Guinée : l’ère Doumbouya

Le désormais ex-président guinéen, Alpha Condé, a été ‘’balayé’’ par un coup d’Etat perpétré par le colonel Mamady Doumbouya, le 5 septembre 2021. Cela fait donc un an, que l’ex-patron des forces spéciales règne en maitre absolu en Guinée, pays où l’armée a toujours fait des intrusions dans la gestion des affaires publiques. Tout naturellement, le coup de force du colonel Doumbouya avait été applaudi à tout rompre, par la majorité de ses compatriotes qui n’en pouvaient plus des dérives liberticides et dictatoriales d’Alpha Condé. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, le nouvel homme fort de la Guinée s’employant à remettre le pays sur les rails, comme promis, avec le soutien des Guinéens de l’intérieur et de l’extérieur.

A la manœuvre, le colonel Doumbouya a maille à partir avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui, jusque-là, a du mal à lui imposer une transition de 24 mois au lieu de 36, comme il l’a planifié à son bon vouloir. Cette contrainte n’empêche pas Doumbouya, le patriote affiché, d’asseoir une politique de fermeté qui frise l’autoritarisme de son prédécesseur. Si un chronogramme de la Transition devant déboucher sur l’organisation des élections a été établi en dix étapes, les lignes bougent très peu en Guinée, depuis le putsch de l’année dernière. Sur le plan de la moralisation de la vie publique et de la lutte contre la corruption, pour lesquelles il s’est engagé, Doumbouya a limogé plusieurs cadres, pour «faits présumés de détournements de deniers publics, faux et usage de faux, faux en écriture, complicité». Aussi a-t-il fait créer la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF), en décembre 2021, pour traquer et traduire en justice les commis de l’Etat qui vont se rendre coupables de crimes économiques. Dans la même dynamique, le chef de la junte a initié une vaste campagne de récupération des biens publics, au titre de laquelle, les deux principaux opposants, Cellou Dalein Diallo et Sydia Touré, ont été chassés de leurs résidences dans la cité ministérielle de Conakry. Malgré les espoirs de ces personnalités, la procédure judiciaire enclenchée n’a pas abouti, les nouvelles autorités s’étant montrées intraitables. La maison de Cellou Dalein Diallo, qui a quitté le pays depuis des mois, a même été détruite.

D’autres bâtisses de la cité ministérielle de Conakry ont également connu le même sort. Si la volonté d’assainir la vie publique et de combattre la corruption de Doumbouya est sans égal et lui vaut l’estime d’une partie des Guinéens, son engagement est tout de même sujet à polémique. Cette détermination est perçue comme un prétexte de casser les politiciens. Les acteurs de la société civile en prennent aussi pour leur grade. Très critique sur la conduite de la Transition, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) a vu ses manifestations interdites, avant d’être lui-même dissout. Certains manifestants, qui ont envahi les rues à son appel, ont été tués. Les médias aussi n’évoluent pas dans un environnement propice. Plusieurs reporters, qui ont produit des articles défavorables à la junte au pouvoir, ont été agressés ou convoqués manu militari au mépris des règles du droit. Ce n’est pas le directeur de publication du site d’information, Mosaiqueguinee.com, Mohamed Bangoura, qui dira le contraire. Il a dû se rendre dare- dare, le 5 août dernier, à la Direction des renseignements militaires, pour répondre de la publication d’un article faisant état de l’implication de l’armée dans la disparition d’un camion contenant des médicaments. A la vue de la situation préoccupante des droits humains à l’heure actuelle en Guinée, le colonel Doumbouya passe désormais, à tort ou à raison, pour un oppresseur plutôt qu’un sauveur, aux yeux de nombre de ses compatriotes. Il devra alors œuvrer à se défaire de cette image qui renvoie à celle d’Alpha Condé et à surtout œuvrer à céder au plus vite le pouvoir aux civils, pour permettre à son pays de renouer avec la démocratie. De forts soupçons de s’éterniser aux affaires pèsent sur Doumbouya et il doit apporter la preuve du contraire.

Kader Patrick KARANTAO

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