Mali : l’indomptable rue

Le mouvement de contestation, qui réclame la démission du président malien, Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK), sous la houlette de l’imam Mahmoud Dicko, a pris un tournant décisif depuis le weekend dernier à Bamako.

En effet, des affrontements entre les manifestants anti-IBK massivement sortis le vendredi 10 juillet 2020 et les forces de l’ordre, déployées dans les rues de la capitale pour contenir le mouvement, ont fait 11 morts et plus d’une centaine de blessés. Regroupés au sein du Mouvement du 5 juin (M5) et du Rassemblement des forces patriotiques (RFP) sous l’autorité du guide religieux Mahmoud Dicko, figure de proue de la lutte contre le régime IBK, les contestataires n’entendent plus faire marche arrière.

Après deux jours d’agitation marqués par une escalade de violences, plusieurs leaders de l’opposition malienne et de la société civile ont assisté à l’inhumation de leurs militants tués lors des heurts. La méthode des autorités maliennes qui ont opté pour la répression des manifestants, à travers le déploiement des éléments de la sécurité qui n’ont pas hésité à tirer à balles réelles, semble avoir exacerbé la situation qui prévaut à Bamako. Dans son intervention après l’enterrement des 11 manifestants, le charismatique imam, visiblement très remonté, a appelé à poursuivre la lutte indiquant qu’il faut une refondation du Mali pour mettre fin à la mauvaise gouvernance et à la corruption endémique.

Cela en dépit des appels au calme lancés par l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’ONU et l’Union européenne (UE) ont affirmé être « très préoccupées » par la situation, condamnant avec vigueur toute forme de violence comme moyen de règlement de la crise. La présence de la force spéciale anti-terroriste dans le dispositif de maintien de l’ordre témoigne de l’usage excessif
de la force à l’encontre des manifestants. Même la dissolution de la Cour constitutionnelle, annoncée dans la foulée par le chef de l’Etat pour tenter de calmer la colère des contestataires de son régime, n’a véritablement pas produit l’effet escompté.

Les jours et semaines à venir font planer l’incertitude sur la capitale malienne. Après la mort de ses 11 militants et l’interpellation de certains de ses leaders, le M5, désormais gonflé à bloc, semble être plus déterminé et se prépare à retourner dans la rue jusqu’à obtenir satisfaction de leur principale revendication à savoir le départ du pouvoir d’IBK. Cela ne fait l’ombre d’aucun doute puisque depuis les affrontements meurtriers, le M5, reste sourd au discours du pouvoir en place à Bamako et les initiatives envisagées pour faire baisser la tension ne semblent pas le concerner.

En clair, l’imam et ses camarades rejettent la main qui leur est tendue par le régime. D’aucuns estiment que le président IBK a minimisé la capacité du mouvement de contestation à nuire à son régime. Sinon, il aurait pu prendre langue rapidement avec ses responsables, ce qui aurait permis de prendre en compte les préoccupations des manifestants qui réclamaient sa démission. Maintenant que les carottes semblent cuites, il sera difficile pour le chef de l’Etat malien de défendre son fauteuil face à des frondeurs convaincus que les problèmes du Mali se résument à sa personne.

Des observateurs avisés pensent que le mieux pour IBK, en pareilles circonstances, c’est de quitter le pouvoir plutôt que de vouloir s’y accrocher et de se voir contraint par les manifestants à une sortie par la petite porte. Ce qui s’est passé au Burkina Faso voisin en 2014 avec l’ex-président, Blaise Compaoré, poussé à la démission par une foule nombreuse, est assez illustratif. Mais c’est le propre des hommes politiques, surtout les dirigeants, de ne pas prendre au sérieux les menaces, même celles qui s’apparentent à des signes avant-coureurs de la chute de leur régime. IBK va-t-il entendre raison ?

Beyon Romain NEBIE
beynebie@gmail.com

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