Le travail nourrit-il son homme ?

Chaque année, le 1er mai, le monde célèbre le travail à travers ce qui est communément appelé « fête du travail ». Mais le travail a-t-il vraiment besoin d’être fêté pour être célébré ? Ne doit-on pas plutôt réfléchir sur le sens du travail et sur les conditions de travail que de gaspiller les fruits de son travail dans la pagaille des ripailles ?

De quel travail parle-t-on quand sous nos tropiques le travail se raréfie et ne nourrit pas toujours son homme ? Entre le travail du président et celui du balayeur de rue, qui a pignon sur rue ? Lequel des deux travaille vraiment ? Pourquoi certains vivent du travail des autres pendant que les autres n’arrivent pas à vivre de leur travail ? Bref, pourquoi travaillons-nous ?

Qu’est-ce qu’un bon travail et qu’en est-il du « mauvais » ? Et si nous travaillions encore plus et bien pour honorer le travail ? Si chacun pouvait discrètement et honnêtement faire son travail, vaille que vaille sans pagaille et dans les détails, nous n’aurions pas cette taille de paille. Si chacun de nous pouvait faire ce qu’il avait à faire avec la passion et l’abnégation d’un chercheur de mention, nous n’aurions que des lauriers à revendre. Si chaque Burkinabè pouvait lever le poing haut et jurer de battre le fer même quand il est froid, nous ne pourrions qu’être sûr de nous et compter rien que sur nous.

Malheureusement, on ne remporte pas de victoire dans le biotope du loir. Il n’y a point de gloire pour ceux qui contournent les portes de l’histoire. Pendant que sous d’autres cieux, des hommes refusent de fermer les yeux pour être témoin de leurs propres vieux jours, chez nous certains tournent le pouce entre deux sommes. Pendant qu’ailleurs les grandes âmes se tuent à la tâche pour être et rester à la page, chez nous, de petites gens à l’égo facile s’agrippent à la courte échelle pour prendre leur envol.

C’est parfois ahurissant de voir que nous marchons sur nos devoirs pour réclamer nos droits. C’est renversant de voir que le bon exemple peine lui-même à s’adonner et à se donner pour mériter sa place de choix. Entre le discours et la réalité, il y a un fossé de trop, mais on vit avec. Les notions de conscience et d’éthique ne sont que vaines garnitures qui meublent les documents de référence. Dans les tiroirs de la République, croupissent le destin de milliers de gens qui attendent, mais tant pis pour les impatients. Le travail n’est plus un facteur d’affirmation de soi ; travailler devient si difficile que le paresseux qui se complait dans sa paresse pècheresse.

Se suer à la tâche et se retrousser les manches tend à renvoyer à un autre siècle. L’idéal de changer une parcelle de ce monde en un lieu-dit est un vain combat. De toute façon, à quoi bon s’échiner sans se débiner pendant que l’autre se tourne le pouce en palpant le revenu indu ? A quoi bon se saigner au travail pour les autres pendant que ces derniers s’abreuvent du sang du bagnard qui trime ? Oui, pendant que les uns ne paient rien pour vivre, les autres se paient leur propre tête juste pour rester en vie. Pendant que les uns ne paient pas leurs impôts, les autres sont pourchassés par le fisc pour des miettes.

Pendant que le pied-à-terre de luxe a tous les soins mais chôme sans locataire permanent, le CSPS voisin manque de tout pour sauver les petites vies d’innocents anonymes sans insigne. Pendant que le lambda enseignant traverse à la nage ou en pirogue le bourbier de marécage pour aller instruire et éduquer, quatre de ses collègues partagent la même classe en ville. Pendant que l’agent de santé soigne dans le noir et le dénuement, sans être sûr de traiter le bénin mal qui emporte le patient, ils parlent d’amélioration au futur.

Il y a de quoi rester muet sur le parcours du combattant du vaillant soldat dont la plus haute distinction est parfois posthume. Pendant que les uns travailleront demain, les autres ont déjà commencé à cravacher dur depuis l’aube. Il y en a même qui n’ont pas fermé l’œil de la nuit. L’espoir est là, mais il est à qui veut vraiment le prendre à deux mains. On ne se réveille pas à sept heures ou huit heures du matin pour construire son avenir. On ne se vautre pas dans un lit douillet jusqu’au zénith pour être à la hauteur du défi quotidien.

Malheureusement, la relève est tellement bien assurée que demain risque de s’écrire avec des pointillés. Une partie de la jeunesse s’est transformée en fer de lance en bois ou en terre cuite. Mais c’est mal taillé et mal cuit que la lance n’égratigne même pas sa cible. C’est vraiment dommage que le travail soit perçu plus comme une corvée qu’une nécessité, voire une raison d’être. C’est triste de voir que de nos jours ceux qui travaillent vraiment ne sont parfois à l’honneur qu’au pied d’une tombe avec l’oraison funèbre d’orfèvres fieffés menteurs. En quoi le travail nourrit-il son homme ?

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr