centre-Ouest, une enclave forestière s’impose par sa spécificité. Elle ne peut passer inaperçue aux yeux des usagers de la route menant à Bakata, une commune voisine.

Le directeur technique du CAF de Bougnounou, Rasmané Ouédraogo, plaide la sécurisation des chantiers sur le plan juridique.

Etendue sur une superficie de plus de 2000 hectares (ha), cette formation végétale présente les caractéristiques d’une forêt claire, dont le sous-bois est plus ou moins herbacé. A l’intérieur, une multitude d’essences locales dont certaines sont en voie de disparition se côtoient. Les espèces intégralement protégées, à l’image du karité et du néré, ont l’air de bien s’épanouir dans leur biotope. Tous ces végétaux exhibent de beaux feuillages dans lesquels viennent se nicher des primates, des mammifères rongeurs et arboricoles, des insectes, des oiseaux…, en quête de tranquillité. Seuls les gazouillements de ces derniers brisent quelque fois le calme apparent qui règne dans les environs. Un air frais et agréable émanant du massif forestier offre une sensation de bien-être. Cet espace boisé est l’une des onze unités qui composent le Chantier d’aménagement forestier (CAF) de Bougnounou. Il s’agit de l’Unité d’aménagement forestier 9 (UAF 9). En plus de Bougnounou, le CAF couvre aussi les communes de Dalo (Ziro) et de Nébielianayou (Sissili). A l’entame de l’UAF 9, une pancarte présente la cartographie de l’entité, subdivisée en 15 parcelles dont la superficie de chacune d’elles varie entre 53 et 192 ha. Trois consignes y sont inscrites : pas de feu, de coupe de bois et de pacage d’animaux. L’unité est délimitée par des pistes, bordées de jeunes plants d’eucalyptus et de bornes en béton.

En fonction de la densité du Vitellaria paradoxa (nom scientifique du karité), un parc à karité d’environ 100 ha a été choisi dans la partie australe de la forêt en vue de cueillir des amandes biologiques. Outre cette unité, dix autres sont disséminées un peu partout dans les trois communes au profit de 28 villages riverains. C’est un modèle d’aménagement participatif des forêts naturelles qui fait la fierté de la province. Rasmané Ouédraogo, forestier à la retraite, est le directeur technique du CAF. Selon lui, le chantier, créé en 1993, était à l’origine une propriété de l’Etat qu’il a rétrocédée aux populations locales qui sont organisées en Union des groupements de gestion forestière (UGGF). Ce sont plus de 24 900 ha de forêt qui ont été préservés depuis 29 ans dans les trois communes rurales au grand bonheur de leurs populations. En effet, relève M. Ouédraogo, ces îlots de végétations offrent du bois de chauffe, des produits forestiers non-ligneux et des fruits aux riverains ainsi que des plantes médicinales aux tradipraticiens. Ils permettent aussi de préserver la diversité biologique.

22 000 stères de bois par an

Malgré l’interdiction, la carbonisation se pratique dans les CAF, au grand dam des gestionnaires.

L’autre avantage non moins important du chantier, aux dires du directeur technique, est l’approvisionnement des grandes villes en bois de feu. « Dans le CAF de Bougnounou, nous prélevons autour de 22 000 stères de bois par an pour ravitailler Ouagadougou et Koudougou », confie-t-il. Le CAF étant un domaine protégé et non classé, le prélèvement du bois sous écorce (vert) est autorisé et encadré par des techniciens avertis. Tous les 15 ans, 50% des arbres sont prélevés dans chaque parcelle (au nombre de 165 dans tout le CAF) de façon rotative. « De janvier à mars, nous délimitons une parcelle par unité où chaque Groupement de gestion forestière (GGF) va exploiter le bois vert. Le bois mort est prélevé toute l’année tandis que le vert est coupé dans la période d’avril à fin octobre », explique le forestier retraité. A écouter le comptable du CAF, Jacques Ziba, le prix du stère de bois (l’équivalent d’un mètre cube) est fixé à 2 200 F CFA. Ce montant est réparti comme suit : 1 100 F CFA destinés aux bûcherons, 300 F CFA à l’Etat, 200 F CFA pour le fonds de roulement et 600 F CFA pour le fonds d’aménagement. La commercialisation du bois mort et vert constitue la principale activité qui contribue à renflouer les caisses du CAF. Par cette activité, ce sont plus de 13 millions F CFA qui sont récoltés annuellement pour le budget du Chantier. Une somme qui paraît insignifiante aux yeux des gestionnaires, au regard de l’immensité des activités à mener par an. Afin de perpétuer la ressource, plusieurs types d’aménagements sont opérés en permanence dans la forêt. La régénération naturelle assistée, les semis directs d’espèces locales, la taille sanitaire des arbres, le nettoyage autour des jeunes pousses, la plantation d’arbres dans les zones plus ou moins dénudées, l’ouverture de pistes autour des unités et l’application de feux précoces pour éviter les incendies sont, entre autres, les actions menées dans le chantier. Pour garantir l’efficacité de ces aménagements, une équipe de sensibilisation et de surveillance est constituée et joue le rôle de police forestière. Dans ces formations végétales, soutiennent les gestionnaires, le petit gibier tel que les antilopes, les phacochères, les lièvres, les singes, les pintades sauvages, les perdrix…, ne manque pas.

