Me Arnaud Ouédraogo, avocat au barreau d’Abidjan : « Aucun peuple ne peut gagner la guerre s’il ne se regarde pas comme un peuple victorieux »

Avocat au barreau d’Abidjan, Me Arnaud Ouédraogo : « Je reste convaincu que les armes et les méthodes assez sommaires des terroristes ne sauraient inquiéter durablement un Etat organisé »

Ancien magistrat, ancien plus jeune procureur du Burkina Faso et ex-directeur de cabinet du président du Conseil supérieur de la communication, Me Arnaud Ouédraogo est connu comme un intellectuel honnête, sincère, qui ne va pas du dos de la cuillère pour dire ce qu’il pense. C’est au siège du « Cabinet Arnaud Ouédraogo » à Abidjan, qu’il a créé en 2020, que le journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, est allé à la rencontre de l’homme, très bien respecté dans le milieu judiciaire ivoirien, le vendredi 13 mai 2022. Dans cet entretien, Me Ouédraogo fait une analyse sans complaisance, avec la perspicacité dont il fait toujours montre, de la situation sécuritaire et sociopolitique que traverse le Burkina Faso. Il y propose également des solutions pour sortir durablement son pays de la conjonction de crises dans laquelle il est plongé. Lisez plutôt !

Sidwaya (S) : Vous n’êtes pas un inconnu du monde judiciaire et des médias au Burkina Faso. Depuis votre passage au Conseil supérieur de la communication, vous avez quelque peu disparu des radars. Que devient Me Arnaud Ouédraogo ?

Me Arnaud Ouédraogo (A. O.) : Je vous remercie pour l’honneur que vous me faites en me rejoignant dans mon refuge à Abidjan. J’ai une belle histoire avec Sidwaya et avec les médias burkinabè puisque j’ai piloté pendant trois ans et demi les réformes du secteur de la communication. Aujourd’hui, j’ai mille raisons d’être fier des journalistes burkinabè. Je suis fier de voir que les médias burkinabè occupent le haut du pavé dans la revue de presse internationale et que le Burkina Faso est classé premier en matière de liberté de presse en Afrique francophone. Notre pays est attaché à la liberté de presse que certains de ses fils comme Norbert Zongo ont payé au prix fort. Après mon passage au Conseil supérieur de la communication, j’ai intégré le barreau burkinabè en 2015. Par la suite, j’ai intégré le barreau ivoirien en 2019. J’ai une pratique professionnelle à cheval entre Ouagadougou et Abidjan.

S : Jeune avocat burkinabè au milieu de la faune judiciaire ivoirienne, c’est un gros challenge…

A. O. : Ce n’est pas aussi simple pour un Etalon de galoper parmi les Eléphants. On n’exporte pas une légitimité professionnelle du jour au lendemain. Il a fallu donc reconstruire une nouvelle légitimité professionnelle en Côte d’Ivoire. Mais je dois dire que le fait d’être Burkinabè a joué positivement en faveur de mon intégration au sein de la famille judiciaire ivoirienne. Vous savez que les deux peuples partagent une grande proximité. En Côte d’Ivoire, les Burkinabè jouissent d’une réputation d’hommes intègres, travailleurs et crédibles.

S : Quels sont les domaines d’intervention de votre cabinet ?

A. O. : Nous sommes un cabinet d’affaires. Nous accompagnons principalement les entreprises locales ou internationales. Nous accompagnons la représentation diplomatique et consulaire dans la protection juridique des Burkinabè résidant en Côte d’Ivoire.

S : Ces dernières années, le Burkina Faso vit une sorte d’instabilité politique. Quel commentaire cette situation vous inspire ?

A. O. : J’ai vécu les différents épisodes politiques depuis 2014 comme un acteur à part entière. Même si je garde une équidistance à l’égard des partis politiques, cela ne m’empêche pas de me prononcer sur la vie politique nationale. Il me paraît d’ailleurs que l’approche partisane telle qu’elle se pratique au Burkina Faso est l’une des causes de l’instabilité politique. Si nous sortons de la phase transitionnelle actuelle en reconstituant un cadre juridique plus sain pour les partis politiques, on aura gagné.

