Insécurité au Sanmatenga : Plus de 134 mille déplacés en situation d’urgence

Les terroristes se trouveraient dans la bande forestière qui va de Pissila à Kelbo, dixit le maire Abdoulaye Pafadnam.

Depuis le 1er janvier 2019, la bande nord du Sanmatenga, région du Centre-Nord, est en proie à des attaques terroristes. Le bilan fait état d’une centaine de pertes en vies humaines, de plus de 134 mille Personnes déplacées internes (PDI) et d’énormes dégâts matériels. Sidwaya a rencontré des déplacés installés sur certains sites de fortune de Pissila, Barsalogho et Dablo. Reportage !

Le jour vient de se lever dans la commune de Pissila, province du Sanmatenga. En ce début de journée, sous une fine pluie, l’école primaire « A » et le Collège d’enseignement général (CEG) accueillent des familles, à la suite de l’assassinat du chef de Guibga, le 25 juin 2019. Des groupes de personnes sont assises, çà et là, sous les arbres ou halls des bâtiments, tandis que d’autres se bousculent devant une citerne d’eau du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR).

Rayoudou Sawadogo est originaire du village de Goeya, situé à une quinzaine de km du chef-lieu de la commune. Il a quitté son village, le 26 juin, pour se réfugier dans le collège de ladite localité. « Je me suis enfui avec toute ma famille forte de 90 personnes. Si tu es en face d’une situation qui dépasse tes capacités, tu n’as pas d’autre choix que de sauver ta peau. Je n’ai jamais vu cette situation depuis mon existence », raconte-t-il, dé-sespéré. Sous la menace terroriste, ce quinquagénaire a été contraint de fuir, avec les siens, Goeya, sans bagages ni vivres.

C’était le sauve-qui-peut! Des hommes armés non identifiés, relate-t-il, toujours sous le choc, ont brûlé leurs maisons et granges et emporté leurs animaux. « Nous avons tout perdu dans cette ‘’chasse à l’homme’’. Que dois-je faire pour prendre en charge cette famille?», s’interroge le polygame de trois femmes, les yeux embués de larmes. Depuis son arrivée, ce vieillard, père de vingt enfants, dit n’avoir pas encore bénéficié d’un soutien quelconque du gouvernement burkinabè. «Les autorités ne sont pas venues nous rendre visite. Il y a eu des promesses d’aide et nous attendons toujours », balbutie-t-il.

La gorge tranchée

Comme d’autres témoins des exactions des terroristes, Halimata Ouédraogo, ressortissante du village de Kienma, a également trouvé refuge à l’école primaire
« A » de la même commune. Cette ‘’infortunée’’ est restée impuissante devant le massacre de son époux, occasionnant ainsi cinq veuves et dix-sept orphelins.
Traumatisée, elle ne décolère toujours pas: « Il a été kidnappé avec son premier fils qui a réussi à s’échapper par la suite.

Dans les écoles de Pissila-Centre, les déplacés sont majoritairement des femmes et enfants.

Le lendemain, nous l’avons retrouvé la gorge tranchée après avoir reçu trois balles dans le corps. Le rescapé et le petit frère du défunt sont aussi portés disparus ». Halimata Ouédraogo et ses coépouses dorment toujours à la belle étoile, depuis leur arrivée, le 27 juin 2019. Elles comptent sur les autorités burkinabè. Assurer la pitance quotidienne de leurs ribambelles d’enfants constitue un « casse-tête » pour ces déplacés démunis.
« Nous mangeons à peine une fois par jour », témoigne-t-elle.

Submergée par ces actes ignobles, elle se questionne sur les motivations réelles de ces malfaiteurs. « Nous ignorons ce qu’ils veulent. Mais, nous les exhortons à s’entendre pour que le Burkina Faso retrouve sa paix et sa sécurité d’antan », implore Halimata Ouédraogo, les yeux embués de larmes. La sécurité, la paix, la cohésion sociale et le vivre-ensemble constituent les maîtres-mots de nos interlocuteurs.

Selon le préfet de Pissila, Simplice Traoré, la commune de Pissila enregistre, à la date du 30 juillet, 20 638 Personnes déplacées internes (PDI), installées sur des sites des écoles et du CEG de Pissila-Centre et dans des familles d’accueil. « C’est déplorable de voir un tel mouvement des populations dans leur propre département », regrette-t-il. Les salles de classe peinent à contenir ces familles désorientées. « La majorité de ces déplacés dorment dehors.

