« Le président du Faso gagnerait à se démarquer des vuvuzelas politiques, des griots politiques… », dixit Pr Serge Théophile Balima

Selon l’enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, Pr Serge Théophile Balima, le président du Faso doit se mettre au-dessus de la mêlée et montrer qu’il ne travaille pas pour un camp, mais pour tous les camps.

Dans cet entretien accordé au journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, l’enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, Pr Serge Théophile Balima, livre son analyse, sous l’angle communicationnel, de l’adresse à la Nation du Président du Faso, Paul- Henri Sandaogo Damiba, du 4 septembre 2022. Il jette également un regard critique sur la communication d’ensemble dans la conduite de la Transition et esquisse des pistes d’amélioration.

Sidwaya (S) : Le Président du Faso, Paul Henri Sandaogo, s’est adressé à la Nation, le dimanche 4 septembre 2022, pour son premier bilan sur la reconquête du territoire. En tant qu’enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, quelle lecture faites-vous de ce discours, sous l’angle communicationnel ?

Pr Serge Théophile Balima (S.T.B.) : Sous l’angle communicationnel, je peux dire que le président du Faso a fait un diagnostic de la situation globalement satisfaisant ; il a situé les responsabilités des différents acteurs nationaux par rapport à la situation actuelle que nous vivons. De ce point de vue, il a fait preuve de courage, d’honnêteté et d’impartialité. Car, il a reconnu que l’armée elle-même était en partie responsable de cette situation dramatique dans laquelle le pays se trouve aujourd’hui.

Au-delà de ces considérations, personnellement, je voudrais simplement dire que sur le plan communicationnel, il est difficile de faire une appréciation à partir de ce seul discours, la communication étant une totalité organique. Cela veut dire qu’il y a beaucoup de paramètres qui entrent en ligne de compte dans l’appréciation d’une communication institutionnelle, gouvernementale ou politique.

Il y a effectivement les mots qu’il emploie, le vocabulaire, l’aspect sémantique. Mais cela ne suffit pas. En politique, surtout en période de crise, ce qui compte le plus pour apprécier une communication est davantage le comportement des différents acteurs, à commencer par lui-même son propre comportement vis-à-vis de l’opinion, vis-à-vis des citoyens. Il faut que les comportements des autres acteurs qui exercent une partielle de pouvoir soient en harmonie avec les mots qui sont employés.

Autrement, il faut que les comportements tendent à corriger les tares, les dérives qu’il a eues lui-même à diagnostiquer. Si les comportements ne vont pas dans le sens de la correction du diagnostic qui a été fait, évidemment, la communication va perdre sa crédibilité ! Autre élément à prendre en compte dans cette communication, ce sont les décisions qu’il aura à prendre. Il faut que ces décisions tendent à corriger les manquements, les dérives, voire le dévoiement comme il a constaté.

Si, les décisions ne vont pas dans le sens de cette correction des tares et des insuffisances, sa communication perd sa crédibilité. Un autre aspect à prendre en considération sur le plan communicationnel, au-delà du comportement et des décisions qu’il aura à prendre, il faut absolument que lui-même incarne les nouvelles valeurs qu’il veut proposer aux Burkinabè. Et je pense que de ce point de vue, les Burkinabè ont besoin d’un signal très fort.

En réalité, comme, il l’a dit lui-même, notre pays manque de leaders charismatiques ; et pour créer ce charisme à son propre niveau, il a besoin de donner des signaux très forts aux Burkinabè. A savoir qu’il doit se mettre au-dessus de la mêlée ! Or, si je constate que ce qui se passe aujourd’hui sur la scène politique et sociale, j’ai bien peur que le président du Faso ne soit embobiné par une race de politiciens véreux qui se transforment en vuvuzela.

Lorsque vous les écoutez sur les plateaux de télé, ils se font passer pour des enfants de chœur en évoquant des arguments tout à fait lisses comme le patriotisme. Alors qu’en réalité, ces gens-là n’aiment pas le pays ; ils aiment plutôt leurs positions dans le pays. Ils voudraient donc reconquérir une sorte de paradis perdu pour eux. Je pense que le président doit être très très ferme par rapport à ceux-là, en se mettant au-dessus de la mêlée et en montrant qu’il ne travaille pas pour un camp, mais pour tous les camps.

S’il ne le fait pas, évidemment, la transition va être empoisonnée par un certain nombre d’acteurs qui sont d’ailleurs connus. Et lorsque certains de ces acteurs soutiennent le MPSR, de mon point de vue, ils empoisonnent la Transition. Car ils ont perdu leur crédibilité, leur âme ! Quand vous êtes soutenus par le diable, évidemment vous devenez vous-même assez suspect ! Je pense que le chef de l’Etat gagnerait à avoir le courage de se démarquer des vuvuzelas politiques, des griots politiques, qui en réalité, circulent de plateau en plateau pour faire des flatteries, des louanges à gages, dans le but simplement de conquérir des espaces de paradis qu’ils ont perdu !

S : En tant qu’expert en communication, quelle appréciation faites-vous de la communication d’ensemble des autorités de la Transition, en dehors de ce discours ? Et comment doivent-elles s’y prendre pour corriger les éventuelles insuffisances communicationnelles ?

S.T.B. : Je ne veux pas être un donneur de leçons ! Mais ce que je constate est qu’il y a beaucoup de cacophonie dans la communication de la Transition. En période de crise, comme disent les militaires, c’est le terrain, la réalité qui commande la manœuvre. C’est donc la réalité du terrain qui doit commander la communication. Il faut absolument éviter les contradictions dans la communication publique.

Si vous dites par exemple qu’une zone est réellement libérée, il ne faut pas que dans la réalité, il y ait des éléments qui viennent nuancer ou ramollir cette affirmation. Evidement cela va porter préjudice à la communication. Tout doit être congrue, c’est-à-dire que tout acteur public, qui représente une parcelle de pouvoir, doit pédaler dans le même sens que le discours officiel du MPSR.

Et ce n’est pas seulement au niveau du discours ! Je tiens à le dire, le discours, en réalité, ne représente que 20% maximum dans le processus de persuasion en matière de communication publique. L’essentiel de la persuasion est généré par les comportements, les décisions et les bilans réels qui sont faits sur le terrain. Pour bien communiquer, je voudrais suggérer que les autorités écoutent plus ceux qui ont un langage de vérité et non ceux qui font les fanfaronnades, distribuent les bons points généreusement à des fins purement intéressées.

Ces derniers, finalement, ne rendent pas service au processus sur le plan de la communication. Car, aujourd’hui, nous sommes dans un contexte où les sources d’information sont plurielles ; vous ne pouvez donc pas facilement avoir le monopole de la vérité. Quand vous parlez, il faut vous assurer que votre vérité ne sera pas mise à mal par un certain nombre de sources qui sont souvent plus proches de la réalité que les sources officielles.

Interview réalisée par Mahamadi SEBOGO

Irène Jasmine YAO (Stagiaire)

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