S : Quelle appréciation faites-vous des 100 premiers jours de la Transition ?

A. O. : Aux premières heures de l’avènement du régime de la Transition, j’ai eu beaucoup d’appréhension, même si je savais au fond de moi-même que les crises politiques ne durent pas plus de trois jours au Burkina Faso. Cela est dû au fait que nos divisions politiques sont artificielles. Les partis politiques se rassemblent, se disloquent et se réconcilient dans un mouvement de chaise musicale. Il n’y a rien de vraiment substantiel dans les divisions politiques au Burkina Faso. Si les crises politiques ne durent pas chez nous, c’est aussi parce que le système politique n’est pas assis sur les déterminants ethniques et religieux, du moins pas dans la dimension de ce que l’on constate dans d’autres pays. Aucun juriste ne peut se réjouir de la rupture de l’ordre constitutionnel. D’ailleurs, les Burkinabè dans leur ensemble avaient montré leur aversion pour les coups d’Etat en 2015. Demandons-nous pourquoi le régime déchu, qui était un régime civil issu d’élections, n’a pas su travailler à l’attractivité de la vie démocratique et de l’Etat de droit au point d’entraîner une bonne partie de la population dans une sorte de désespérance. Le plus important, c’est de tirer les leçons du passé pour mieux envisager l’avenir. Sur le plan institutionnel, j’observe la mise en place progressive des organes de la Transition. J’espère que cela permettra de donner des orientations claires sur la marche à suivre. Il faudra aussi des hommes et femmes de qualité pour servir comme gardiens des promesses de la Transition. J’espère enfin que les nouvelles autorités sauront faire preuve d’humilité et d’audace, en sachant se départir de l’arrogance qui a caractérisé le leadership politique jusque-là.

S : Sur le plan sécuritaire, quel bilan faites-vous des 100 jours du Président Damiba ?

A. O. : On peut appréhender la situation sécuritaire sous l’angle de l’actualité immédiate qui est faite d’attaques terroristes récurrentes. On peut aussi l’envisager dans une perspective stratégique sur le moyen ou long terme. Du reste, je ne pense pas que la réponse doive être exclusivement militaire. J’appréhende le terrorisme sous le triptyque « Armement-Financement-Idéologie ». Il est urgent de dégager ce que j’appelle le génome humain du terrorisme au Burkina Faso et au Sahel. Il faudrait que les citoyens les plus ordinaires puissent savoir ceux qui nous attaquent, pourquoi ils le font et pour quelles finalités, quels sont leurs moyens d’action, leur source de financement et leur mode opératoire. C’est à partir de ce génome humain du terrorisme que l’on pourra assoir une pédagogie collective à même d’éclairer chaque citoyen sur les actions à entreprendre à divers échelons, aussi bien individuellement que collectivement. Les journalistes sont interpelés pour construire cette pédagogie collective à travers leurs analyses et leurs enquêtes de terrain, en dégageant les points saillants et les constantes dans la rationalité et le mode opératoire des assaillants.

S : Certaines analyses font savoir que le terrorisme est lié au déséquilibre dans le développement des régions…

A. O. : Bien sûr que la question du développement ne saurait être occultée. On sait quel rôle la pauvreté joue dans le désespoir des jeunes qui sont enrôlés contre de l’argent et des motocyclettes. Il faut dire que l’héritage colonial a favorisé un Etat trop centralisé avec un faible déploiement de l’administration sur l’ensemble du territoire. C’est ainsi que chaque pays africain a son Nord. La Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Nigéria ont aussi leur Nord, avec la même configuration. Cela dit, ce déséquilibre entre régions a existé depuis toujours sans que cela n’entraîne le terrorisme. D’autres données sont donc venues se superposer à cela. Si pendant longtemps ces régions étaient caractérisées par leur faible niveau de développement, aujourd’hui l’on s’aperçoit qu’elles présentent une dimension géostratégique. Ces zones, jadis délaissées, s’offrent finalement comme les zones les plus riches de nos pays. Il faudrait donc désormais ouvrir les yeux sur une réalité que l’on s’est cachée depuis longtemps.

