Mort des poissons sur le fleuve Mouhoun :la version de l’universitaire Frédéric Zongo

A travers cet écrit, le maître de conférences Frédéric Zongo revient sur la mort des poissons sur le fleuve Mouhoun, le 7 juillet 2021, dans la province de la Boucle du Mouhou. Lisez plutôt !

Le 7 juillet 2021 (le lendemain d’une pluie diluvienne), il a été constaté sur le fleuve Mouhoun, dans sa portion de Siby et de Poura, une quantité importante de poissons morts. Un évènement récurrent sur ce plan d’eau depuis un certain nombre d’années. Cet épisode me rappelle les deux autres incidents (similaires) survenus en mars 2015, a Ouagadougou dans la portion du canal de Zogona située dans le parc Bangre wéogo et dans la commune de Dori (mare Hawaldiel). Une étude commanditée par la mairie de Dori m’avait permis de produire un rapport expliquant les raisons de la survenue de ce drame à la suite d’une grande pluie qui s’est abattue à Dori le 24 mars 2015 (ZONGO, 2015).

Il en est de même pour le drame survenu en 2009 au niveau du réservoir de Kouna dans le département de Markoye (Oudalan) ou en une journée environ 189 bœufs et ovins sont morts après avoir bu l’eau de la retenue. La mine d’or d’Essakane (située à environ 100 km de l’endroit du drame) avait été accusée d’y avoir versé du cyanure. J’ai alors écrit un article paru dans le quotidien le pays (numéro 4450 du 14-09-2009) pour expliquer le pourquoi de la survenue de ce drame.

Aujourd’hui avec cet incident survenu sur le fleuve Mouhoun, qu’il me soit permis avant tout propos relatif à ces évènements de fournir aux lecteurs et plus spécifiquement, aux agents des Directions régionales de l’Eau et de l’Assainissement (DREA) ainsi qu’à ceux des Agences de l’Eau des informations relatives aux écosystèmes aquatiques et à leur fonctionnement. Informations qui leur permettront dans mon prochain article de comprendre pourquoi nous assistons à cette situation chaque fois en début de saison pluvieuse au niveau de certains plans d’eau.

Une très grande variété d’écosystèmes aquatiques

Il existe une très grande variété d’écosystèmes aquatiques continentaux que l’on peut regrouper en trois grands types suivant que leurs eaux sont stagnantes, courantes ou souterraines. Les milieux aquatiques aux eaux stagnantes (écosystèmes lentiques) sont : les lacs, les étangs, les mares, les marais et marécages. Les milieux aquatiques aux eaux courantes (écosystèmes lotiques) sont tous les torrents, ruisseaux, rivières et fleuves dont les eaux sont manifestement en mouvement le long des pentes. Les milieux aquatiques souterrains, ce sont le plus souvent des nappes d’eau imbibant le sous-sol. Ce sont aussi parfois de véritables cours d’eau disparaissant dans des galeries souterraines.

On distingue plusieurs types d’écosystèmes lentiques en fonction de leurs caractères morphométriques, et de leur niveau trophique. La distinction entre les différentes catégories est fondée sur l’importance de leur profondeur par rapport à leur étendue. En effet, l’étendue de la zone littorale où se développe la couronne de végétation riparienne constituée de macrophytes (plantes supérieures à racines tiges et feuilles) est d’autant plus importante que le plan d’eau est moins profond. Il est possible de différencier les écosystèmes lentiques sur le plan des facteurs chimiques, par la teneur de leurs eaux en nutriments (éléments nutritifs).

On distingue par exemple des écosystèmes lentiques oligotrophes, mésotrophes et eutrophes en fonction de leur teneur relative en ions orthophosphates (PO4) et nitrates (NO3-). Les premiers ont des eaux pures et transparentes, pauvres ou très pauvres en nutriments, les seconds ont une teneur moyenne en nutriments. Enfin les eutrophes possèdent des eaux organiquement polluées (naturellement ou artificiellement) par rejet d’eaux usées ou autre action d’origine anthropique conduisant à un apport important en phosphore et ou d’azote enrichis en nutriments minéraux (écosystèmes lentiques hypereutrophes ou dystrophes). Les écosystèmes lotiques forment des milieux ouverts étroitement liés aux écosystèmes terrestres environnants, les caractéristiques principales des cours d’eau (largeur, quantité d’eau, courant) permettent de distinguer les ruisseaux, des rivières et des fleuves.

