La limitation des mandats présidentiels : une œuvre de salubrité patriotique

Il y a un peu plus d’un mois, le 21 septembre plus précisément, le président d’alors du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), Simon COMPAORE déclarait à la presse, à propos d’un troisième mandat du président Roch Marc Christian KABORE : « Celui qui prend le pouvoir et qui refuse de savoir qu’il est réglementé, il n’y a rien à faire, les avatars de l’histoire le rattrapent et c’est ce qui a été le cas de certains. Nous, nous avons lutté contre le pouvoir à vie, donc ce n’est pas chez nous… Quand je vois des gens nous poser la question : « Est-ce que Roch ne va pas tenter un troisième mandat ?», ça nous fait sourire ! A moins qu’il veuille se suicider !

Or je sais qu’il veut encore vivre ! » Et d’ajouter : « Nous, on a beaucoup appris ! » Comme en réponse à Simon COMPAORE, qui a entretemps passé le flambeau au président Bala SAKANDE à la tête du parti majoritaire, le président Roch Marc Christian KABORE, après avoir déposé une gerbe de fleurs au Monument des martyrs pour honorer la mémoire des victimes de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et du coup d’Etat du 16 septembres 2015, a déclaré à ce propos : « C’était un combat pour lutter contre la gestion à vie du pouvoir d’Etat. Ces personnes ont perdu leur vie pour que la démocratie soit recentrée au Burkina Faso. Pour que désormais, chacun qui arrive sache qu’il n’aura que deux mandats à faire et que, après, c’est d’autres personnes qui gèreront le pays. Il n’y a personne d’indispensable au Burkina Faso. Et il faut que cela soit bien retenu par tous. » En tant que membre du Cadre de concertation Majorité/Opposition d’alors, nous avions déjà entendu le président KABORE dire au cours d’une de nos premières réunions qu’il « n’y a pas ce fou-là pour rêver d’un troisième mandat au Faso » !

Nous l’avions répété à ceux qui nous approchaient, mais la méfiance était toujours là et le soupçon vivace. Parce que tout le monde voit toujours courir à travers nos Etats, la sous-région et le continent, des fous du pouvoir aveuglés par des ambitions personnelles inconsidérées ou mus par des forces exogènes dont les intérêts se moquent éperdument de la paix dans nos pays. « L’épidémie du troisième mandat » A y réfléchir, a priori, les disciples de Thomas, ceux qui ne croient qu’après avoir vu, n’ont donc pas tort ! Après cette épidémie de troisième, quatrième, cinquième mandat déguisé en troisième mandat, après tripatouillage des constitutions par des dirigeants sans honneur ni dignité, du Nord au Sud, du Centre à l’Ouest de l’Afrique, après le « printemps arabe et malgré l’hivernage africain », les jongleries constitutionnelles ont toujours cours, près de nous et autour de nous! – Soit on écarte l’adversaire du pouvoir par la fixation d’un âge limite pour briguer le mandat présidentiel ;

– Soit on « révise » sa propre date de naissance, pour dire qu’on est moins vieux ou plus…jeune que ce qui est inscrit sur l’acte de naissance officiel, sans risquer d’être poursuivi pour faux et usage de faux ;

– Soit on met sur le dos de l’adversaire, un délit ou une faute rédhibitoire, invalidante, allant jusqu’à mettre à contribution, des prostituées de luxe ou de la rue pour atteindre ses objectifs ;

– Soit, on sème « le bordel » dans le milieu politique pour justifier son « lenga », la rallonge au pouvoir, par l’instabilité ambiante, etc. – Soit on fait enfermer son adversaire pour un motif quelconque ;

– Soit on l’élimine physiquement et tout simplement. Les chiens aboieront, mais la caravane passera !

– Soit, soit, soit… Les hommes de paille n’ont pas encore la faveur des aspirants à la présidence à vie. Peut-être parce que dans le milieu, la confiance est la denrée la moins bien partagée !

L’homme de paille pouvant se révéler très vite un « homme de fer » qui verrouillerait la porte, une fois au pouvoir, à celui qui lui aurait passé naïvement le témoin, en calculant un retour prochain, à la Poutine-Medvedev ! Croire que l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 est seulement le rejet d’un troisième mandat accordé à Blaise COMPAORE serait, à notre sens, se tromper (au sens actif du terme) sur la dimension absolue, le degré de rejet de son système et de sa personne. Le mal est plus profond, nous semble-t-il ! « Un mal plus profond » Beaucoup de gens ne mesurent pas à quel point ce système a engendré des monstres moraux, de « bonnes gens hier » qui ont été ou ont accepté d’être transformés du jour au lendemain en égoïstes, en menteurs, en faussaires, en méchants, en tueurs, malmenant jusqu’à leurs propres parents et, cynisme suprême, accompagnant leurs cadavres avec des ricanements jusqu’au cimetière, après leur avoir donné soi-même le coup de grâce ! C’est pourquoi nous héritons de ces mentalités de parvenus, de gens qui font la course aveugle à la richesse spontanée, adeptes de contre-valeurs et de divinités malfaisantes, portant l’avoir et le paraître et non-l’être, au sommet de l’adoration. Sous nos cieux, les systèmes d’évaluation des performances des régimes variant à la tête du client, des calculs bizarres peuvent créditer un président d’un progrès qui ne se voit pas dans le panier de la ménagère, lui accorder des succès qu’on chercherait en vain, à la loupe mais dont il pourrait vanter comme de trophées-miracles nécessaires à son…impopularité !

