Germain Coly, directeur de la cinématographie du Sénégal : « Nous rêvons d’un troisième Yennenga d’or »

Pays invité d’honneur au 27e FESPACO, le Sénégal se prépare pour marquer sa participation à cette biennale du cinéma africain. Dans cet entretien que le directeur de la cinématographie, par ailleurs responsable de la coopération internationale au ministère sénégalais de la Culture et de la Communication, Germain Coly, a accordé à Sidwaya, le 5 octobre 2021 à Dakar, donne le programme des activités du pays invité d’honneur mais évoque la situation de l’industrie cinématographique du Sénégal.

Sidwaya (S) : Quelles sont les principales missions assignées à la direction de la cinématographie ?

Germain Coly (G.C.) : La direction de la cinématographie est l’unité de conception et de mise en œuvre de la politique de l’Etat du Sénégal en matière cinématographie. Elle est placée sous la tutelle du ministre de la Culture et de la Communication. Elle couvre tous les domaines du secteur du cinéma et de l’audiovisuelle. Ses principales missions sont de veiller à la réglementation et à l’application des textes qui régissent le secteur cinématographique. Elle intervient également dans la formation des acteurs et des professionnels du cinéma, sans oublier la promotion du cinéma à l’étranger. La direction de la cinématographie travaille à la sauvegarde du patrimoine audiovisuel ainsi qu’au financement du secteur à travers l’outil que nous avons mis en place, à savoir le Fonds de promotion à l’industrie cinématographique et audiovisuelle (FOPICA).

S : Comment se porte le cinéma sénégalais ?

G. C. : Le cinéma sénégalais a connu des moments fastes avec de grands réalisateurs que nous avons connus. Nous avons des cinéastes pionniers du cinéma sénégalais comme Sembène Ousmane, qui ont été des ambassadeurs. Le cinéma sénégalais a connu et connait un bond depuis la mise en place du FOPICA qui permet d’accompagner financièrement et techniquement ce secteur. Nous avons noté une production en grande quantité. Chaque année, nous pouvons avoir plus de 150 films produits. Nous connaissons un secteur qui est en train de se développer depuis dix ans, notamment celui des séries, qui constitue un modèle économique qu’il faut encourager. Cela nous donne beaucoup de satisfaction. Aujourd’hui nous avons beaucoup de jeunes qui sont dans le secteur cinématographique. Nous avons énormément d’écoles et d’universités qui participent à la formation des cinéastes. Cela veut dire que c’est un secteur très dynamique. Aujourd’hui l’ambition du Sénégal est de se placer comme un pays de tournage en Afrique. Car nous avons le décor qu’il faut. Nous avons besoin d’avoir des équipes bien formées de sorte que, si nous recevons de grosses productions, nous puissions avoir de la ressource humaine qualifiée pour les accompagner. Nous travaillons à cela. Avec le FOPICA nous envoyons des jeunes à l’extérieur notamment au Maroc.

S : Les exploitants des salles de ciné ne voient pas d’un bon œil la prolifération des séries, car elle ne permet pas le développement de leur secteur. Qu’est-ce que vous en pensez ?

G. C. : Je ne pense pas que le développement des séries soit une mauvaise chose. Il faut que nous travaillions à mettre en place un véritable réseau de distribution de films. Le maillon de la distribution constitue un corps de métiers qu’il faut encourager. Certes, nous devons renforcer ces distributeurs mais je ne pense pas que les séries constituent un frein pour que les gens n’aillent pas en salle. Regarder un film à la télévision n’a rien à voir avec regarder un film dans une salle de ciné. Il faut travailler à redonner aux Sénégalais le goût d’aller au cinéma.

S : Ils relèvent particulièrement le manque de longs métrages pour alimenter les salles de ciné…

G. C. : Les exploitants des salles de ciné ne vont pas projeter seulement les films du Sénégal. Il y en a qui viennent d’Afrique mais aussi d’ailleurs. C’est un problème de distribution mais aussi de culture du cinéma. A un certain moment, nous avons connu une fermeture totale des salles. La jeune génération ne connaît pas le cinéma. Il faut lui permettre de redécouvrir le cinéma en créant des cinés clubs dans les quartiers et dans les régions.

S : La plupart des pays africains peinent à bâtir une véritable industrie du cinéma. Qu’en est-il au Sénégal ?

G. C. : L’industrie du cinéma démarre difficilement parce que les sources de financement sont rares. La principale source de financement reste l’Etat qui fait énormément d’efforts, mais cela ne suffit pas. Il faut donc travailler à intéresser le secteur privé dans le financement de cette industrie. C’est une lacune que nous travaillons à combler pour attirer le privé. Il faut chercher à professionnaliser les sociétés de production, les outiller pour qu’elles soient en mesure de monter des dossiers qui puissent captiver les autres financements qui existent ailleurs. L’Etat donne un fonds de dignité qui permet aux producteurs d’aller négocier avec une base. Sinon, le FOPICA seul, avec un milliard francs par an (nous comptons passer à deux milliards), ne peut pas financer le cinéma.

S : Selon vous, quels sont les obstacles au développement du cinéma sénégalais ?

G. C. : C’est un ensemble, le financement, la formation, … Le cinéma est un métier qui demande des formations pointues et les sociétés doivent avoir des équipes pluridisciplinaires. Généralement, ce sont des structures qui ont une administration mais qui n’ont pas de personnes bien formées pour aller chercher les moyens, vendre leurs produits. Le monde de la culture est pluridisciplinaire et il y a beaucoup de métiers qui doivent être pris en compte.

S : Sur quels leviers le Sénégal compte-t-il actionner pour booster son cinéma ?

