La vraie question

Depuis le 11 octobre 2021, le procès Thomas Sankara se déroule, sous haute sécurité, devant le Tribunal militaire de Ouagadougou. Aucun incident de nature à troubler la procédure n’a été notée. Tout semble marcher comme sur des roulettes, à la satisfaction de ceux qui réclament justice pour le père de la Révolution d’août 1983. On ne pouvait espérer mieux pour une affaire qui a trainé pendant 34 ans avant d’être mise en jugement, à cause des pressions politiques supposées ou avérées, sous le régime de Blaise Compaoré. Audience après audience, les accusés, en fonction des récits servis, livrent des bribes d’informations sur les événements tragiques du 15 octobre 1987.

Ce jour-là, aux alentours de 16 heures, le président du Conseil national de la révolution (CNR), a été abattu par un commando, dans les locaux du Conseil de l’Entente à Ouagadougou. Alors qu’il était en réunion avec des proches collaborateurs, dont la plupart ont également péri dans la fusillade. La suite des évènements ayant profité à Blaise Compaoré, qui s’est emparé du pouvoir pour instaurer le Front populaire, celui-ci est apparu depuis lors, comme le principal commanditaire de l’assassinat de son frère d’armes et « ami intime », Thomas Sankara.

Blaise Compaoré n’avait-il pas lui-même expliqué les faits, dans son premier discours en date du 19 octobre 1987 ? « Depuis plus d’une année, un conflit latent, puis ouvert a opposé deux conceptions antagoniques dans la Révolution d’Août (…). La politique du fait accompli du Président du CNR, si elle était compréhensible au début du processus, devenait aventuriste et dangereuse au fil des ans, voire inadmissible du point de vue des grandes orientations politiques, économiques, sociales et culturelles définies (…) », avait-il soutenu, entre autres. Son inculpation dans le dossier, avec 13 autres personnes, dont ses ex-chefs d’état-major particulier, le général de brigade, Gilbert Diendéré et de sécurité, Hyacinthe Kafando, en dit long sur les évènements du 15 octobre 1987.

L’ancien président du Faso, réfugié depuis sa chute en 2014 en Côte d’Ivoire, est poursuivi pour attentat à la sûreté de l’Etat, complicité d’assassinat et recel de cadavres. Des faits, que Blaise Compaoré ne reconnait manifestement pas. L’ex-chef d’Etat a dénoncé, par l’entremise de ses avocats, un procès « politique », auquel il ne prend pas part. Son homme lige, Hyacinthe Kafando, considéré comme le chef du commando qui a « neutralisé » Sankara et en fuite hors du pays depuis 2015, ne comparait pas non plus. Il n’est plus possible d’avoir leurs versions des faits dans cette affaire, ce qui est regrettable. A moins qu’un miracle ne s’opère ! Compaoré et Kafando vont être condamnés par contumace, si les faits à eux reprochés sont établis. La seule « pièce maitresse » du dossier présente est Gilbert Diendéré, dont le récent passage à la barre, a laissé plus d’un sur sa soif. Poursuivi pour complicité d’assassinat et d’attentat à la sûreté de l’Etat et subornation de témoins, « Golf » n’a pas fait de révélations, comme on l’espérait. Il a plaidé « non coupable ». Hormis ses brèves altercations avec le parquet militaire et certains avocats des parties civiles qui ont alimenté les réseaux sociaux, le gal Diendéré n’a pas porté le chapeau qu’on lui prête. A la barre, ce haut gradé, pour le moins énigmatique, a déclaré avoir simplement constaté les faits, le 15 octobre 1987, au sein du Conseil de l’Entente. Ce discours allait faire moins jaser, si Diendéré, tout puissant commandant adjoint du Centre national d’entrainement commando (CNEC) de Pô à l’époque, n’était pas le responsable en charge de la sécurité des lieux. Spéculation ou pas, il dit n’être pas dans le secret de l’opération, qui a coûté la vie à « Thom Sank » et à ses douze compagnons.

Un point, un trait. Mais les « incohérences » constatées dans les déclarations du gal Diendéré n’ont pas convaincu le parquet militaire et les avocats des parties civiles, qui comptent apparemment sur le passage des témoins pour le confondre davantage. Après tout, sa ligne de défense et celle des autres accusés, qui ont plaidé dans l’ensemble non coupable, est simple : nous y sommes pour rien dans ce qui est arrivé à Sankara ! Il ne fallait donc pas s’attendre à ce que les accusés, pour la plupart, confirment, toutes les déclarations faites devant le juge d’instruction. Même si certains d’entre eux connaissent des problèmes de santé, ils ne semblent pas avoir trop de difficulté à remonter le cours du temps, à les suivre à la barre. Il ne faut cependant pas perdre de vue, qu’il s’agit de graves événements qui ont marqué l’histoire du pays. En de pareilles circonstances, aucun accusé ne va passer facilement aux aveux, même si les faits et les témoignages le condamnent. On pourrait être édifié à ce propos au fil des audiences… La loi étant la loi, les 14 accusés dans l’affaire Thomas Sankara sont présumés innocents, jusqu’à ce que le tribunal militaire de Ouagadougou établisse leur culpabilité ou les disculpe pour de bon. Il faut donc espérer qu’au terme des débats, la responsabilité des uns et des autres soient clairement située dans cette affaire de plus de trois décennies. Le pays en a besoin pour panser une partie de ses plaies. Le procès va-t-il mettre en lumière toutes les zones d’ombre qui entourent l’assassinat de Thomas Sankara ? C’est la vraie question…

Kader Patrick KARANTAO

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