Impact de la COVID-19 à Béguédo : Quand le virus ravage l’économie locale

La commerçante, Fatimata Bara, garde espoir qu’un jour la triste parenthèse de la crise sanitaire va se refermer.

La commune rurale de Béguédo, située dans la région du Centre-Est, à 145 Km de Ouagadougou, est une localité de forte migration vers l’Italie. Surnommée « Little Italy » pour ses nombreux ressortissants qui vivent dans ce pays, la ville a connu une urbanisation fulgurante grâce aux investissements des immigrés. Mais depuis la survenue de la COVID-19, l’argent, régulièrement envoyé aux familles restées au pays et qui alimentait l’économie locale, se fait désormais très rare.

Devant l’une des agences de transfert d’argent de Soumaïla Zoumba, située à quelques pas du commissariat de police de Béguédo, la clientèle se fait rare. La gérante de l’agence s’ennuie derrière son comptoir. Elle occupe son temps à manipuler son téléphone portable. Elle, qui voyait jadis du monde devant son agence compte désormais, par jour, les clients du bout des doigts. La COVID-19 dicte sa loi même là où elle n’a pas fait de victimes. La pandémie a, en effet, porté un coup d’arrêt à l’économie, à l’échelle du monde. Dans sa spirale vertigineuse, la récession covidienne étreint le local et le global.

La faible affluence devant l’agence de transfert, Soumaïla Zoumba est un cas illustratif de la physionomie de l’économie locale. Les nombreux ressortissants de Béguédo résidant en Italie vivent désormais au rythme des confinements et du chômage. L’argent régulièrement envoyé aux familles s’est fondu comme du beurre au soleil. Réduits à vivre d’allocations, les immigrés se retrouvent désormais dans l’incapacité de subvenir aux besoins de leurs épouses et enfants restés au pays. Ils n’arrivent plus à investir également dans les projets immobiliers et autres activités dans leur commune d’origine.

Même si une forme de résilience s’observe chez les habitants de la localité, qui s’accrochent tant bien que mal à maintenir leurs activités commerciales, l’économie locale est sérieusement plombée. Le constat fait par Soumaïla Zoumba qui dispose de trois comptoirs de transfert à Béguédo est sans appel. «Notre ville vit au rythme des transferts d’argent, mais ce n’est plus le cas depuis plus d’une année. Depuis que la COVID-19 s’est répandue à travers le monde, nous avons ressenti une baisse considérable des transferts d’argent à destination de la commune », relate-t-il, l’esprit un peu perturbé par un patient qu’il est sur le point de convoyer à bord de son véhicule au Centre hospitalier régional de Tenkodogo, la capitale de la région du Centre-Est. Ce sont les immigrés qui alimentent l’économie locale par le biais de l’argent qu’ils envoient à leurs familles.

Non seulement ils aident les familles à vivre, mais ils investissent aussi dans l’immobilier et d’autres activités dans la commune. Mais la pandémie est venue désorganiser un cycle de vie qui était bien inscrit dans les habitudes. Avant la COVID-19, raconte M. Zoumba, les agences de transfert ne désemplissaient pas.

« L’argent ne vient plus »

Le patron d’agences des transferts, Soumaïla Zoumba :
« Depuis la crise sanitaire, le taux des transferts a chuté jusqu’à 70% ».

Les gens, raconte-t-il, s’alignaient pour recevoir ou envoyer de l’argent. « Certains font du commerce entre l’Italie et le Burkina. Ce qui veut dire que l’argent circule relativement dans les deux sens. A cause de la pandémie, je peux certifier que les transferts ont diminué jusqu’à 70% », confie le patron des comptoirs de transfert.

La fréquence aussi bien que les montants transférés se sont considérablement réduits comme peau de chagrin. A entendre Soumaïla Zoumba, un immigré qui avait, par exemple, l’habitude d’expédier 700 mille F CFA à sa famille chaque mois n’arrive plus à le faire depuis que la pandémie impose son diktat à travers le monde. Ce dernier se trouve dans l’incapacité aujourd’hui, dit-il, d’envoyer ne serait-ce que 200 mille F CFA à ses proches qui comptent énormément sur lui. « La COVID-19 a simplement grippé l’activité économique dans la ville », soutient Soumaïla Zoumba qui exerce dans le système des transferts depuis les années 2000. Propriétaire d’une quincaillerie à Béguédo, Karim Bara, a ses mots bien à lui pour décrire le marasme économique né de la COVID-19.

« Depuis que la maladie s’est installée, chaque matin, nous venons ouvrir nos magasins et nous passons la journée à contempler la route. Beaucoup de chantiers de construction de maisons sont à l’arrêt. Nous ne vendons plus grand-chose », décrypte le sexagénaire qui a passé plus de 20 ans en Italie. Les immigrés, qui ont l’habitude de rentrer voir leurs familles en août et en décembre, ne le font plus. Du moins, ce n’est qu’une poignée de personnes qui arrivent à honorer ce rendez-vous annuel. Pendant cette période, souligne M. Bara, l’on sentait quelque chose bouger dans la ville parce que les « Italiens » (ainsi sont appelés les immigrés) étaient de retour.

Mais ce n’est plus comme avant, poursuit le sexagénaire, à partir du moment où la maladie a pris le contrôle des vies. Pour avoir vécu longtemps en Italie, il est conscient de l’ampleur de la souffrance de ses compatriotes en terre d’accueil depuis que le virus circule à travers le monde. « Quand tu ne travailles pas, le Blanc ne te paie pas, à part les subventions que l’Etat alloue aux travailleurs pour supporter leurs factures. Plusieurs de nos ressortissants qui vivent en Italie subissent, ainsi, de plein fouet, la crise liée à la COVID-19. L’argent ne vient plus comme avant, donc tout rythme avec lenteur et parcimonie à Béguédo », argue-t-il, le regard rivé sur du matériel exposé devant sa quincaillerie.

