Le règne de l’indifférence

Les drames successifs des migrants en Méditerranée depuis plusieurs années sont devenus un fléau à la limite banal. A force d’être fréquents, les naufrages des embarcations de fortune des candidats à l’Eldorado occidental sont considérés comme une sorte de lieu commun. Du moins, ils n’ont pas encore touché la corde sensible des dirigeants africains qui observent avec indifférence et mépris la saignée de leurs « enfants » aux larges de Lampedusa. A part quelques ONG et personnes éprises d’un élan d’humanisme, qui essaient tant bien que mal de secourir, au prix de leur propre vie, les migrants. La disparition de 130 migrants à bord d’un bateau pneumatique, le 22 avril dernier, aux larges des côtes libyennes est venue rappeler une fois de plus l’incurie patente des chefs d’Etat africains face à cette tragédie qui dure.

Combien de drames faut-il encore pour qu’enfin ils se décident à prendre à bras-le-corps cette problématique de la migration clandestine ? L’on ne saurait répondre d’autant plus qu’ils ont été incapables de retenir les jeunes chez eux. Abandonnés à eux-mêmes sur leur propre terre où aucune perspective d’un lendemain rassurant ne pointe à l’horizon, prisonniers d’une certaine naïveté, de nombreux jeunes africains confient leurs rêves à des marchands d’illusions qui leur font miroiter des prairies ensoleillées outre-mer. C’est ainsi que pris dans les mirages d’une aventure au bout de laquelle ils espèrent le meilleur, ils sont livrés au bon vouloir des trafiquants inhumains. Traversées périlleuses du désert saharien, passages obligés de tous les dangers en Libye en proie à tous les démons et embarcations inespérées pour l’Europe ont toujours rythmé le parcours de la plupart des migrants subsahariens. L’on croyait que la découverte des marchés d’esclaves en Libye en 2017, révélation qui avait suscité un émoi mondial, allait sortir les dirigeants et l’Union africaine de leur torpeur face à ce déni d’humanité. Mais rien n’y fit. Les choses sont restées en l’état et les jeunes africains continuent d’aller se faire engloutir par les vagues de la Méditerranée. C’est pourquoi l’indignation du pape face au récent naufrage de 130 d’entre eux sonne comme une piqûre de rappel et révèle aussi une lâcheté des dirigeants. « Je vous confesse que je suis très attristé par la tragédie qui, encore une fois, s’est produite ces derniers jours en Méditerranée. Frères et sœurs, interrogeons-nous tous sur cette énième tragédie. C’est un moment de honte », s’est indigné le souverain pontife. Oui, c’est une honte que de voir des vies partir chaque jour dans la détresse sans qu’aucune mesure forte ne soit prise. C’est « l’humanité échouée », le règne de l’indifférence et de l’irresponsabilité.

De nombreux jeunes africains pourront continuer de mourir en mer sans que cela n’émeuve un dirigeant. Il est temps que les dirigeants s’interrogent sur leurs places à la tête de nos Etats. Personne ne viendra convaincre la jeunesse africaine d’abandonner son désir de désertion si ce n’est une gouvernance au service du bien-être de tous. L’Afrique à laquelle on colle l’attribut de « l’avenir de l’humanité » ne saurait incarner cet idéal avec une jeunesse qui a perdu espoir et qui rêve d’un ailleurs meilleur pour se réaliser. Même si nos chefs d’Etat brillent par leur indifférence face aux tragédies en Méditerranée, cela met toutefois à nu les échecs de leurs politiques. Ces drames rappellent que la valorisation du capital humain est encore une simple vue de l’esprit sous nos tristes tropiques. Il y a véritablement lieu de s’interroger sur ce qui pousse tant de jeunes à confier leur sort au hasard alors qu’ils ont toutes les possibilités de se réaliser dans leurs pays respectifs. Il faut s’interroger sur la pertinence des programmes à l’endroit de la jeunesse. Ces drames en Méditerranée sont le symbole éloquent de la mal-gouvernance qui étouffe nos Etats.

Karim BADOLO

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