Le fantôme d’Idriss Deby Itno

Le procès des 454 rebelles accusés de l’assassinat de l’ancien Président tchadien, le maréchal Idriss Deby Itno, s’est ouvert, le lundi 13 février 2023, devant la Cour criminelle de la Cour d’appel de N’Djamena, dans l’enceinte de la prison de Klessoum, à une vingtaine de kilomètres au Sud-Est de la capitale.

Ce jugement, qui se tient à huis clos, a démarré sous les chapeaux de roue. Annoncé quelques jours plutôt, le procès a été aussitôt entamé, ce qui a amené les avocats des prévenus, pour la plupart commis d’office, a protesté contre ce délai court. Ils ont surtout regretté que l’unique volumineux dossier commun à tous les accusés leur a été transmis à la « toute dernière minute ». Dès son ouverture, le procès avait été ajourné à hier mercredi, par le procureur général, Abba Nana, mais il n’est pas sûr que ce temps permette aux accusés d’être assistés convenablement et à leurs conseils de mieux s’imprégner du dossier.

Exit ces aspects non négligeables, la pléthore d’accusés ne comparaît pas pour répondre seulement de l’assassinat de l’ex-chef de l’Etat tchadien. Tous membres du plus puissant groupe rebelle du pays, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (ou FACT), ils sont également poursuivis pour terrorisme, mercenariat, enrôlement d’enfants et atteinte à la sûreté nationale. Des faits très graves, pour lesquels ils encourent une condamnation à perpétuité. Alors que le FACT espérait leur libération, comme promise par les autorités lors du dialogue national inclusif, les accusés vont finalement passer par la case justice.

Pour l’essentiel, ils devront s’expliquer sur les circonstances qui ont conduit à la mort du très redouté, Idriss Deby Itno que ses admirateurs, et même certains de ses adversaires, croyaient invincible. Pour avoir géré le Tchad d’une main de fer pendant 31 ans, l’illustre disparu ne pouvait pas ne pas faire l’objet d’un tel préjugé. Malheureusement, comme tous les êtres mortels, Idriss Deby Itno a quitté ce monde, le 20 avril 2021, dans des circonstances, que ce procès permettra peut-être de comprendre.

La version officielle, servie par le nouvel homme fort du Tchad, le fils du défunt, le général Mahamat Idriss Deby Itno, fait état de ce que son père aurait été tué, dans le désert du Kanem, lors d’une tournée pour galvaniser ses troupes face à une offensive contre les rebelles du FACT, qui opéraient une descente sur N’Djamena. L’ancien président tchadien aurait été touché par un éclat ou un tir rebelle et n’aurait pas pu être sauvé, malgré les efforts consentis dans ce sens.

Jusqu’à présent, ce récit des faits ne convainc pas certains esprits, des indiscrétions relevant que le maréchal Deby, habitué à aller au front sans couacs, aurait été victime d’un complot familial. Connaitra-t-on la vérité dans ce drame ? On l’espère bien, même si a priori, de nombreuses zones d’ombre subsistent. Ce dossier est typiquement militaire, sous un régime militaire, que même si le maréchal Deby a effectivement été victime d’une cabale, il n’est pas évident d’assister à un grand déballage.

Ce d’autant plus, que les accusés ne sont que des rebelles qui pourraient bien passer pour des boucs émissaires. Au-delà de ces considérations, il faut souligner l’instauration d’une tradition des procès en masse au Tchad, ce que les organisations de défense des droits de l’Homme déplorent. On se rappelle, le procès des 401 jeunes présumés manifestants dans la prison de Koro Toro.

Accusés entre autres de meurtres, de disparitions forcées et d’actes de torture, ils ont été condamnés à des peines de prison ferme allant jusqu’à trois ans, sans bénéficier de l’assistance d’avocats. Ces procès en masse, tenus dans des conditions pas toujours normales, donnent l’impression d’une justice expéditive. Ce qui est de nature à ternir davantage l’image du Tchad…

Kader Patrick KARANTAO

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