A cela s’ajoute le manque de sécurité sur les sites », indique M. Traoré. A l’entendre, le CONASUR a déployé 40 tonnes de vivres et de non vivres, et une citerne d’eau sur les sites de fortune. Mais, la lenteur dans le processus de recensement des déplacés, a-t-il souligné, fait que, jusqu’à présent, aucun déplacé n’a reçu sa dotation. Face à cette situation sécuritaire, Simplice Traoré suggère, entre autres, une sécurisation du Nord du Sanmatenga et une meilleure prise en charge des enfants et femmes enceintes.

Dans la commune de Barsalogho, c’est le même scénario qui se présente. Selon son bourgmestre, Abdoulaye Pafadnam, à la date du 30 juillet 2019, on dénombre 50 121 PDI, issues de 41 villages, installées dans 15 écoles et établissements publics et privés, villages environnants et familles d’accueil. « Ce mouvement massif des populations est lié à l’attaque de Sagho, situé à 40 km du chef-lieu de la commune, le 22 juin 2019, faisant état de 15 personnes tuées. La situation s’est aggravée avec les attaques répétées des 24, 25, 27 juin et 21 juillet », affirme-t-il. Au lycée départemental de Barsalogho, toutes les salles sont occupées.

Certains n’hésitent pas à s’installer sous les arbres. La situation est peu reluisante.
« Nous avons des familles qui dorment dehors sous les arbres et la pluie et sur les tables-bancs parce que les salles de classe sont insuf-fisantes », confirme M. Pafadnam. Zénabo Sanfo dort toujours à la belle étoile après quatre jours passé dans ledit lycée. Elle est autochtone de Korko, village situé à 22 km de son lieu de refuge.

Mère de sept enfants, cette femme d’une quarantaine d’années garde toujours les souvenirs amers de la mort de quatre de ses proches. « Ils ont été poursuivis et fusillés. Les terro-ristes ont aussi brûlé toutes nos cinq maisons et trois granges, le 27 juin», retrace-t-elle, la gorge nouée. Et d’ajouter : « Nous sommes obligés de prêter de l’argent auprès de nos parents pour nourrir les enfants ».

13 forages en panne

Originaire du même village, Hamado Sawadogo a été le plus endeuillé de cette forfaiture le même jour. « J’ai perdu sept proches. Leur objectif est de tuer tous les hommes, afin d’empêcher les femmes d’y rester et cultiver dans nos champs », affirme-t-il. Ce polygame de trois femmes, les poches vides, doit désormais faire face à la charge de ses 16 enfants et 12 petits fils. Malgré l’acheminement des 85 tonnes de vivres et de non vivres et 70 tentes supplémentaires par le CONASUR, le manque de tentes reste une équation à résoudre.

Le préfet de Pissila, Simplice Traoré : « Il faut sécuriser les villages à travers des initiatives endogènes ».

De ce fait, le maire Pafadnam exhorte les filles et fils de la région du Centre-Nord à un sursaut patriotique. « Les abris sont insignifiants par rapport à la demande. La question de l’eau potable se pose aussi parce que 13/15 forages des écoles sont en panne», fait savoir M. Pafadnam. Les 5 et 8 juillet 2019, les PDI de sa commune ont marché pour protester contre leurs conditions de vie. « Depuis le 22 juin 2019, aucune autorité officielle n’est venue faire un constat, sauf le CONASUR et le Système des Nations unies (SNU).

La situation sur le terrain est inimaginable. La revendication des mécontents se heurte au silence du gouvernement face à la situation», dit Abdoulaye Pafadnam. Son souhait est de voir une intervention mi-litaire rapide dans la zone, afin que les déplacés regagnent leurs villages. Malgré le contexte sécuritaire difficile, nous nous sommes rendus dans la commune de Dablo, situé à 45 km à l’Ouest de Barsalogho, pour échanger avec des déplacés dans leurs familles d’accueil.

Ces familles ont fui leurs hameaux de culture pour se réfugier à Dablo-Centre. Harouna Badini est ressortissant de Tabremba, village situé à 75 km de Barsalogho. « Nous sommes d’abord restés à Foubé pendant 6 jours. Vue l’insécurité, nous avons préféré continuer jusqu’ici», signale-t-il, l’air méfiant.

Où rentrer avec ces bambins ?

Ce polygame de deux femmes et père de 10 enfants, a échappé de justesse à la mort. « Je les (terroristes) ai croisés quand je quittais Tabremba pour Foubé. Ils étaient environ 20 binômes sur des motos et lourdement armés. Ils m’ont posé la question à savoir pourquoi nous fuyons. Je leur ai répondu que nous partons à Foubé pour rendre visite à un malade. Et les bagages ? J’ai répliqué qu’il s’agit des effets du patient. Ils m’ont obligé à rebrousser chemin. Après, nous avons changé de voie pour passer à Kelbo avant de venir ici», se remémore-t-il. Malheureusement, son frère est tombé sous les balles assassines de ces ‘’malfrats’’.