A une trentaine de kilomètres de Bougnounou, un autre chantier d’aménagement forestier force l’admiration de tout visiteur. Il s’agit du CAF de Cassou situé à cheval entre cette commune et celles de Bakata et de Gao. Avec une superficie initiale estimée à plus de 25 000 ha, ce massif forestier présente les mêmes caractéristiques et le même mode de gestion que celui de Bougnounou. Les retombées économiques et financières pour les populations locales sont indéniables. Muni de sa paire de jumelles, l’animateur du chantier, Luc Nignan, nous fait découvrir une portion de la troisième unité d’aménagement forestier sur les 20 que compte le CAF. La densité des végétaux tranche avec les espaces avoisinants non protégés et qui ont subi le diktat des actions anthropiques. Des traces de brûlis sont visibles sur le pare-feu de l’unité aménagée. C’est déjà l’application des feux précoces qui, selon M. Nignan, doit se faire pendant que les herbes sont encore fraiches. Des agressions tous azimuts de la forêt La contribution des CAF à la préservation du couvert végétal n’est plus à démontrer. Selon le Directeur provincial (DP) en charge de l’environnement du Ziro, Mahamadi Yabao, les chantiers occupent une place de choix dans les formations végétales de la province. A cet effet, il cite, entre autres, la sauvegarde des forêts naturelles, le développement socio-économique des villages associés, l’approvisionnement des centres urbains en bois de feu, la conservation de la biodiversité et la séquestration du carbone qui atténue les effets du changement climatique comme étant des avantages que procurent les CAF. Grâce aux revenus générés, Jacques Ziba de Bougnounou estime que la gestion des chantiers nourrit bien son homme. « Avec les revenus tirés du CAF, nous arrivons à scolariser nos enfants et à subvenir à nos besoins », déclare-t-il, avec satisfaction. Cependant, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Malgré leurs bienfaits avérés, les CAF rencontrent d’énormes difficultés qui menacent leur survie. Le principal souci signalé à Bougnounou est l’empiètement de la forêt pour les activités agricoles. Et le directeur technique du chantier, Rasmané Ouédraogo, de relever qu’environ cinq unités sur les onze sont concernées par cette forme d’agression. « Des producteurs se permettent d’aller se cacher au fond des unités pour cultiver.

Le chef coutumier de Bougnounou, Luc Benao : « nous avons intérêt à protéger la forêt ».

Le temps de nous rendre compte, ils ont déjà semé et la forêt détruite », déplore-t-il. Le cas de l’unité 10, sise à 19 km de Bougnounou, semble plus critique. A ce niveau, les responsables du Chantier ont déposé une plainte en justice contre un producteur qui s’y est installé sous le prétexte que sa plantation de manguiers a précédé l’aménagement de la forêt. A l’unité 9, une exploitation agricole jouxtant sa partie-Sud a « mordu » dans la bande de délimitation. Pour la présente campagne, l’intéressé n’a pas semé sur son terrain. Va-t-il revenir ou a-t-il été dissuadé par les gestionnaires du CAF ? Pour l’instant, rien n’est évident. « Notre souhait est qu’il ne revienne plus, puisqu’on devrait laisser une zone tampon entre les unités et les champs », lance M. Ouédraogo. Outre les exploitations agricoles, d’autres types d’agression sont notifiés. Il s’agit de ceux qui s’introduisent frauduleusement dans les unités pour couper le bois vert et vendre sous forme de chevrons ou de planches. D’autres même y produisent le charbon de bois, alors qu’aux dires des responsables du CAF, la carbonisation est interdite dans leurs activités.

