Le pouvoir de la réconciliation

Le 14 janvier 2021, le ministre d’Etat auprès du président du Faso, ministre chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale, Zéphirin Diabré, a pris officiellement fonction. Animé d’un engagement sacrificiel pour son pays, l’ex-chef de file de l’opposition politique a saisi la main tendue du chef de l’Etat qui a promis de faire de la réconciliation nationale le socle de son deuxième mandat. M. Diabré s’est immédiatement mis au travail, rassurant au passage, qu’en parlant de réconciliation, « il ne s’agit pas d’arrangements entre hommes politiques ».

Tortures, assassinats, corruption, crimes économiques, vandalisme, spoliation, fronde sociale, conflits communautaires, crises foncières, humanitaires, terrorisme… l’histoire récente du Burkina Faso aura été des plus agitées. Au point que la classe politique actuelle et le citoyen lambda en sont arrivés à se poser la même question au même moment : comment honorer les victimes tout en “réparant” les vivants ? La réponse tout aussi unanime est qu’un seul et même scénario doit être favorisé: la catharsis nationale, l’un des vœux les plus chers des Burkinabè en ce début d’année.

Que ce soit au Burkina Faso dans certaines circonstances ou dans d’autres pays qui ont été éprouvés par des conflits plus ou moins ouverts, le “pouvoir” de la réconciliation, selon le mot de l’ancienne secrétaire d’Etat americain, Hilary Clinton, est une formule sans aucune alternative pour un pays. Si les uns et les autres ne tarissent pas d’éloges sur sa portée, la notion de réconciliation se révèle moins évidente qu’il n’y paraît, chaque protagoniste étant enclin à y mettre du contenu à son avantage, avec, cependant, une constante pour tous: elle doit avoir lieu le plus vite possible et concerner tous les niveaux.

Tantôt perçue comme un but évident, tantôt comme un objectif indécent (c’est selon), la réconciliation telle qu’elle devrait être conduite au Burkina Faso pourrait se fonder sur son acception la plus modeste et la plus neutre de rapprochement, entendu comme un processus tendant à réduire les distances, à améliorer progressivement les relations entre anciens protagonistes. Ce qui exclut une réconciliation-type ou prêt-à-porter qui, à coup sûr, ne conviendrait pas à toute la diversité des situations en présence.

C’est dans cette logique que le président du Faso s’est contenté d’en fixer le cap dans des termes sans équivoque lors de son discours d’investiture pour son second mandat: “Ma conviction est établie que la réconciliation nationale ne saurait faire l’économie des crimes de sang, des crimes économiques et politiques … La réconciliation nationale que j’appelle de tous mes vœux doit …nous permettre de définir ensemble les bases d’une société burkinabè fondée sur les valeurs cardinales du travail, de la probité, de la dignité et de la défense de l’intérêt national… ». De là découle une question centrale. Quels mécanismes de rapprochement les forces vives du pays décideront-elles de mettre en œuvre?

La réponse appelle la mise en œuvre d’un autre processus. Celui de la justice transitionnelle qui a été le catalyseur du modèle sud-africain et rwandais de résolution de leur passé traumatique afin de favoriser l’évolution vers un avenir commun. D’un côté, l’Afrique du Sud a adopté, en 1995, la loi de promotion de l’unité nationale et de la réconciliation et créé la Commission pour la Vérité et la Réconciliation (CVR). De l’autre, le Rwanda a opté pour la justice d’abord au regard de la gravité des crimes commis avant de mettre progressivement l’accent sur la réconciliation par réalisme (plus de 80 mille personnes à juger, ramification des responsabilités jusqu’au sommet de l’Etat).

Convaincu qu’il n’y a pas d’avenir sans pardon, le pays optera finalement pour une Commission nationale de l’unité et de la réconciliation (CNUR) en 1999 et pour les “gacaca”, juridiction inspirée des procédures traditionnelles de résolution des conflits sur la base du pardon. Le Rwanda est devenu aujourd’hui un modèle enviable de développement sur le continent. Le cas du Burkina Faso ne sera certainement ni l’un, ni l’autre. Mais en prendra de la graine pour nourrir une solution burkinabè comme ce pays a coutume d’en avoir, fort du soutien populaire et d’une réelle volonté politique. Des résistances, il n’en manquera pas. Ces voix dissonantes peuvent plutôt s’interpréter comme un droit à la plainte face à l’absence de réponse évidente à l’irréversible.

Mahamadi TIEGNA

1 COMMENTAIRE

Laisser un commentaire