La cité de la mendicité

Le bambin de la faim qui nous tend chaque matin la main en vain, arrachera son pain demain de nos mains. Cette ribambelle de mioches qui s’agrippe aux vitres de nos portières aux feux tricolores pourrait nous ouvrir le feu demain, le cœur indolore. Ces gamins tombés du ciel sans l’essentiel n’ont jamais goûté au miel de nos appétences substantielles. Ils ne connaissent que la saveur fade de leur salive de fiel qui empoisonne leur humeur de tumeur.

Ces enfants aux joues érodées par la lave de leurs yeux de braise grondent de l’intérieur en arborant le sourire mal nourrit qui jaunit. Ces garçons qui marchent presque sans caleçon risquent de nous faire prendre une déculottée à l’âge sombre de leur majorité. Nous pouvons continuer à les ignorer, à remonter les vitres de nos voitures et à les regarder de profil sans oser croiser leur regard hagard qui nous égare. Nous pouvons même leur jeter la pièce lisse qui poirotait dans les recoins de nos conforts. Un jour, ils nous rendront la monnaie de notre indifférence coupable. Cette pépinière de va-nu-pieds désœuvrés sans sandale risque de nous être fatale dans les détours de nos propres dédales. On n’éduque pas une nation dans la rue, sans ration ; on ne prépare pas l’avenir dans une boîte de tomate vide.

La boîte de pandore est entre nos mains et le verrou de l’étau se desserre chaque jour. Il suffit parfois de regarder droit dans les yeux de ces enfants pour y voir l’amertume qui les consume, l’agressivité latente qui les anime en sourdine. Ils quémandent parfois avec force, ils nous exigent l’aumône et nous en veulent même de ne pas leur tendre quelque chose. Mais jusqu’à quand allons-nous leur jeter des pièces de misère ? Doit-on aussi les maintenir dans leur zone de confort précaire ? Faut-il simplement se dire que c’est un phénomène social mondial et avoir bonne conscience ? Comment peut-on donner à un mendiant bras valide, sain d’esprit et de corps, parfois avec un physique de baroudeur ? Quelle bénédiction un gaillard barbu peut-il donner à un bienfaiteur si lui-même n’est pas conscient que ses propres forces peuvent le nourrir en dignité et en utilité sociale ?

La mendicité est devenue un travail, celui de la facilité. La mendicité porte de nos jours le cachet de la honte qui s’ignore ou s’oublie pour tendre la main morte de la paresse et de la lâcheté. La mendicité est devenue une entreprise dans laquelle ce sont les alevins qui nourrissent les requins tapis sous les vagues. Pendant que certains font du porte à porte pour faire la lessive ou la vaisselle et rentrer le soir avec l’argent de l’honneur, d’autres battent le macadam en s’ébattant et même se battant parfois pour tendre la main qui avilit. Pendant que de jeunes bras valides sillonnent les chantiers du bâtiment et autre travaux manuels pour suer à grosses gouttes et mériter pitance journalière, d’autres se pavanent ou font le pied de grue dans les rues avec comme seul code d’accès : Allah garibou ! Dans cette situation qui perdure ?

Le rôle de l’Etat est engagé. On ne doit pas abandonner ses enfants dans la rue et espérer qu’ils soient demain les bras de grue de notre développement. On ne peut pas continuer à assister à l’exploitation insidieuse de ses enfants par des adultes conscients qui les font chanter en leur chantant qu’il faut passer par la rue pour avoir pignon sur rue et être mieux en vue devant l’Eternel. Il faut vite remonter la pente jusqu’à l’irresponsabilité parentale et secouer le père qui pense qu’il suffit d’être viril pour perpétuer l’espèce dans la détresse. Quant à l’Etat, il faudra transcender le populisme et le sensationnel pour aller à l’essentiel. Ces enfants peuvent apprendre beaucoup de métiers, vivre de leurs dix doigts, de leurs talents cachés et faire vivre la Nation. Parce qu’il ne suffit pas d’aller à l’école pour être un symbole fort de réussite. Il ne suffit pas de brasser des diplômes pour avoir sa place dans la société. Il appartient à l’Etat de faire en sorte qu’aucun enfant ne soit catapulté dans la rue pour des raisons qui ne tiennent pas devant le bon sens. Il lui appartient de faire en sorte qu’aucun Burkinabè ne fasse de la rue, un travail mais plutôt la voie qui mène à son lieu de travail. Sinon, il faudra simplement leur délivrer des cartes professionnelles avec la mention : mendiant ! En attendant les opérations de sensibilisation et les vraies actions de réinsertion, il ne faut pas non plus oublier de bander les muscles pour rappeler à tous ces bataillons de l’oisiveté et de la paresse que le premier et vrai handicap de l’Homme se trouve dans sa tête. Mais encore faut-il avoir une tête !

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr

1 COMMENTAIRE

  1. La chronique de M. ZONGO sur la mendicité est d’une vérité bouleversante et tout le monde ferme les yeux là-dessus, il s’agit là d’une démission générale face à nos responsabilités, j’ai le cœur qui saigne chaque fois que je vois ces enfants abandonnés à eux même, et qu’elle avenir voulons nous pour ce pays, c’est tout simplement triste !

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