Lâcher de moustiques génétiquement modifiés à Bana : La recherche du «remède» au paludisme oppose les avis

Pour le chercheur principal du projet, Abdoulaye Diabaté (à gauche), si cette recherche aboutit, le Burkina Faso sera une référence en matière de lutte contre le paludisme.

6400 moustiques génétiquement modifiés ont été lâchés, le 1er juillet 2019, dans le village de Bana, situé à 21 Km de Bobo-Dioulasso. Cette opération, première étape du projet «Target malaria» qui vise à lutter contre le paludisme, est diversement appréciée par les populations.

Situé dans l’arrondissement 7 de Bobo-Dioulasso, le village de Bana a été choisi par les chercheurs de l’Institut de recherche en sciences de la santé du Burkina Faso (IRSS) pour la mise en œuvre du projet «Target malaria». Le lundi 1er juillet 2019, 6400 moustiques mâles stériles ont été ainsi lâchés dans l’environnement du village. Quelques semaines après cette opération, la vie suit son cours normal à Bana où vivent près de 2500 âmes. Les populations voisines fréquentent toujours le village. La grande voie qui traverse cette bourgade pour rejoindre la capitale économique burkinabè, grouille de monde. Des taxis-motos transportant des personnes et des marchandises vont et viennent sur tout le long du trajet.

Aux abords de cette grande artère, des commerces (boutiques, cabarets, vente de beignets, etc.) sont ouverts. Les uns et les autres s’activent pour attirer le maximum de clients en cette journée de pluie de ce dimanche 21 juillet 2019. «Le lâcher n’a affecté en rien notre quotidien. Nous continuons à vaquer tranquillement à nos occupations. Il n’y a aucune différence», confie le notable, Tckèsira Sanou. Le marché du village a lieu tous les vendredis. «Il grouille toujours de monde, des populations venues des villages voisins. Au contraire, elles nous envient car selon elles, Bana a eu la chance de faire partie de l’histoire de la recherche au Burkina Faso.

Il a désormais une renommée internationale grâce au projet. Contrairement à ce qu’en pensent plusieurs personnes, le village est très fréquenté», atteste le chef du village, Sitélé Sanou. Selon l’institut, ce lâcher à petite échelle est conforme aux exigences éthiques et réglementaires. Il a, à entendre les premiers responsables, obtenu l’assentiment des populations des zones concernées, et l’approbation de l’Agence nationale de biosécurité du Burkina Faso.

La recapture des moustiques

Ce moustique stérile, une fois muni de la technologie «gene drive», va lutter contre le paludisme.

Toute chose confirmée par les premiers responsables du village. «Avant le début du projet en 2012, nous avons été consultés par les responsables du projet ainsi que ceux de l’agence nationale de biosécurité pour nous expliquer les tenants et les aboutissants de ce projet. Nous avions au départ des appréhensions, mais, nous avons par la suite compris que c’est une recherche noble sans conséquence sur la vie de la population. Nous avons donné notre accord», soutient le notable.

En réalité, cette première phase des moustiques génétiquement modifiés dans l’environnement ne consiste pas à lutter contre le paludisme, mais à observer le comportement de ces moustiques modifiés hors de l’enceinte expérimentale en vue d’évaluer son niveau de vie. Pour le chercheur principal du projet, Abdoulaye Diabaté, il s’agit d’un lâcher et recapture des moustiques.

«Depuis le 1er juillet, nous procédons à la recapture de ces moustiques et cela va se poursuivre jusqu’au nombre total lâché. C’est à l’issue de ces études, une fois concluantes, que la technologie « gene drive » pourrait se mettre en place pour lutter véritablement contre le paludisme», précise le chercheur principal du projet. Pour lui, la sécurité constitue l’une des priorités du projet.

Ces moustiques mâles stériles, assure-t-il, ne persisteront pas dans l’environnement, ils disparaîtront au bout de quelques semaines. Les mâles étant stériles ne peuvent pas procréer, car, les œufs n’arrivent pas à maturité et ne sont donc pas viables. Cela s’explique, indique-t-il, par l’utilisation d’une protéine qui vise à désactiver les gènes spécifiques nécessaires à la reproduction dans l’ADN du moustique. A ses dires, cela supprimera la capacité du moustique mâle à se reproduire.