Retour timide au pays

Tout comme le vieux Bara, Fatimata Bara, commerçante au marché de Béguédo, témoigne

Devant cette agence de transfert d’argent, l’affluence fait place désormais à l’ennui à cause
de la COVID-19.

que le retour des immigrés en août et en décembre insufflait une certaine vitalité à l’économie locale. Pendant ces périodes, les recettes étaient intéressantes parce que la ville grouillait de monde et l’allégresse des retrouvailles poussait à la prodigalité. Les bourses se déliaient ainsi aisément. Depuis l’année passée, la pandémie a brisé l’élan de la convivialité du retour des « Italiens ». « Ce sont quelques-uns qui viennent en août et décembre maintenant.

Nous ressentons directement les effets de la maladie sur la bonne marche de nos activités dans notre ville qui est très dépendante de l’extérieur », souligne Mme Bara devant son étal. Des produits comme les pâtes alimentaires, les jus de fruit, les gels de douche, les couches pour bébé et l’électroménager qui arrivaient à profusion de l’Italie se font désormais rares à cause de la crise sanitaire. Désormais, ce sont de petites quantités qui parviennent à échouer sur les étals du marché de la localité. Fatimata Bara se réjouit que la maladie n’ait pas fait de victimes dans la ville. Tout de même, elle déplore son impact négatif sur l’activité économique à Béguédo.

L’air optimiste, la commerçante est confiante qu’un jour ou l’autre la triste parenthèse de la crise sanitaire va se refermer. « Je pense qu’il y a toujours eu des moments difficiles dans la marche du monde. C’est une épreuve qui nous cause tant de peines, mais j’ai la foi intime que nous nous relèverons avec plus de force pour avancer. Nous devons nous estimer heureux que la COVID-19 n’ait pas fait de morts comme cela a été en Europe ou ailleurs », se convainc notre interlocutrice un peu loquace.

Du côté de l’autorité municipale, l’on reconnaît que la crise sanitaire a non seulement entraver la bonne marche de certaines activités de la mairie dans la ville, mais aussi plongé des familles entières dans l’incertitude. Très connectée avec l’extérieur, Béguédo respire relativement au même rythme qu’un pays comme l’Italie qui a subi amèrement les ravages du virus. « Certains de nos compatriotes nous appellent de l’Italie pour décrire leurs conditions de vie actuelle qui sont très difficiles. Plusieurs d’entre eux souhaitent voir leurs familles, mais n’ont pas la possibilité parce qu’ils ne travaillent plus et les conditions de voyage sont devenues compliquées », avance le 1er adjoint au maire de Béguédo, Souleymane Bancé. Celui-ci relève que de nombreuses initiatives auxquelles l’Association des ressortissants de Béguédo en Italie (ARBI) devrait apporter sa contribution sont mises sous l’éteignoir à cause de la COVID-19.

En effet, cette structure est un maillon important dans le développement socio-économique de la localité. Elle apporte régulièrement des appuis en équipements au Centre médical de la ville et à d’autres structures. Par exemple, un centre culturel a été construit à Béguédo grâce à l’ARBI. « Ceux qui font vivre l’association traversent des moments difficiles. Comment peut-elle nous aider ? Par exemple, elle devrait nous accompagner dans l’organisation des journées de redevabilité de la commune, mais hélas », se désole M. Bancé.

Une prise de conscience

La crise sanitaire a fait prendre conscience à certains immigrés qui ont décidé d’investir chez eux.

salutaire des épouses d’immigrés complètement démunies et dont les époux ne donnent plus signe de vie viennent s’adresser aux autorités communales afin qu’elles les aident à avoir des fonds pour mener des activités génératrices de revenus, souligne le 1er adjoint au maire. En de pareilles situations, à titre individuel, certains responsables de la mairie les soutiennent ponctuellement qui avec un sac de riz, qui avec un peu d’argent. « C’est pour vous dire à quel point la COVID-19 a vrillé des vies ici à Béguédo », déplore-t-il. Souleymane Bancé suggère que l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) qui a aidé des immigrés, rentrés bredouille au bercail, à mener des activités comme l’élevage ou autres dans la ville pourrait penser aux épouses d’immigrés dans la même dynamique.

« Ce que l’OIM fait est déjà salutaire, mais nous souhaitons qu’elle voit dans quelle mesure elle pourrait venir en aide à des épouses d’immigrés qui traversent des moments difficiles parce qu’elles n’ont plus de contact avec leurs époux », plaide le 1er adjoint au maire de Béguédo. Commerçants, gérants d’agences des transferts d’argent et autres habitants de Béguédo sont unanimes à faire le constat amer, que le vent de la COVID-19 a ballotté l’économie locale et chamboulé des vies. Toutefois, le patron d’agences des transferts, Soumaïla Zoumba, reconnaît avec un certain recul que la crise sanitaire a donné des leçons à certains immigrés qui hésitaient à investir chez eux.

« Vous constaterez, en dépit de la crise, dans la ville qu’il y a des chantiers de construction çà et là. Certains Italiens se sont réveillés grâce à la COVID-19. Autant la maladie a fait des dégâts, autant elle a fait prendre conscience à quelques personnes. Ce qui est une bonne chose », fait remarquer M. Zoumba, avec lucidité.

Karim BADOLO

karimbadolo96@gmail.com

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