Le vrai peuple

En ces temps d’agitations tous azimuts sous nos tropiques, il semble utile de s’appesantir sur un terme usité par toutes les composantes sociales. Des partis politiques aux tenants du pouvoir en passant par les organisations de la société civile et les simples citoyens, le mot peuple, comme un refrain de chanson, apparait dans les propos de chacun. En toutes circonstances, tout le monde a ce mot à la bouche.

Il arrive qu’on lui accole des épithètes pour donner une certaine consistance à la conviction avec laquelle on l’emploie. « Peuple souverain, peuple vaillant, peuple courageux, peuple digne et fier, victoire au peuple », entend-on dire souvent dans les discours, les débats ou les manifestations. Mais avons-nous la même compréhension du mot peuple que nous nous plaisons à employer à tout vent ? Incarne-t-il aux yeux de tous l’idéal d’une appartenance commune et d’une volonté à faire chemin ensemble ?

Si pour certains, il renvoie à un ensemble d’individus ayant en partage une nation, vivant sur un même territoire et soumis aux mêmes lois, aux mêmes institutions politiques, pour d’autres, il sert juste de slogan pour témoigner son « engagement » au service de la grande masse. Juste une manière de se faire bonne conscience en prétendant agir au nom d’une communauté à laquelle l’on s’identifie.

D’aucuns n’hésitent pas à claironner qu’ils vivent au nom du peuple et qu’ils sont prêts à mourir pour lui. Dans une récente réflexion partagée sur sa page Facebook intitulée « Ce qu’on appelle peuple », le Pr Jacques Nanema a proposé trois définitions. Et la dernière acception serait l’idéal pour des citoyens animés d’une volonté de transcender leurs divergences et différences pour co-construire une communauté qui les rassemble autour des mêmes idéaux d’égalité, de justice et d’équité. « (…) il s’agit plutôt d’une catégorie politique, une idée-force investie de la capacité à fédérer par une vision, un chemin et une orientation, des populations aux intérêts encore épars, divers et même opposés.

Ici le terme indique qu’il s’agit d’un projet à construire et consolider dans et avec le temps. Inutile de dire que seule cette troisième acception du peuple est digne d’être considérée parce qu’elle fait vraiment sens dans le cadre d’un projet politique durable et que seul le régime démocratique en fait véritablement sa raison d’être », a formulé le Pr Nanema dans sa réflexion.

En lisant cette définition, l’on voit clairement que le peuple, loin d’être une chimère, devrait être un projet politique dont l’objectif est de fédérer toutes les énergies dans une dynamique réflexive pour sortir du brouillard des petits calculs égoïstes et immédiats afin d’ériger un espace de communauté de destins où les citoyens sont respectueux des règles établies. La notion de peuple devrait être appropriée dans le sens d’un effort collectif à cheminer ensemble pour donner sens à notre vivre-ensemble.

Dans ce contexte précis où chacun espère l’avènement d’un Burkina nouveau, il importe que l’on s’inscrive dans cette logique qui voudrait qu’au-delà de nos visions partisanes, le plus souvent prisonnières de notre ego destructeur, l’on fasse le pari d’une appropriation utile de la notion de peuple. Nos actions au quotidien doivent porter en elles l’élan de cet idéal de bâtir une nation plus fraternelle, plus démocratique et plus consciente de ses responsabilités face au présent et à l’avenir.

Il requiert de tous cet effort de dépassement de soi, c’est-à-dire cette capacité à reconnaitre ses propres limites et à accepter autrui en tant qu’être différent, mais avec qui les possibilités d’une aventure commune dans un même espace sont ouvertes. En cette période si cruciale où la stabilité de l’Etat est en jeu, il importe que l’on fasse l’effort de mettre en avant la réflexion utile dépouillée de toute propension à vouloir sacrifier le bien commun sur l’autel des ambitions personnelles afin de sortir de cette zone d’inconfort et d’incertitudes.

Un autre Burkina est possible à condition que l’on privilégie les initiatives porteuses d’un lendemain rassurant pour tous et les générations à venir. Terminons avec le Pr Jacques Nanema qui résume en ces termes ce que devrait être un vrai peuple : « Un véritable peuple, c’est un ensemble de citoyens matures, libres et responsables qui sont lucides sur les fins poursuivies, le contexte historique du monde, sur les différents enjeux et bien sûr sur les limites possibles des acteurs et de l’action porteuse de changement…

Au-delà du conjoncturel que sont l’appartenance à une même origine généalogique, la participation à une même culture (âme, spiritualité) d’enracinement, il importe à un peuple d’avoir une perspective, c’est-à-dire de se soucier collectivement de transcender ses propres limites. C’est avec et par l’ouverture à l’altérité et à l’avenir qu’un peuple cesse de tourner en rond comme une toupie pour se frayer un chemin à travers le temps et inscrire une page dans l’histoire».

Karim BADOLO

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