Un double flux longitudinal et transversal d’eau

Ils constituent avec l’ensemble des écosystèmes aquatiques qui leur sont associés un assemblage écologique complexe dénommer hydrosystème fluvial, qui au plan fonctionnel est marqué en premier lieu par un double flux longitudinal et transversal d’eau et de particules en suspension de toute nature (minérale et organiques). Le fonctionnement des écosystèmes aquatique est surtout caractérisé par sa capacité d’autoépuration qui contrôle le cycle de la matière. En effet, les matières organiques mortes drainées par les eaux de ruissellement ou celles résultants de la mort des organismes aquatiques sont dégradées en éléments minéraux (nitrates et ortho-phosphates etc. ) grâce aux bactéries aérobies.

Ces éléments minéraux vont favoriser le développement des algues qui sont capables de photosynthèse. Ces algues constituant le premier maillon de la chaîne alimentaire (producteurs) favorise la productivité halieutique. Comme vous le constatez, les éléments minéraux sont tour à tour recyclés en fonction de leur passage alternatif sous forme minérale (nitrates ortho-phosphates, silice, etc.) et organique (algues, poissons etc.). Dans un écosystème lotique, lorsque le processus d’autoépuration se déroule normalement de l’amont vers l’aval, le cours d’eau se porte mieux.

Ce processus normal n’est possible que si cet écosystème n’est pas victime d’un apport important de matières organiques (inertes), et que la capacité d’autoépuration de ce milieu n’est pas dépassée par appauvrissement en oxygène. Dans un écosystème lentique, le même processus d’autoépuration s’y déroule. Cependant, au fur et à mesure que les années passent, la situation se complique, car contrairement à l’écosystème lotique, la teneur en oxygène dissous est relativement basse à cause de la faible agitation des eaux. Seule l’activité photosynthétique (utilisant le gaz carbonique) des algues pourvoit ces milieux en oxygène. Cette situation les rend très vulnérables à toute pollution par les matières organiques.

Les gaz dissous (oxygène et gaz carbonique) sont donc très importants pour tout écosystème aquatique. Leur présence dans les milieux aquatiques a permis à la vie de prospérer. Les organismes aquatiques respirent et ont donc besoin d’oxygène pour vivre. Les algues ont en plus besoin de gaz carbonique pour réaliser la photosynthèse. L’oxygène est en outre indispensable à l’épuration des milieux aquatiques. Il permet en effet aux bactéries aérobies présentes dans les écosystèmes aquatiques de dégrader les matières organiques biodégradables. Un écosystème aquatique est avant tout un système dynamique, il naît, il se développe, il meurt. Ce n’est pas un système stable, figé dans un état qui serait le seul état viable pour lui.

C’est un système qui évolue naturellement et en permanence sous l’effet de perturbations naturelles, un système dont on peut même dire qu’il ne survit que grâce à ces perturbations. Dans un écosystème lotique, les crues, par exemple, sont indispensables au maintien des cours d’eau, car elles permettent un rajeunissement des végétations riveraines, un remaniement des fonds qui évite leur envasement, ainsi qu’une régulation de la dynamique des populations. L’évolution d’un écosystème n’est cependant pas régulière, elle se fait par à-coups. Sous l’effet d’une perturbation, l’écosystème change d’état.

Puis il se met à évoluer progressivement de façon plus ou moins rapide, vers un nouvel état d’équilibre, processus dont il sortira comme rénové. Parfois cependant, l’écosystème peut perdre cette aptitude à retrouver un état d’équilibre, on dit alors qu’il perd sa capacité de résilience. Cela se produit lorsque la perturbation est trop importante, lors de certaines pollutions (organiques surtout) graves par exemple, et que les seuils dits d’irréversibilité sont dépassés. La capacité d’épuration des écosystèmes aquatiques peut ainsi être outrepassée.

Celle-ci est en effet limitée car le processus de dégradation des matières organiques par les bactéries aérobies est lent et ce, d’autant plus que la teneur en oxygène du milieu aquatique est faible ou qu’il fait froid. La matière organique non dégradée a donc une tendance naturelle à s’accumuler. Mais lorsque ce cumul devient trop important et que le milieu n’est plus à même de tout dégrader et de réaliser ainsi son autoépuration. Dans le prochain article, nous verrons ce qui se passe lorsque l’équilibre est rompu. Ce qui me permettra d’expliquer cette forte mortalité des poissons constatée le 7-07-2021 sur le fleuve Mouhoun.

Frédéric ZONGO,
Maître de Conférences
Chevalier de l’Ordre des Palmes Académiques
Université Joseph KI-ZERBO
Adresse courriel : gulb.zongo@yahoo.fr

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