L’effet média

Réconciliation oui ! Mais quelle réconciliation ? C’est en résumé l’opinion de bon nombre de compatriotes à l’annonce du processus devant permettre aux Burkinabè de vider les crimes, les violations de droits, les conflits nés de ressentiments et de frustrations causées dans l’histoire récente du pays. Cela, en vue de renforcer la cohésion sociale et le vivre-ensemble et de regarder ensemble dans la même direction à l’avenir. Le 4 mars dernier, le ministre d’Etat auprès de la présidence du Faso, chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale, Zéphirin Diabré, a donné un contenu au vocable et à la démarche en cours. Face aux femmes et hommes de médias, le ministre d’Etat a décliné son rôle et les attentes en matière de réconciliation nationale et de cohésion sociale après avoir pris langue avec les sensibilités nationales, les autorités coutumières et religieuses, entre autres. La médiatisation autour de ces différentes concertations a cristallisé l’attention au point d’en faire un « évènementiel » à part entière qui peut exaspérer ceux qui ont vécu les péripéties ayant abouti à la tenue de la Journée du pardon le 30 mars 2001 avec les suites que nous connaissons. Et si on optait pour des huis clos à l’abri des objectifs des caméras et photographes ? Quitte à rendre compte périodiquement des grandes avancées.

Justement, quel type de communication le ministre d’Etat en charge de cet important volet du projet de société du président Roch Marc Christian Kaboré doit dérouler pour ne pas « lasser » les populations avant date et créer l’effet contraire qui doit être de susciter intérêt et disponibilité des uns et des autres à s’inscrire résolument dans cette volonté politique clairement affichée du chef de l’Etat de voir les Burkinabè de toutes les couches, se surpasser et de donner la chance au pays des Hommes intègres de réussir ce vivre-ensemble dans la différence des opinions ? Zéphirin Diabré communique-t-il trop, suffisamment ou insuffisamment ?

S’accorde-t-il des coulisses dans ses rendez-vous avec les personnes, les institutions, ou donne-t-il, dans un souci de transparence, à voir tout ce qu’il fait ? Si elle n’est pas suffisamment dosée, comprise, la communication ou plutôt l’exposition médiatique peut produire les effets inattendus et non voulus. En la matière, deux exemples majeurs s’offrent au ministre en charge de la Réconciliation et devraient le guider dans son choix de médiatisation de toutes ses rencontres dans le cadre de cette campagne ante, rencontres formulées sous forme d’assises, de forum… La communication autour de la lutte contre le terrorisme et la COVID-19 peut servir de piste. Pour le premier cas, ne pas en parler laisse l’impression à bien de personnes, que le phénomène est non seulement maîtrisé, mais surtout, éradiqué.

Trop en parler conduit aussi à penser qu’il y a anguille sous roche. Une façon d’endormir les consciences. Le deuxième exemple d’actualité est bien la question de la COVID-19 où les premiers responsables du ministère de la Santé ont bien cerné l’effet média en ne faisant le bilan de l’évolution de la pandémie qu’une fois par semaine. Et là aussi, à la seule condition qu’il y ait du neuf sur la question. Faut-il alors parler d’un mode d’emploi médiatique de la réconciliation nationale en amont ? Oui, parce qu’il faut trouver le juste milieu pour intéresser sans trop éloigner les Burkinabè, pour qui la réconciliation sans être cette panacée qui résoudra toutes leurs questions quotidiennes, pourra améliorer leur vivre-ensemble. Si de façon prosaïque, il est admis que « trop de viande ne gâte pas la sauce », du trop d’information, on ne saurait en dire autant.

Autrement, le ministre d’Etat chargé de la Réconciliation nationale en fait-il trop en voulant « médiatiser » toutes les activités qu’il mène en amont en attendant les « joutes » ? Bons ou mauvais exemples ? En tous les cas, le choix de la personne de Zéphirin Diabré pour piloter la question de la réconciliation nationale et la cohésion sociale est unanimement salué. Lui-même a pris à bras-le-corps cette mission dans un contexte africain marqué par des débats sur les mandats de plus ou de trop, et où fleurissent des ministères pleins chargés de la réconciliation nationale, trente ans après les Conférences nationales « souveraines » des années 1990 qui ont émergé avec les états de droit naissants. Le Burkina Faso, qui y était allé mais sans parvenir à conclure ses assises, avait en mars 2003, convoqué un forum de réconciliation nationale. Dix-huit ans après, une nouvelle assise sur la réconciliation est en gestation, dans un contexte différent. Cette fois sera-t-elle la bonne ? C’est le souhait de tous.

Par Mahamadi TIEGNA
mahamaditiegna@yahoo.fr

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