Madi Sakandé, expert de l’ONUDI : « Nous ne pouvons pas relever les défis du sous-développement, sans le secteur du froid »

L’expert Madi Sakandé.

Dans cette interview, l’expert burkinabè de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) dans le domaine du froid résidant en Italie, Madi Sakandé, insiste sur le rôle de la chaîne du froid dans le développement du secteur agro-alimentaire.

Sidwaya(S) : Que renferme concrètement le secteur du froid ?
Madi Sakandé (M. S.) : Le Froid regroupe la réfrigération et la climatisation. Faire du Froid veut dire extraire de la chaleur. Donc le froid en tant que tel n’existe pas, mais c’est plutôt le manque de chaleur qui fait sentir le froid. Les technologies du Froid interviennent dans de multiples secteurs : la maison, la restauration, la grande surface, l’industrie, l’hôpital, la recherche atomique, la biologie, la chimie, l’aéronautique…. Le secteur du Froid est un ensemble de domaines et d’entreprises qui sont subdivisés en 3 grands segments : le Froid Domestique, le Froid Commercial et le Froid Industriel.

De cet ensemble d’appareillages, nous tirons la chaîne du froid qui est l’ensemble des opérations logistiques et domestiques (transport, manutention, stockage) visant à maintenir des produits alimentaires ou pharmaceutiques à une température donnée afin d’en préserver la salubrité et les qualités gustatives. Selon les produits, des normes fixent les températures limites et les tolérances de dépassement (0 °C à +2 °C pour le poisson frais, +2 °C à +8 °C pour de nombreux produits alimentaires frais, et −18 °C pour les congelés).

S : Avec la crise de la COVID-19, des milliers de tonnes de productions agricoles pourrissent sur les champs et dans les magasins au Burkina Faso. Comment réagissez- vous à cette situation?  
M.S. : Honnêtement, je me sens mal à l’aise de voir que cela se passe dans mon pays alors que mon travail consiste à former et informer pour éviter ces genres de situations !
Hélas !!! Il faut que nous comprenions que le Froid n’est pas un luxe ; nous ne pouvons pas relever les défis du sous-développement, sans le développement du secteur du Froid.

S : Le froid est-elle incontournable dans le développement de l’agroalimentaire au Burkina Faso ?
M.S. : Certainement ! Presque 85% de la population du Burkina Faso est rurale. Cette population a trois activités principalement: l’agriculture, l’élevage et la pêche. Comme vous le savez bien, l’agriculture saisonnière dure au maximum 4 mois, le restant de l’année est dédié à la culture maraîchère. Eh bien ! Aucune de ces 3 activités citées ne peut se développer et être rentable pour les paysans sans le support d’une chaîne du Froid. Notre sous-développement est d’ailleurs lié justement à ce facteur non maîtrisé.

S : Quelle appréciation faites-vous de la prise en compte du secteur du froid dans les politiques publiques de développement ?
M.S. : Je pense humblement que nous devrions tout simplement revoir ces politiques. Permettez-moi de vous raconter un peu l’histoire de mon pays d’adoption et de résidence, l’Italie. Après la Deuxième Guerre mondiale, l’Italie était un pays plus pauvre que le nôtre actuellement. Mais à nos jours, elle est la troisième puissance économique européenne, simplement parce qu’elle a investi dans le secteur de l’agroalimentaire qui est devenu une des excellences mondiales. Vu que le pays était principalement constitué d’agriculteurs, ils ont développé le secteur du Froid pour accompagner l’épanouissement de l’agroalimentaire. Générant ainsi une croissance économique et une autosuffisance alimentaire.

S : Pourquoi une telle faible prise en compte du froid ?
M.S. : Je pense plutôt que c’est la méconnaissance du domaine du froid et de son impact pour le développement. Aussi, on considère que le froid est un luxe parce qu’on « connaît seulement » le frigo et le climatiseur que peu de citadins peuvent s’en procurer, et vu que ces appareils fonctionnent avec l’énergie électrique conventionnelle. Mais la technologie du Froid a évolué. J’ai conçu les premières chambres froides jamais réalisées pour l’Afrique qui peuvent fonctionner avec l’énergie photovoltaïque. Elles sont disponibles au Burkina et dans certains pays africains.

Même au niveau mondial, le Froid n’est pas compris et connu. Tenez, les 17 Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies n’ont pas pris en compte le secteur du Froid dans la quête du bien- être mondial, car la majeure partie des décideurs politiques ne comprennent pas forcément cette notion. D’ailleurs, j’ai corrigé justement le logo de ces ODDs en mettant au centre, le symbole du Froid. Je considère que le Froid est pour ces ODDs, ce qu’est un lubrifiant pour une chaîne de transmission mécanique. Avec des collègues occidentaux, nous sommes en train de promouvoir le Froid à travers la célébration d’une Journée mondiale du Froid chaque 26 juin.

S : N’y a-t-il pas aussi la responsabilité des producteurs qui n’investissent pas assez ou pas du tout dans l’acquisition des équipements du froid?
M.S. : En fait, il y a manquement à plusieurs niveaux. Le producteur est le premier intéressé par le froid mais est le dernier à décider. Il faut une volonté institutionnelle avec un programme pour le développement du secteur Froid au Burkina. Dans la configuration actuelle du gouvernement burkinabè, il y a au moins 12 ministères que le secteur du Froid pourrait avoir un impact positif dans leurs activités.

S : Quelles propositions pour qu’au Burkina Faso, les producteurs ne perdent plus leurs productions?
M.S. : Il faut tout simplement leur doter de magasins de stockage, à défaut de pouvoir acquérir eux-mêmes les chambres froides ; puis avoir des lieux de stockage en location comme pour les maisons d’habitation et encourager des PME à s’initier dans ce segment de marché en revoyant la taxation sur le matériel du Froid. Le matériel de Froid est classé dans la « catégorie luxe » dans le code d’importation douanier, donc taxé cher ! Tout simplement parce qu’on ne sait pas que cela constitue un frein au développement de l’agroalimentaire qui est le gage de l’autosuffisance alimentaire et donc de l’indépendance tant espérée en Afrique.

Interview réalisée par Mahamadi Sebgo

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