Toute cette recherche est encadrée et suivie par l’Agence nationale de biosécurité (ANB), l’institution de régulation de la biotechnologie au Burkina Faso. Peut-on dire qu’il n’y a aucun danger ? «Ce lâcher est une dissémination contrôlée, dans un environnement où des mesures de gestion ont été prises. Tous ces moustiques seront recapturés et le comptage se fera devant l’inspection de l’agence», assure-t-il. 6400 moustiques ont été lâchés lors de l’opération avec 0,5% de femelles.

A l’entame de la recherche, l’ANB a analysé et évalué les risques en prenant en compte toutes les questions de risques potentiels en rapport avec la santé humaine animale et environnemental du projet. «Un comité scientifique national de biosécurité composé de 13 experts s’est réuni du 3 au 7 avril 2018. De ces analyses, il ressort que le risque global lié aux activités est négligeable, d’où l’autorisation délivrée à l’IRSS.

Cependant, l’institut a l’obligation de respecter le protocole pour lequel l’autorisation a été livrée. Et cela s’est fait après consultation des populations de Bana et aussi l’aval de l’Union africaine et de la CEDEAO», soutient la directrice générale de l’ANB, Chantal Zoungrana. De l’importation des œufs de moustiques jusqu’au lâcher, l’inspection de l’ANB fait le suivi de la recherche.

Des effets imprévisibles

Malgré toutes ces précautions prises, la société civile pense que la recherche pourrait nuire à la population de Bana, et au pays tout entier. Aux dires du porte-parole du collectif citoyen pour l’agro- écologie, Ali Tapsoba, la population n’a jamais donné son accord pour une telle expérience. «Il n’y a eu aucune véritable consultation du public hormis les activités de dialogue public menées.

L’ambiance à Bana n’a pas changé car les cabarets ne désemplissent pas.

Des témoignages de certains villageois indiquent qu’ils n’ont pas été correctement informés quant au projet ou à ses risques potentiels», fustige-t-il. De nombreuses questions restent en suspens. Il s’agit notamment de l’absence d’une évaluation exhaustive et publiée des risques environnementaux, et des incertitudes quant à l’impact des moustiques GM (génétiquement modifiés) sur la santé humaine, animale et environnementale.

«Il n’existe, d’ailleurs, pas de données publiées sur les effets potentiels de la modification génétique sur le moustique, telles que la capacité accrue de transmettre des maladies dont ils sont des vecteurs et la stabilité du matériel génétique introduit dans les moustiques. Et si celui-ci est susceptible ou non de subir une mutation avec des effets potentiellement imprévisibles. De plus, les effets potentiels liés à la toxicité pour les organismes non ciblés n’ont pas été évalués», dénonce Ali Tapsoba.

A son avis, cette génération de moustiques pourrait transmettre d’autres virus, des neurotoxines, des larves au niveau des rivières. Ce qui engendrerait, à long terme, des intoxications alimentaires. Pour lui, les chercheurs s’aventurent dans une science incertaine. Nulle part au monde, poursuit-il, des lâchers n’ont abouti au forçage génétique qu’est le «gene drive». De l’avis du généticien Didier Zongo, la dissémination au champ de ces insectes ne devrait pas se faire.

«L’expérimentation se fait toujours en enseigne close. Et c’est à l’issue des résultats qu’on peut aller faire des tests dans la nature afin de compléter la recherche. Cela démontre à souhait que les chercheurs ont fait fi des intérêts des paysans avec en toile de fond un manque de vigilance de la part des autorités politiques», confirme-t-il. C’est pourquoi, la société civile, martèle M. Tapsoba, compte convoquer l’ANB au niveau du tribunal administratif pour le non-respect de l’éthique, la cohabitation entre l’homme et ces moustiques n’étant possible.

«Nous sommes prêts à les affronter en justice. Car nous suivons la règlementation en vigueur», rétorque Mme Zoungrana. Pour elle, il est nécessaire de tenter la recherche, s’il existe une possibilité d’éradiquer le paludisme à travers la technologie «gene drive». Mieux, toute recherche menée, poursuit-elle, n’est jamais inutile si, au-delà de résultats mitigés, elle ouvre d’autres débouchés. «Si le Burkina abrite ce projet, il le doit à la compétence de ses chercheurs, à l’engagement des gouvernants à trouver des solutions aux problèmes de santé.