S : Quelle réalité ?

A. O. : Au Niger par exemple, c’est dans ces zones que se trouve l’uranium nécessaire au développement de l’énergie nucléaire. Au Mali, ces zones sont une véritable nappe minéralière. Il en est de même au Burkina Faso. Ce sont des zones extrêmement riches paradoxalement délaissées par des dirigeants qui n’en avaient pas saisi la dimension géostratégique.

S : Des zones qui susciteraient aujourd’hui une certaine convoitise des puissances étrangères…

A. O. : Vous avez raison. Il faut faire preuve de discernement lorsqu’on aborde la question terroriste. On ne peut pas l’envisager à l’échelle d’un seul pays. C’est pour cela que je me satisfais de voir le Burkina Faso faire des efforts pour demeurer dans la CEDEAO et le G5 Sahel. Il est impossible de gagner la guerre contre le terrorisme en évoluant en électron libre et en vase clos. Rappelons que le terrorisme est assis sur le triptyque « Armement-Financement-Idéologie ». D’où vient le financement du terrorisme ? Sur la question, il y a une sorte d’hypocrisie entretenue par tout le monde. L’hypocrisie la plus évidente réside dans le fait que les Etats occidentaux engagés dans la lutte contre le terrorisme entretiennent une coopération avec certains Etats qui sont considérés comme des parrains financiers des terroristes. On peut faire le même reproche aux pays de l’Afrique de l’Ouest qui ont laissé leur territoire devenir des lieux d’expérimentation de l’extrémisme religieux en contrepartie de pétrodollars.

S : Le Burkina Faso vit l’une des pires crises sécuritaires de son histoire. Comment doit-il s’y prendre pour sortir durablement de cette situation ?

L’ancien plus jeune procureur du Burkina Faso, Me Arnaud Ouédraogo : « J’espère que les nouvelles autorités sauront faire preuve d’humilité et d’audace, en sachant se départir de l’arrogance qui a caractérisé le leadership politique jusque-là »

A. O. : Bien sûr qu’il faut une riposte militaire robuste. Je reste convaincu que les armes et les méthodes assez sommaires des terroristes ne sauraient inquiéter durablement un Etat organisé. Cela dit, je ne crois pas que la réponse militaire puisse épuiser la question qui demeure globale. C’est pourquoi la mobilisation des intelligences civiles doit être arrimée à la réponse militaire. Il faut également renforcer la coopération dans la lutte. Le terrorisme pose la question de la porosité des frontières, de la faible identification des citoyens, de la circulation incontrôlée des armes légères, du trafic de drogue, de la contrebande et de l’orpaillage clandestin.

Lorsqu’un pays qui a un potentiel minier aussi impressionnant ne dispose pas d’un cadastre minier lisible, avouons qu’il y a problème. Les conditions sont ainsi réunies pour une économie au noir qui sert au financement du terrorisme, au blanchiment de capitaux et permet aux acteurs de la criminalité internationale d’avoir les moyens de se constituer un espace de non-droit dans lequel ils prospèrent allègrement. La mobilisation des communautés à la base par la création de cadres de dialogue est à soutenir. Je pense que le gouvernement est bien inspiré en engageant la main tenue. Il ne s’agit pas d’accorder une prime à ceux qui ont pris les armes, mais de ramener à la maison des personnes repenties qui pourraient avoir été enrôlées de force. On ne ferme pas les portes à l’ennemi en temps de guerre. Dans la réponse contre le terrorisme, le Burkina Faso ne doit pas se départir de son leadership culturel. Nous devons mobiliser les armes de la culture contre le terrorisme.

