Guinée : démocratie ou imposture ?

Les électeurs guinéens sont convoqués aux urnes, le dimanche 1er mars 2020, pour un double scrutin à savoir les élections législatives et le référendum constitutionnel. En dépit de la désapprobation de l’opposition, réunie au sein du Front national de défense de la constitution (FNDC) et de la société civile contre ces élections, le gouvernement guinéen est resté intraitable. C’est dans un contexte d’incertitudes, que les citoyens doivent choisir les élus du peuple et se prononcer sur la modification ou non de la Constitution, tant les positions sont tranchées. L’opposition affirme sans ambages qu’elle fera tout pour que les élections n’aient pas lieu. De son côté, le pouvoir soutient qu’il fera tout pour que le double scrutin se déroule dans de bonnes conditions. Les signes sont si inquiétants que l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) vient de se retirer du processus électoral qu’elle accompagnait. La raison, un certain nombre de griefs relevés n’augurent pas une transparence du scrutin. Au nombre desquels, le fichier électoral, fort de 2,49 millions d’électeurs, n’est pas conforme à la réalité. L’autre couac, le référendum constitutionnel, censé ouvrir la voie à un 3e mandat au président Alpha Condé. Depuis 2019, le FNDC et la majorité de la société civile se sont mobilisés pour dénoncer la modification de la Constitution. Comme réponse aux manifestations de l’opposition, le pouvoir a toujours réagi par la violence, entraînant des morts et des blessés par balles.
Arrivé au pouvoir en 2010 à l’issue d’un scrutin assez difficile, Alpha Condé a depuis lors pris goût au luxe du pouvoir qu’il est en passe de s’illustrer de la pire des manières. L’opposant historique d’hier est devenu méconnaissable, une fois installé au palais de Sékhoutouréya. Interrogé récemment en marge du dernier sommet de l’Union africaine (UA), à Addis-Abeba sur son intention de se représenter, Condé a répliqué qu’il se référera à la volonté du peuple. Un peuple que ses sbires n’hésitent pas à traiter comme du gibier quand il sort pour exprimer son désaccord dans la rue. L’homme que beaucoup présentaient comme un défenseur de la démocratie et de l’état de droit est devenu aujourd’hui un fossoyeur, au regard du mépris avec lequel il traite ceux qui veulent couper son appétit gargantuesque du pouvoir. Parce qu’ils refusent d’être des moutons de Panurge, Alpha Condé n’est pas prêt à aucune concession face aux récriminations de l’opposition. A ses yeux, elle est une force manipulée pour entraver l’élan de développement qu’il prétend avoir insufflé à son pays. Et il n’est pas question qu’on l’empêche de se « sacrifier » pour le bonheur de son peuple. Pour cela, il fera tout pour que les élections se tiennent afin de se faire bonne conscience et atteindre l’objectif escompté : rempiler pour un 3e mandat. Alpha Condé est à l’image de ces dirigeants africains qui ont l’illusion de croire qu’après eux, ce sera le déluge. Prisonnier de leurs intérêts égoïstes et de leur entourage aveuglé par l’appât du gain facile, ils font feu de tout bois pour organiser des mascarades électorales et modeler les constitutions afin de se maintenir le plus longtemps au pouvoir. Le président guinéen est l’incarnation de ces gouvernants qui, sous le couvert des oripeaux de la démocratie, bafouent la dignité de leurs peuples. Le double scrutin du 1er mars en Guinée traduit une fois de plus un mal profond de l’Afrique : le manque de leaders responsables qui se vouent corps et âme à leurs peuples. Ils s’accaparent le pouvoir pour parader et s’enorgueillir dans des discours ronflants. Au nom de la démocratie, ils arrivent au pouvoir sans l’onction véritable du peuple pour enfin révéler leur vrai caractère. A quand l’Afrique des dirigeants qui oseront marcher avec le peuple ? Antoine- de- Saint-Exupéry disait qu’« une démocratie doit être une fraternité ; sinon, c’est une imposture ». Quand on en vient à être sourd à une partie du peuple, c’est simplement une imposture.

Karim BADOLO

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