L’arrière-vitrine du régime défunt est tellement sale dans le domaine de la manipulation constitutionnelle qu’il n’est pas nécessaire de s’y attarder. Ce qui fut remarquable et qui fut son modèle déposé, sa marque de fabrique, c’est son aptitude à la répression aveugle de tout doigt qui se levait pour exprimer une vérité qui n’était pas du goût du pouvoir, tout ce qui était loin du larbinisme et de la démagogie. Ce système avait tellement dénaturé certains Burkinabè qu’ils étaient devenus méconnaissables. D’où leur extraordinaire métamorphose après la chute de celui que d’aucuns osent encore qualifier de mentor ! C’était pour beaucoup qui avaient gardé en eux encore un brin de dignité, une sorte de libération posthume, une renaissance en humanité. Les injustices, les passe-droits multiples, les reniements ne sont pas le lot du seul régime défunt, mais il a vraiment « scoré » ! Ne pas le reconnaître, c’est faire le lit d’une réconciliation de rêveurs pour venir après s’étonner, les années à venir, que le monde n’ait pas changé, alors que les recettes ou le remède ne correspondaient pas au mal, sinon aux maux mal diagnostiqués ! D’ailleurs, l’actualité portée par les réseaux sociaux ces derniers jours nous interpelle particulièrement sur le mauvais usage du concept « d’outrage à magistrat » : un procureur anonyme dans un car de voyageurs s’en prend au chauffeur en pleine conduite, mettant ainsi en danger tous les passagers inquiets ! L’un d’eux, inquiet, tente en vain de le raisonner. A l’arrivée, le procureur le fait enfermer ! Et voilà ! Le célèbre journaliste Albert Londres, du temps des colonies, disait, dans son livre de dénonciation Terre d’ébène : « Dès que le Noir représente l’autorité, il est féroce pour ses frères » ! Du président aux « petits » présidents En affirmant aussi catégoriquement qu’il ne rêve pas d’un troisième mandat, mais que nul au Burkina ne doit plus en rêver, le président du Faso donne un coup de pied dans la fourmilière et prive en même temps une certaine frange de l’opinion d’un thème facile et mobilisateur. Les acteurs de l’insurrection populaire sont toujours là. Ils n’auraient pas accepté cette perspective, même si certains parmi eux, par conviction ou par opportunisme, sont à la soupe et aimeraient bien « rebeloter ». Les victimes de l’insurrection ou ceux qui se considèrent comme tels ne demanderaient que cela pour crier à la trahison sinon à la vengeance ! Mais ce qui est le plus fondamental dans cette déclaration-confirmation, c’est son exemplarité nationale, régionale et continentale : un président, bien avant même d’être à mi-chemin de son deuxième mandat, déclare solennellement et vigoureusement, sans l’ombre d’un doute, qu’il n’en veut plus et que personne ne devrait plus y penser ! Nous le devinons aisément, au grand dam de ceux qui y pensent toujours, le matin, au réveil, en se regardant au miroir, avant de se raser, et au coucher, avant de s’étendre et de s’enfoncer dans un lit qui souffre de tout le poids d’illusions désormais compromises ! Parce que, la meilleure manière de neutraliser un voleur à la tire, de l’obliger à être honnête, de lui donner une chance de l’être, c’est de surveiller ses mains et de dire à tout le monde de faire attention à ses mains ! En parlant du Président tout court, n’oublions pas les « petits présidents » nocifs, parfois invisibles mais omniprésents et omnipuissants. Une fois élu ou administrativement « placé », ce genre de responsable s’installe d’abord de tout son poids d’incompétence et avec toutes ses tares dans une direction, un service.

Puis il se met immédiatement à terroriser les autres. Il menace, insulte, met en quarantaine, méprise et maltraite qui il veut à longueur de journée. Gare à toi si tu as l’air de quelqu’un qui peut le remplacer. S’il doit aller en mission, c’est-à-dire, à la chasse aux frais de mission, il ne consent à céder l’intérim qu’à contrecœur. Et là, il verrouille tout, ne laisse aucune correspondance à son intérimaire et est heureux de retrouver à son retour, tout le service dans l’attente du directeur-sauveur-indispensable, le timonier-grand leader administratif, pour faire bouger les choses ! Ce sont les Cicéron de nos régimes qui épouseraient volontiers le vœu du célèbre consul romain : « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ! » Quand ce genre de directeur ou chef de service « doit » partir – définitivement -, il fait place nette, emporte toute la documentation, crée le désert administratif dans la maison et contraint objectivement son successeur à tout recommencer, avec ses vœux d’un échec plus que souhaité à son remplaçant ! Si nous voulons donc que tout aille au mieux, autant nous pensons aux présidents gourmands de pouvoir à vie, ou rêvant de dévolution dynastique, autant il faut aussi penser aux petits présidents nocifs ! Parce que l’érection de citadelles administratives, les guerres de tranchées politiciennes, les comportements autocratiques ne sont pas des comportements patriotiques.

Ils ne participent pas à la culture de la concertation, de la participation, de la responsabilisation, de la transparence, de la mobilisation des ressources humaines, de toutes les ressources. En dernier ressort, cela n’assure ni la paix sociale, ni la paix tout court. Cela cultive les frustrations et les rancœurs dans les relations interindividuelles et collectives, bloque les espoirs, donne naissance au doute qui engendre à son tour, au mieux, des révoltes et au plus, des insurrections ou tout simplement des révolutions, armées ou non. Dieu nous en garde !

A bientôt !

Dr Jean-Hubert Bazié

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