Et ce, dans un environnement compétitif de la recherche où seuls les meilleurs sont choisis», souligne le chercheur principal du projet. Mais toute cette recherche ne peut que profiter au Programme national de lutte contre le paludisme. A ce sujet, le coordonnateur du Programme national de lutte contre le paludisme, Dr Yacouba Savadogo, estime qu’il ne faut pas négliger un moyen de lutte pour éliminer le paludisme. «Nous ne sommes pas opposés à ce que les recherches se poursuivent sur le terrain pour trouver des moyens efficaces et innovants. Nous souhaitons seulement que des résultats probants puissent en ressortir afin que nous puissions nous en approprier», espère Dr Savadogo.

Fleur BIRBA
fleurbirba@gmail.com


Les risques potentiels évalués par l’ANB

1- Les protéines exprimées à partir des nouveaux gènes sont toxiques ou allergéniques pour les personnes piquées par les moustiques GM femelles ou sont toxiques pour les prédateurs qui consomment les moustiques GM (mâles stériles et femelles)
2- Les moustiques femelles présents dans le lâcher conduisent à un nombre accru d’insectes vecteurs pour la transmission du paludisme
3- Les moustiques mâles réduisent la population de moustiques dans le village entraînant une augmentation d’autres espèces de moustiques ; ce qui augmente l’incidence d’autres maladies telles que la dengue
4- es moustiques femelles présents dans la libération survivent et se reproduisent avec des mâles de type sauvage locaux pour établir des populations de moustiques GM
5- Le transfert de gènes à d’autres espèces de moustiques ou à d’autres organismes
6- L’augmentation de la survie des moustiques GM en raison de conditions écologiques favorables
7- L’augmentation de la reproduction des moustiques GM en raison de la fonction réduite du gène de la stérilité mâle
8- L’augmentation de la dissémination des moustiques GM dans d’autres localités en raison de l’évasion des moustiques GM de l’élevage pendant le transport ou par un mouvement de longue distance depuis le lieu de la dissémination (ex : propagation accidentelle par vêtements, marchandises ou véhicules)
9- La mauvaise compréhension de l’objectif du lâcher des moustiques GM conduisant à une réduction de l’utilisation des méthodes habituelles de lutte contre le paludisme
10- La mauvaise compréhension de l’objectif du lâcher des moustiques GM conduisant à une réduction de l’affluence des villages voisins lors des marchés hebdomadaires
11- Les moustiques GM lâchés dans l’environnement augmentant les nuisances sonores


Qu’est-ce que la technologie «gene drive»

La technologie «gene drive» est la transmission d’un caractère génétique d’un parent à sa descendance à travers la reproduction sexuée. L’élément génétique ciblé se retrouve, en fin de compte, dans la totalité ou la quasi-totalité d’une population donnée.

En effet, le phénomène «gene drive» existe à l’état naturel chez certains animaux et des microbes. Mais dans le cas des vecteurs de maladies, tels que certaines espèces de moustiques, la transmission génique est le seul moyen pratique d’introduire des caractères désirés dans l’ensemble de la population pour réduire leur capacité de transmission de la maladie.

Elle peut être utilisée de deux manières dans la lutte contre le paludisme, soit par la suppression de la population des moustiques, soit par la modification de la population. Dans le cas de la suppression, le gène artificiel introduit dans la population de moustiques va soit changer la transmission des chromosomes sexuels de sorte que la plupart des descendants sont des mâles, soit inhiber les gènes de fertilité femelles de sorte que les anophèles femelles ne pondent plus d’œufs.

Ceci va entraîner au cours du temps, une réduction de la population, voire son élimination. Dans ce cas, les constructions génétiques introduites ne devraient pas persister dans l’environnement. C’est l’exemple de la recherche à l’IRSS. Dans le cas de la modification de la population, les constructions génétiques introduites sont celles qui réduisent la capacité vectorielle des moustiques, c’est-à-dire leur capacité à transmettre les parasites du paludisme.

Par exemple, des segments génétiques spécifiques qui codent les protéines de liaison du parasite dans le moustique sont modifiés de sorte que ces parasites ne peuvent plus se lier aux récepteurs, rendant ainsi la descendance incapable d’abriter les pathogènes du paludisme. Le projet concerne le Burkina, l’Ouganda et le Mali.

F.B.
Source IRSS

 

Laisser un commentaire