Franck Elvis Compaoré, SP/CNLD : « Le trafic de drogue nourrit le terrorisme et vice-versa »

Pour le SP/CNLD, le commissaire Franck Elvis Compaoré, les comportements violents des jeunes sont en partie liés à la drogue et aux stupéfiants.

La consommation de drogue prend de plus en plus de l’ampleur au sein de la frange jeune de la population burkinabè. Dans cette interview, le secrétaire permanent du Comité national de lutte contre la drogue (CNLD), le commissaire divisionnaire de police, Dramane Franck Elvis Compaoré, revient sur les conséquences de ce fléau et fait le lien entre trafic de drogue et terrorisme.

Sidwaya (S) : Le Comité national de lutte contre la drogue est-il impuissant face à la consommation de la drogue et des stupéfiants qui prend de l’ampleur au Burkina Faso?

Dramane Franck Elvis Compaoré (D.F.E.C.) : (Rires !) De par ses attributions, le CNLD est une structure nationale de coordination de lutte contre la drogue. De ce fait, il capitalise les actions sous forme de statistiques et rapports qu’il met à la disposition du gouvernement. Cela nous permet de lui faire le point annuel de la lutte ainsi qu’aux organismes internationaux. Sur la base de ces rapports, nous devons reconnaître effectivement que la consommation de drogue, ces derniers temps, a pris de l’ampleur dans notre pays. Cependant, il n’y a pas lieu de dire que le CNLD est impuissant face au phénomène, parce que nous nous battons de toutes nos forces, mais il se trouve qu’il s’agit d’un fléau mondial. Toute la jeunesse du monde est confrontée à ce problème. S’il n’y avait pas l’action du CNLD et de tous les autres acteurs, on vivrait une situation pire que ce qu’on connaît aujourd’hui.

S : La frange jeune, surtout les élèves font partie de ces consommateurs. Cela explique-t-il les violences en milieu scolaire et les comportements déviants de la jeunesse ?

D.F.E.C. : Absolument ! Parce que l’une des conséquences terribles de la drogue, ce sont les violences qu’elle engendre dans les foyers. En effet, aussi bien pour les violences conjugales et domestiques que scolaires. Des études ont démontré que la consommation de la drogue influe sur les comportements. Si bien qu’aujourd’hui, des élèves se lèvent contre l’administration, serrent les collets de leurs enseignants, se battent à tout bout de champ. C’est vrai, entre autres causes liées à l’éducation et à d’autres facteurs, il y a forcément l’effet de la drogue. Tous les comportements déviants, notamment l’incivisme exacerbé, les bagarres de rue, les cascades sur les grandes artères de la ville, sont souvent les effets de la consommation de la drogue. C’est-à-dire qu’il y a une corrélation assez forte entre consommation de drogue et comportement violent des jeunes.

S : A qui la faute ?

D.F.E.C. : Aujourd’hui, nous ne connaissons pas nos enfants et leurs amis, parce que nous n’avons pas le temps pour eux. Le fait de les laisser à eux-mêmes, les expose au phénomène des stupéfiants. Il faut donc que les parents aient beaucoup plus de temps pour leurs enfants. J’interpelle aussi les acteurs de l’éducation, parce qu’il appartient à
l’école de prendre le relai des parents et d’interdire les vendeurs ambulants et autres commerces qui sont des moyens par lesquels les enfants
accèdent à la drogue. Les jeunes eux-mêmes doivent savoir que la drogue tue. Il n’y a qu’à regarder le nombre de fous qu’on rencontre dans nos rues. La majorité de ces malades mentaux le sont essentiellement du fait de la drogue.

S : Sur le plan national, qu’est-ce qui est fait pour protéger la jeunesse contre ce fléau ?

