Mille et une questions

La crise sécuritaire qui secoue le Burkina Faso, depuis sept ans, a franchi un seuil critique. Les attaques et exactions terroristes s’inscrivent désormais dans la routine. Elles sont quasi quotidiennes et touchent l’ensemble du pays, avec un mode opératoire de plus en plus axé sur le massacre des populations civiles. Le dernier acte barbare en date, qui a fait l’objet d’un deuil national, est celui de Seytenga.

Dans la nuit du 11 au 12 juin 2022, des hommes armés ont fait irruption dans cette commune de la région du Sahel et y ont exécuté 86 personnes, selon le dernier bilan gouvernemental. Cette énième attaque a malheureusement contribué à allonger la liste des victimes civiles et militaires du terrorisme au Burkina Faso, estimées à plus de 2 000 et à augmenter le nombre de déplacés internes.

Ceux-ci avoisinent les 2 millions, selon les données actualisées du Secrétariat permanent du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR). Malgré la volonté affichée par les autorités de la Transition de casser du terroriste, en atteste la multiplication des opérations militaires sur le terrain, l’insécurité, pour la moins historique, ne recule pas.

La situation sécuritaire se dégrade de façon continue, à telle enseigne que 40% du territoire échappe désormais au contrôle du gouvernement burkinabè. L’on se demande comment le Burkina Faso, jadis havre de paix, a pu basculer dans l’horreur, au point que certains citoyens l’assimilent sans rire à l’Afghanistan. Si l’ennemi ne venait que de l’extérieur, la réponse à cette question pouvait être envisagée avec moins de complexité, mais il se trouve que des Burkinabè attaquent leur chère patrie. Pourquoi des compatriotes veulent-ils brûler le pays pour chauffer leur café, comme l’avait laissé entendre le célèbre journaliste d’investigation, Norbert Zongo ?

Que reprochent-ils au pouvoir central et à leurs frères et sœurs ? Que veulent-ils ? Se sentent-ils marginalisés au point de se radicaliser ? Sont-ils influencés par des considérations religieuses ou ethniques ? Ce sont autant de questions à faire perdre le sommeil, si elles ne nous plongent pas dans d’interminables réflexions. C’est dans ce contexte d’incertitudes et de questionnements, que le Médiateur fraichement désigné de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour le Burkina Faso, Mahamadou Issoufou, a effectué sa première mission à Ouagadougou, les 17 et 18 juin 2022.

Après avoir pris la mesure de la situation, l’ancien président nigérien est reparti, tout en rassurant que la CEDEAO souhaite rester aux côtés du Burkina Faso et qu’il s’efforcera de tout faire pour qu’il en soit ainsi. Aussi a-t-il salué l’ouverture au dialogue du chef de l’Etat burkinabè, ce qui constitue un atout pour faire bouger les lignes dans le bon sens. Si l’organisation sous régionale n’est pas indifférente aux malheurs du Burkina Faso, elle semble particulièrement attentive à deux aspects.

La crise humanitaire retient manifestement l’attention de la CEDEAO, qui a fait un don sous forme de prêt de plus de 6 000 tonnes de vivres, au pays des Hommes intègres, le 17 juin 2022. Cet appui salutaire va permettre d’accompagner la mise en œuvre du plan de réponse et de soutien aux personnes vulnérables. Exigeante sur le respect des règles démocratiques, la CEDEAO est également très préoccupée par l’élaboration d’un calendrier consensuel, notamment une période de Transition, en deçà des 36 mois proposés par le président, le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, aux affaires depuis le coup d’Etat du 24 janvier 2022.

On ne peut pas en dire autant de la situation sécuritaire elle-même, tant les discours abondent plus que les actes à la CEDEAO, alors que le Burkina Faso est dans l’urgence. Bon nombre de citoyens auraient aimé constater un appui militaire aérien ou au sol de l’organisation ouest-africaine dans la lutte contre le terrorisme sous nos cieux. Si la CEDEAO avait bandé les muscles, en 2016, pour empêcher l’ancien président Yaya Jameh de s’accaparer du pouvoir au détriment de son tombeur dans les urnes, Adama Barrow, elle doit être également en mesure d’aider le Burkina Faso à sortir du gouffre. Au lieu de vouloir prioriser un retour à un ordre constitutionnel normal, ce qui ne saurait se faire objectivement dans un contexte d’insécurité généralisée et de crise humanitaire sans précédent.

Kader Patrick KARANTAO

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