G. C. : En plus de la formation, il faut, comme je l’ai déjà souligné, multiplier les mécanismes de financement. Au départ, il faut que ces structures soient forcément financées par l’Etat parce qu’elles n’ont pas encore les moyens. Présentement, en général, les producteurs de séries ne sollicitent pas le financement de l’Etat parce que tout simplement ils savent aller sur les plateformes numériques qui sont une niche d’argent, où ils vendent leurs films, ce qui leur rapporte beaucoup d’argent.

S : Il y a également le problème de professionnalisation du métier d’acteurs. Qu’en est-il au Sénégal ?

G. C. : La situation du Sénégal n’est pas différente du reste de l’Afrique. Nous sommes en train de travailler avec le registre public de la cinématographie qui devrait nous aider à mettre en place le barème qui permettra de payer correctement les acteurs. Ceux-ci reprochent aux réalisateurs de ne pas les payer à la hauteur de leur travail. Mais cela est dû au fait qu’il manque de texte juridique qui fixent les barèmes. Un régisseur a été nommé et il travaille à réunir dans les prochaines semaines les acteurs afin de fixer les barèmes et permettre à l’autorité de prendre les décisions nécessaires pour leur application. Nous sommes en train de travailler également sur la carte professionnelle qui avance bien. Elle permet d’identifier chaque métier. L‘objectif est de permettre à toute production qui arriverait dans notre pays de savoir avec qui travailler.

S : Le Sénégal est pays invité d’honneur du prochain FESPACO. Comment appréciez-vous cette marque de considération faite à votre pays ?

G. C. : L’autorité sénégalaise, au plus haut niveau, salue cet honneur que le Burkina Faso fait au Sénégal. Le président de la République, Macky Sall, en premier. C’est pour cela que dès qu’il a été notifié de cet honneur, il a pris des décisions fortes allant dans le sens de soutenir le FESPACO mais aussi le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Pour cette édition, le président de la République a tenu à mettre à la disposition du Burkina pour les besoins du FESPACO, le système de sonorisation. En plus de cela, il a décidé de donner 25 millions F CFA à l’organisation, doter l’étalon d’argent du Yennenga d’une enveloppe de 10 millions F CFA, créer un prix de l’innovation d’un montant de 10 millions dont 5 millions reviendraient sous forme de bourse en post-production au centre Yennenga. En faisant cela, le président a voulu donner un signal fort à l’Afrique pour que tout le monde comprenne que le FESPACO est panafricain et tous les pays doivent s’engager pour mieux le développer. En plus de cela, le Sénégal viendra avec une forte délégation. Nous avons la chance d’avoir quatorze films qui seront en compétition officielle mais nous viendrons aussi avec une participation artistique. Didier Awadi est intégré dans la mise en scène de la cérémonie d’ouverture. Il y a Baaba Maal, un monument de la musique sénégalaise qui est retenu pour le concert de clôture. Nous avons le stand du Sénégal au Marché international du cinéma africain et de la télévision (MICA) où nous travaillerons à montrer le dynamisme du cinéma sénégalais en faisant impliquer tous les acteurs. Nous allons organiser aussi des panels pour discuter des problèmes de co-production sud-sud mais aussi de la problématique du cinéma sénégalais et africain. En marge du FESPACO, nous allons signer une convention de jumelage entre le Festival national des arts du Sénégal et la Semaine nationale de la culture du Burkina. Nous avons déjà signé l’année dernière des accords cinématographiques et de co-production, en matière de communication. Je pense que la coopération entre les deux pays marche bien. Il y a beaucoup d’échanges et le FESPACO va permettre de consolider tout cela. Les deux présidents conduisent les relations entre les deux pays avec beaucoup d’intelligence, nos différents peuples travaillent également ensemble. Je pense que nous allons poursuivre tout ce qui est fait par nos prédécesseurs pour que les échanges entre les deux peuples se développent davantage. L’ambassadeur du Burkina ici, Jacob Ouédraogo, travaille tous les jours dans ce sens. Il est toujours à l’écoute de tout le monde. Je profite saluer sa constante disponibilité !

S : Votre pays est dans le cercle restreint des pays qui ont remporté plus d’une fois le grand prix du FESPACO. Cette année, le Sénégal rêve-t-il d’un troisième Yennenga d’or ?

G. C. : Nous rêvons bien de cela. Nous avons un bon film qui est en compétition, « Bamouna fi » d’un jeune Sénégalais. Nous sommes fiers de ce jeune. Il a d’ailleurs bénéficié d’une bourse de formation de l’Etat par l’intermédiaire du FOPICA. Il est allé étudier aux Etats-Unis et c’est à l’issue de ses études qu’il a réalisé ce film avec un financement et des acteurs 100% sénégalais. Ce film a été nominé aux dernières Oscars d’Hollywood. Cette année, c’est ce film qui va en compétition pour l’étalon d’or de Yennenga. Nous avons bon espoir. Mais nous avons d’autres films sur lesquels nous fondons beaucoup d’espoir, notamment dans les catégories court métrage, documentaire et série. Nous allons participer aussi au FESPACO classique avec des films d’archives. Le Sénégal a un grand projet de numérisation des archives dans la perspective de la cinémathèque nationale que nous allons installer au niveau de la cité du cinéma et de l’audiovisuel. Il constitue un grand projet du président de la république. Il s’agit de créer en un lieu, un site avec des studios de tournage, des centres de formation, une cinémathèque et des espaces de vie pour couvrir toute la chaine de production cinématographique et permettre de booster ce secteur. Le projet avance bien.

Interview réalisée par Joseph HARO j

osephharo4@gmail.com

Mahamadi SEBOGO

windmad76@gmail.com

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