D.F.E.C. : Beaucoup de choses sont faites en termes de sensibilisation par des acteurs étatiques (police, gendarmerie, douane et toutes les forces de répression), mais aussi des acteurs comme le CNLD et certaines organisations de la société civile (associations, ONG) pour protéger les jeunes contre ce fléau qui est devenu une véritable gangrène pour notre société. Au SP/CNLD, nous parcourons toutes les régions du pays pour nous adresser à la jeunesse, à travers des sensibilisations de grande masse, au sein des écoles et lycées, instituts de formation et universités. En 2019 par exemple, le SP/CNLD a parcouru plus de 6 régions et touché plus
de 9 000 élèves.

S : Le trafic de drogue rime souvent avec grand banditisme. Etes-vous arrivés à établir ce lien au Burkina Faso ?

D.F.E.C. : A ma connaissance, il n’y a pas encore d’étude qui ait fait le lien entre le trafic de drogue et le grand banditisme. Mais il apparait évident qu’il y a une forte corrélation entre consommation de drogue et grand banditisme. Pour avoir dirigé pendant au moins sept ans un service de répression du grand banditisme, je peux l’avouer, parce que toutes les fois que nous avons interpellé des grands délinquants ou démantelé des réseaux, nous avons presque toujours trouvé de la drogue sur eux pendant leur fouille corporelle ou les perquisitions que nous menons.

S : Les zones sous menace terroriste sont par essence des zones de trafics divers. La drogue circule-t-elle dans ces zones ?

D.F.E.C. : La zone terroriste est par essence, une zone de trafic de tous genres, parce qu’aujourd’hui, si on cherche à occuper une partie de notre territoire, ce n’est pas fortuit. La zone qu’ils cherchent à occuper est véritablement la zone de prédilection de la drogue qui transite par le Burkina Faso pour aller ailleurs. Il s’y passe des trafics d’armes et de minutions, de drogue, de personnes … Aujourd’hui ces terroristes cherchent à créer d’autres corridors dans le Sahel et le Nord pour faciliter ce trafic.

S : Que font les services opérationnels pour limiter ce trafic ?

D.F.E.C. : La gendarmerie, la police, la douane et tous les services de répression mènent des actions régulières pour empêcher l’entrée de la drogue au Burkina Faso. En 2019, elles ont interpellé plus de 500 personnes pour faits de drogue et saisi notamment plus de 3497 kg de cannabis, 30 010 kg de médicaments de rue et 1,9 kg de cocaïne. La dernière saisie en date est celle opérée par la brigade mobile des douanes de Bobo-Dioulasso qui a saisi 3,2 tonnes de cannabis, visiblement à destination d’un pays au-delà de nos frontières et donc aux
terroristes.

S : La lutte contre le terrorisme intègre-t-elle ce volet ?

D.F.E.C. : Evidemment ! Quand on part du fait que trafic de drogue rime avec terrorisme ou vice-versa, les services de défense et de sécurité n’ont de choix que d’orienter leurs actions dans la lutte contre le terrorisme. Le trafic de drogue nourrit le terrorisme et les terroristes consomment la drogue pour être de supers hommes et poser des actes
inhumains.

S : Quelles sont les difficultés qui limitent vos actions sur le terrain ?

D.F.E.C. : La première difficulté que Enfin nous rencontrons, c’est l’absence d’un référentiel appelé stratégie nationale de lutte contre la drogue, contrairement aux pays qui nous entourent. Tant qu’il n’y a pas ce référentiel, on va forcément tâtonner. Il faut ce document pour nous orienter, pour nous obliger dans certaines actions, mais aussi et surtout, nous protéger. La deuxième difficulté est l’insuffisance de la coordination des actions en termes de transmission de données, de statistiques, de rapports, pour être plus efficaces. La 3e difficulté est l’absence de formation des acteurs, faute de moyens et d’accompagnement. Enfin nous n’avons pas un budget conséquent qui nous permet de mener efficacement et à bien, nos actions.

Interview réalisée par
Jean-Marie TOE

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