Le panier de crabes

Quand j’étais petit et plus tard jeune adolescent, on me disait que le Burkina Faso était le pays des Hommes intègres. Après, les pages de l’histoire m’ont révélé qu’après la création de la Haute-Volta en 1919, il a failli ne plus exister en 1932 quand il fut supprimé, démembré et partagé entre ses voisins la Côte d’Ivoire, le Niger et le Soudan (actuel Mali). Mon peuple serait aujourd’hui partagé et phagocyté par ses voisins.

Je serais aujourd’hui peut-être Ivoirien, toi Malien ou Nigérien. Il a fallu lutter pour laver l’affront, reconstituer mon Faso bien aimé dans ses limites d’antan et restaurer son intégrité physique, sa souveraineté. Des gens biens et dignes se sont battus pour ce pays sans rien attendre en retour. Certains ont payé de leur vie en versant leur sang sur l’autel du sacrifice pour que renaisse la nation.

Aujourd’hui, je reconnais à peine ce pays de braves bras valides, battant et résilient. L’Etat était la prolongation de chacun et tous étaient l’incarnation de l’Etat dans un esprit d’unité et de solidarité. La fierté était une qualité non négociable, un cri de guerre héréditaire qui se chantait le poing fermé et levé, le regard conquérant.

Le bien public avait un caractère sacré. Même loin des regards, le vrai Burkinabè avait du mal à voler le peuple, même quand il en avait la possibilité. Sa conscience était plus forte que son instinct de cupidité. L’intérêt public transcendait l’intérêt personnel et les contrevenants étaient jugés et sanctionnés par le peuple et devant le peuple, au nom du peuple. L’Etat, c’était vraiment NOUS ! Chacun avait sa part de pierre et de motte de terre, son seau d’eau et son énergie pour ériger les bastions de la patrie.

Il n’y avait pas d’une part des privilégiés à la paume douce et d’autre part des ânes de la République. Quand on pliait l’échine pour se soumettre au travail d’intérêt commun, il n’y avait pas de chef, il n’y avait pas de subalterne ; tous allaient au charbon sans porter des gants et étaient fiers de se salir les mains pour que se polisse l’honneur. Aujourd’hui, l’héritage des pères n’est plus rien d’autre qu’un patrimoine bradé et spolié par de maladroits ayant droit sans foi ni loi. L’intégrité ne se mérite plus ; elle se vend et s’achète à vil prix à la tête du client. L’homme intègre ne va plus au charbon pour mériter la soupe du chaudron. Il mange à la sueur du front des autres, parce qu’élu à la table des apôtres. L’homme intègre ne l’est que de nom et de façade.

Ainsi, on hissera le drapeau national les poches pleines du butin national. On jurera sur la Constitution haut la main avant de brader le patrimoine de la Nation haut les mains. On donnera des leçons de gouvernance vertueuse dans la tunique du saint, avant d’aller braquer avec aisance les institutions de tolérance sur fond de concussion et sans la moindre punition. On traînera ses casseroles sur la pointe des pieds en chantant l’hymne national pour paraître digne avec les insignes de la République.

On fera fortune sur la cendre des infortunés aux abois, en pactisant avec le diable pour détruire sa propre patrie et ériger les murs en dur de la félonie. On jouera sur scène devant des spectateurs vautrés qui applaudissent à tue-tête sans savoir ni voir les ficelles de l’illusionniste qui fait mouvoir le sublime ridicule, sans scrupule. Mais peut-on réveiller quelqu’un qui ne dort pas ? C’est ainsi qu’en usant de matériaux dépassés, on osera inventer l’avenir en étant au passé, sans savoir se surpasser. C’est ainsi qu’on regardera le Titanic couler en se contentant de courir vers la proue du bateau qui va à vau-l’eau en tonneau et en solo. La vérité n’est pas bonne à dire mais à quoi bon se dédire ? La vérité n’est pas bonne à entendre, seuls les menteurs et les flatteurs assis à la droite du roi ont droit au chapitre. Mais quand l’étau se referme, à quoi bon se couvrir la tête ? Nous sommes dans un panier de crabes !

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr

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