Le cœur de Wallé Sawadogo saigne toujours. Habitante de Zorbo, situé à 22 km, au Nord de Barsalogho, veuve depuis trois années, l’infortunée s’est vue couper son seul « bras financier », le 27 juin. « Ils ont tiré à bout portant sur mon premier fils de 25 ans qui a deux femmes et six enfants », confie-t-elle, l’amertume dans l’âme. Elle nous quitte après cette question : où rentrer avec ces bambins ? S’interroge-t-elle, une marmite vide dans la main. Selon le Secrétaire général de la province du Sanmatenga, Laurent Kontogom, sa province totalise, à la date du 30 juillet 2019, 134 716 PDI. De son avis, la région du Centre-Nord, à la même date, enre-gistre 175 107 déplacés dont 22 mille pour la province du Bam et 18 391 pour le Namentenga.

Emil SEGDA


 

Patrice Sorgho, haut-commissaire de la province du Sanmatenga
« Nous souhaitons une seconde opération militaire dans la bande Nord »

Sidwaya (S.) : Quelle est la situation humanitaire et sécuritaire dans la province du Sanmatenga ?

Patrice Sorgho (P.S.) : Du 1er janvier 2019 jusqu’à nos jours, nous sommes dans une situation humanitaire assez critique, voire déplorable pour nos populations, en ce sens qu’à la date du 30 juillet 2019, nous enregistrons 134 716 Personnes déplacées internes (PDI), réparties dans les onze communes du Sanmatenga. Sur le plan sécuritaire, la situation n’est pas reluisante. Car, les populations, de peur de perdre leurs vies, ont toutes déserté leurs villages pour se réfugier dans les 11 chefs-lieux des communes. L’insécurité s’est répandue sur toute la bande Nord du Sanmatenga, faisant frontière avec la région du Sahel. Le bilan fait état aussi de perte en vies humaines et d’énormes dégâts matériels.

S. : Comment ces milliers de personnes sont-elles prises en charge ?

P.S. : La majorité de ces déplacés sont cantonnés dans des écoles, familles d’accueil et camp de déplacés. Le CONASUR a déployé des vivres et non vivres dans certaines localités telles que Barsalogho (80 tonnes) et Pissila (45 tonnes) et une citerne d’eau. Il faut reconnaitre que des efforts ont été consentis. Des partenaires humanitaires ont également apporté leurs soutiens à ces familles éplorées.

S. : La psychose a atteint son paroxysme dans les esprits des populations. Comment expliquez-vous cette anxiété ?

P.S. : Les terroristes utilisent un mode opératoire qui consiste à semer le chaos au sein des populations. Généralement, ils se déplacent à 10 ou à 20 binômes sur des motos et lourdement armés. Ils exécutent des personnes sélectionnées dans la foule et incendient des biens. Ils n’ont plus de principe ni de règle, en ce sens qu’ils tirent sur tout ce qui bouge. Ils s’adonnent à la propagande à travers la lecture du Coran. Parmi leur mode opératoire, on note le port obligatoire du voile pour les femmes, la fermeture de tous les débits de boissons alcoolisées et écoles. Ils interdisent aussi l’élevage du porc, la soumission aux fétiches, la pratique d’autres cultes que l’Islam. D’où l’exode de certains chrétiens vers Kaya.

S. : Cette situation peut-elle replonger le Sanmatenga dans une nouvelle crise alimentaire ?

P.S. : Des champs sont en effet abandonnés en cette période d’hivernage. Nous en sommes conscients puisque les paysans ont vidé tous les villages pour se réfugier dans les chefs-lieux des communes. Notre souhait le plus ardent est que cette insécurité ne perdure pas. Dans le cas échéant, l’Etat a le devoir d’assister ces familles en détresse. Ce sont des Burkinabè qui sont dans des situations difficiles, il n’y a pas de raison qu’on les abandonne à leur sort.

S. : Quelles solutions proposez-vous pour le retour de la paix et la sécurité dans le Centre-Nord ?

P.S. : La sécurisation de la bande Nord du Sanmatenga est impérative, à travers un déploiement massif des Forces de défense et de sécurité (FDS) dans les localités de Tongomayel, Arbinda et Kelbo. Nous devons aussi envisager un Plan de résilience qui prendra en compte les dimensions éducation, habitat, alimention , hygiène et assainissement. Il faut entreprendre des initiatives endogènes pour sécuriser les villages, à travers le renseignement. Les populations doivent s’organiser pour faire face à la nébuleuse terroriste. Notre souhait le plus ardent est d’avoir une seconde opération militaire dans cette zone.

E.S.

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