Le fantôme et la maison

Pendant que la tragédie nationale se porte bien, nous aussi, nous nous portons à merveille ! A tous les niveaux de nos petites vies, nous nous comportons comme des acteurs de cinéma. Ce qui est dit n’est pas ce qui est ou sera ; ce qui est montré n’est pas vraiment ce qui est vu ; même ce qui est brandi avec conviction n’est que leurre et fiction. La parole et les beaux discours sont devenus le fort du Burkinabè ; les débats de salon et les critiques à l’antenne sont devenus l’antienne du requiem ; les condamnations et les lamentations sempiternelles sont devenues la pitoyable ritournelle d’un espoir qui s’estompe à petit feu. Pendant ce temps dans la capitale, c’est la totale ; chacun se bat pour son gombo et tant pis si le navire va à vau-l’eau ; chacun se bat même contre l’autre pour avoir une place autour de la mangeoire, sans gloire ; on se regarde en chiens de faïence tout en prônant la tolérance ; on parle même de résilience en se pavanant dans les méandres des bombances des grandes vacances. Les maquis drainent plus de monde que les temples et églises ; nous prions pour la paix en égrenant nos chapelets de haine avec une dent contre le prochain ; nos traditions regardent allègrement l’ennemi se balader sur nos terres dites sacrées et verser impunément le sang nacré de la fratrie sans que la foudre ne retentisse, sans que le déluge du pogrom ne monte de colère, sans que le vent ne décoiffe le mal, sans qu’un seul grain de sable ne tombe dans les yeux du mauvais œil. Nous avons fini par porter le deuil. Si chacun de nous pouvait accepter de penser honnêtement et sans ambages, nous nous rendrons compte que nous sommes responsables, voire coupables à degrés divers de la situation qui prévaut dans notre pays. De notre indifférence à nos différends, de notre avidité à notre cupidité en passant par nos complicités suicidaires, nous sommes des Hommes armés non intègres (HANI).

Il suffit parfois et simplement de se demander si nous aimons vraiment ce pays et nous aurons aussitôt la réponse que nous n’oserons peut-être pas dire à haute voix. Il y a des Burkinabè aujourd’hui qui fuient leur propre reflet dans un miroir. Ils ne peuvent même pas se regarder eux-mêmes en face, parce qu’ils ne sont pas dignes d’eux-mêmes. Au-delà des artifices honorifiques que nous arborons fièrement, nous ne sommes que des tigres en papier froissables à volonté devant l’honneur qui crie à l’horreur. Jusqu’à quand va encore durer le supplice ? A quand l’ultime sursaut pour l’assaut final ?

En vérité, le sursaut n’est pas que militaire ; il est aussi humanitaire et solidaire ; il est intègre et patriotique ; il est véridique et sincère. Voilà pourquoi Dieu lui-même semble « sourd » à nos peines. Voilà pourquoi nos prières agonisent sur la civière. Voilà pourquoi le poulet sacrificiel refuse de tomber sur le dos comme pour nous dire que nos « ventres sont noirs ». Voilà pourquoi certains n’osent même pas parler au nom des ancêtres parce qu’indignes et englués dans les menus fretins hérétiques de la politique. Où est donc passé le Burkinabè d’hier ? Pourquoi celui d’aujourd’hui peine-t-il à relever le défi urgent du moment ? Aujourd’hui, c’est plus facile de trouver du poison pour éliminer son antipathique prochain que de trouver la potion mystique qui éradique l’ennemi de tout un peuple.

On indiquera la cour du sorcier capable des prouesses de l’animosité gratuite mieux qu’un GPS. De nos jours, il y en a qui peuvent d’une chiquenaude se débarrasser d’un collègue travailleur gênant, d’un adversaire encombrant ou d’un sérieux concurrent, mais ils sont incapables de voir venir toute une horde de malfaiteurs armés sur des motos vrombissantes, parfois à midi pile. Qu’est-ce à dire ? Nous avons troqué notre intégrité avec les mondanités matérielles de la pauvreté spirituelle. Nous avons transgressé les lois du sacré pour nous réfugier dans le confort inhabité de la compromission. Nous avons divorcé d’avec nous-mêmes en invoquant la lumière dans les ténèbres, en cherchant la vérité avec le mensonge, en prônant la justice dans l’iniquité, en cherchant à se réconcilier sans même savoir pourquoi, sans avoir le courage d’assumer ses propres turpitudes. Toutes ces salissures rebutent la terre et tous les mystères salvateurs du monde des esprits. Et les plus avisés savent bien qu’on ne va pas en guerre ou à la guerre en entretenant la guéguerre. On ne vainc pas l’ennemi en étant soi-même ennemi dans le clan. Quand on veut gagner plus qu’une bataille, on « se lave » d’abord le ventre avant d’être digne de l’antre des aïeux. Hélas, le fantôme est déjà dans la maison, faut-il fermer ou garder la porte ouverte ?

Clément ZONGO clmentzongo@yahoo.fr

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