Mali : le «deal» de la division

L’ex-chef de la junte militaire malienne, Amadou Haya Sanogo, le renverseur du président Amadou Toumani Touré (ATT) est désormais libre de tout mouvement. Ainsi en a décidé la Cour d’appel de Bamako, le lundi 15 mars dernier. En effet, les juges ont abandonné toutes poursuites contre le général Sanogo dans l’affaire de l’assassinat de 21 militaires « bérets rouges » en 2012. Le 30 avril de la même année, l’on se souvient que ces soldats, restés fidèles au président ATT, avaient été arrêtés par des éléments du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État malien (CNRDRE) et conduits au camp des putschistes, à Kati.

Accusés de vouloir perpétrer un coup d’Etat, ils seront exécutés dans la nuit du 2 au 3 mai. Leurs corps seront inhumés dans la foulée dans le village de Diago, à quelques kilomètres du quartier général du régime en place. Le feuilleton judiciaire de ce dossier emblématique, qui a débuté en 2013 avec l’arrestation de Sanogo et de plusieurs de ses coaccusés, vient donc de prendre fin sans que le peuple malien ne sache réellement la vérité sur cette partie de l’histoire de leur pays. La raison avancée par les juges pour éviter le procès est l’invocation d’une loi d’entente nationale, adoptée en 2018 et qui vise à « concrétiser la politique de la restauration de la paix et de la réconciliation ».

Au nom de cette fameuse loi, les autorités maliennes ont renoncé à la manifestation de la vérité au profit de la réconciliation. Cette décision remet au goût du jour le sempiternel débat sur le mode opératoire pour parvenir à la paix dans un pays secoué par des crises socio-politiques. Que se cache derrière cette décision des nouvelles autorités maliennes ? Est-ce la recherche de la paix ou une manière de protéger leurs arrières ? Si la junte estime qu’elle est sur le bon chemin, ce n’est pas le cas pour certaines voix qui désapprouvent ce qu’elles appellent faire un « bébé dans le dos du peuple ». Pour les défenseurs des droits de l’homme, cette décision de clore le dossier Sanogo n’est ni plus ni moins qu’une prime à l’impunité.

Cet accord prévoit des compensations pour les familles des victimes, à savoir l’organisation de funérailles nationales pour les victimes, le statut de « pupilles de la nation » accordé à leurs enfants mineurs. Le gouvernement s’est aussi engagé à attribuer à chaque famille un logement social « de type F5 », ainsi que des réparations financières variant selon le grade des victimes de 15 à 40 millions F CFA. Pour les plus sceptiques, ce « deal » mal ficelé entre les familles des victimes et le pouvoir en place ne saurait empêcher la manifestation de la vérité et la justice dans cette affaire. A ce propos, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), rappelle que la loi d’entente nationale en son article 4 soustrait expressément de son champ d’application, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les viols et tout autre crime jugé imprescriptible.

Visiblement, et il faut le relever, cet accord a déjà semé la pomme de discorde au Mali. Il fallait s’y attendre car l’histoire nous renseigne que toute manœuvre visant à trouver des stratagèmes pour le concept vérité, justice et réconciliation dans la vie normale d’une nation a toujours tôt ou tard eu du mal à prospérer. Et des exemples sont légion dans la sous-région. L’on peut citer cette journée de pardon, organisée le 30 mars 2001 au Burkina Faso au mépris de la justice et de la vérité. Vingt ans après le pays des hommes intègres est toujours en train de chercher la voix idéale pour une réconciliation de ses filles et fils. Pourquoi ne pas donc avoir le courage de rechercher d’abord la justice, avant d’épiloguer sur cette question de la réconciliation ?

Abdoulaye BALBONE

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