« La carbonisation absorbe une quantité importante de bois. Le ministère en charge de l’environnement ne nous a pas permis de produire du charbon dans le CAF », rappelle le président de l’UGGF du CAF de Bougnounou, Bitiou Ziba. Il avoue qu’il n’est pas aisé pour eux de surveiller près de 25 000 ha sans que des personnes mal intentionnées n’y entrent pour mener des activités proscrites. C’est pourquoi, ils se sont attachés les services des forestiers pour aider à la sécurisation du chantier. « Nous avons prévu 15 mille F CFA par mois pour leur carburant », souffle le directeur technique. Rasmané Ouédraogo ajoute que le CAF organise parfois une action d’envergure avec la police nationale, la gendarmerie et les forestiers pour patrouiller dans les unités et dissuader les contrevenants. La contribution des trois communes (Bougnounou, Nébielianayou et Dalo) est aussi sollicitée. Dans leur mission de sensibilisation des populations à la protection des forêts, elles reçoivent chacune la somme de 100 mille F CFA par an.

Une protection juridique recommandée

Nonobstant tous ces efforts, l’élimination des agressions faites aux massifs forestiers demeure une lutte de longue haleine. Le hic est qu’après 29 ans d’existence, les CAF n’ont toujours pas un statut juridique à même de garantir leur intégrité physique. Cela constitue une brèche ouverte pour des agressions sans frein des forêts protégées. De plus en plus, des villageois réclament leurs portions de forêts qui faisaient partie des CAF pour des fins agricoles. La situation est alarmante dans le Chantier de Cassou.

En 2015, relate le Secrétaire général (SG) de l’UGGF, Zachée Diasso, certains quartiers de Cassou ont exigé le retrait de leurs terres du CAF pour en faire des champs. Cela a conduit à une levée de boucliers contre les gestionnaires du Chantier. « Des gens se sont mobilisés avec des coutelas pour aller dire au chef du village qu’ils ne veulent plus voir les responsables du CAF dans leurs portions », se souvient-il amèrement. Et l’animateur du Chantier de Cassou, Luc Nignan, de renchérir que ce phénomène leur a fait perdre trois unités entières, soit 15 000 ha environ, qui ont été rétrocédées aux populations insurgées. A l’entendre, après Cassou, d’autres villages riverains ont emboîté le pas avec les mêmes méthodes de revendication et de violence. Selon M. Nignan, les raisons les plus souvent avancées par les villageois pour « grignoter » les forêts protégées sont le manque de terres cultivables. Un alibi, à son avis, qui ne tient pas la route. En réalité, s’offusque-t-il, ceux-ci vendent les portions qu’ils retirent à des agrobusiness men afin de s’offrir la belle vie. A cette allure, l’animateur du CAF dit avoir peur que la forêt ne disparaisse du jour au lendemain. « Il faut que l’Etat prenne ses responsabilités en interdisant la vente des terres, sinon, nous n’y pouvons rien. Actuellement, la loi n’empêche pas les autochtones de le faire, sous le prétexte que la terre leur appartient », mentionne-t-il, impuissant. Dans ce combat pour la protection des formations végétales, certains responsables coutumiers ne sont pas restés insensibles. Ils pèsent parfois de tout leur poids pour désamorcer des tensions. Le chef coutumier de Bougnounou, Luc Benao, en fait partie.

« On ne peut pas laisser détruire la forêt qui est un bien précieux pour nous. Ce sont nos parents qui ont cédé leurs terres pour constituer le Chantier. Il n’est donc pas question qu’on les retire encore pour des activités agricoles », tranche-t-il. En attendant, les membres des CAF comptent sur le soutien des services de l’environnement qui, pour eux, ont le pouvoir de répression. Le président de l’UGGF de Bougnounou, Bitiou Ziba, est catégorique. Il faut sanctionner sévèrement les agresseurs de la forêt. Pour une bonne gestion des CAF, le DP Yabao suggère leur classement et leur immatriculation, l’achèvement de la validation de certains plans d’aménagement forestier, l’actualisation des contrats de gestion et des cahiers des charges, la révision du prix du stère de bois qui est resté inchangé depuis 1997, etc. Concernant la sécurisation, confie-t-il, l’administration forestière, en collaboration avec des partenaires financiers, s’active à doter les différents CAF d’un statut juridique.

Mady KABRE

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