Ce n’est pas pour rien que les terroristes s’attaquent en premier aux écoles et aux lieux de savoir. Il faut donc trouver une alternative, pourquoi pas en inventant une école itinérante qui se déplace avec les enfants déplacés. Comme vous êtes journaliste, j’insisterai sur le fait que le terrorisme nous entraîne aussi dans une guerre de l’image. Le terrorisme noircit les images provenant du pays. Nous devons donc déployer une représentation de la réalité qui soit héroïque. Il est possible que l’épreuve du terrorisme nous éveille finalement sur le fait que le Burkina Faso est une puissance agricole qui sommeille. Imaginez si on avait poursuivi la production de blé dans la vallée de Di dont le potentiel couvrait les besoins de l’Afrique de l’Ouest. Avec la guerre en Ukraine, notre pays aurait été la petite Ukraine de l’Afrique.

Dans un contexte où les espaces agricoles se rétrécissent, il y a lieu de réinventer un nouveau rapport de l’homme à la terre et une agriculture moins extensive qui privilégie des spéculations à cycle court. Il s’agit d’occuper les personnes déplacées là où elles se trouvent afin de les arracher au désespoir. Il faut donc imaginer de nouveaux couloirs d’apprentissage pour les enfants et les adultes, concevoir de nouvelles méthodes de production pour les hommes et les femmes, de sorte que la riposte contre le terrorisme irrigue tout le champ de la vie sociale. Il faut renforcer l’identification des citoyens à travers des moyens électroniques. Par ces mêmes moyens, les citoyens peuvent mieux contribuer au renseignement et à la constitution de chaînes de solidarité. Du moment où la majeure partie des citoyens ont un téléphone portable, tout le monde doit pouvoir participer au mapping du terrorisme. Cela permettra aux états-majors de recevoir en temps réel les informations sur les attaques qui se préparent pour mieux organiser la riposte.

S : Et sur le plan de la gouvernance politique ?

A. O. : C’est le déficit dans la gouvernance qui est la première cause de l’instabilité. Il faut changer notre rapport au pouvoir qui fait place à un système trop centralisé où les gouvernants regardent les gouvernés de haut. Cette centralisation du pouvoir influe sur les populations qui oublient qu’elles peuvent être autonomes, décider par elles-mêmes, organiser librement leurs systèmes de production sans attendre que cela vienne d’ailleurs. Depuis toujours, nous baignons dans une sorte de vacuité que seule la politique occupe. Au Burkina Faso, il y a des gens qui ne vivent que de la politique. On a entraîné beaucoup de gens dans cette spirale. Il faut faire en sorte que les jeunes puissent prospérer sans avoir à dépendre de prébendes politiques.

S : Votre dernier mot ?

A. O. : Vous avez remarqué que j’insiste sur la perspective civile. C’est parce que je suis convaincu de l’importance des ressources mentales pour relever le défi, car aucun peuple ne peut gagner la guerre s’il ne se regarde comme un peuple victorieux. Et laissez-moi vous dire que le Burkina Faso regorge de véritables héros que nous ne savons malheureusement pas célébrer suffisamment. Souvent, nous les combattons ou travaillons à les ruiner au lieu de les vénérer !

Comme figures héroïques, nous avons celle de Thomas Sankara qui trotte sur le toit du monde. Le meilleur architecte au monde est un Burkinabè. L’homme le plus fort au monde est un Burkinabè. Le meilleur enseignant des universités de New York est un Burkinabè. Des centres de recherche burkinabè sont pionniers en Afrique. Notre école doctorale de philosophie est l’une des meilleures de l’Afrique francophone. Le Burkina Faso fait partie du peloton de tête des pays les plus respectueux de la liberté de presse. Nous sommes l’un des peuples offrant la plus grande proportion de jeunes. Notre pays est une éponge de ressources minéralières.

Nous sommes l’un des pays offrant l’une des plus grandes ressources solaires. Notre peuple est reconnu partout comme un peuple intègre. Il nous reste à redécouvrir la véritable portée stratégique de l’intégrité pour en faire le haut lieu de notre espérance. Et c’est avec ce mot d’espérance que je vous souhaite un bon retour à Ouagadougou.

Interview réalisée par

Mahamadi SEBOGO (De retour d’Abidjan)

 

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