Nutrition sportive : un luxe pour les clubs burkinabè

L’alimentation du footballeur est un élément important pour son rendement sur le rectangle vert, dans la mesure où elle est un facteur déterminant pour sa solidité physique et ses performances. Nous nous sommes intéressés à l’hygiène alimentaire des joueurs évoluant dans le football burkinabè et le constat est assez saisissant.

En ce petit matin du 15 février 2022, à Salimata et Tasséré Football Club (SALITAS), peu avant l’entrainement du jour, Bachirou Yaméogo et ses camarades prennent le petit-déjeuner dans le réfectoire du centre de Ouagadougou. Au menu du jour, un quart de pain, des omelettes, un verre de jus de fruit nature et de l’eau. Le menu est minutieusement choisi et programmé tous les jours pour les jeunes footballeurs. Ici, on ne mange pas tout ce qui passe sous la main. Plusieurs aliments et boissons sont interdits aux jeunes footballeurs. Le spécialiste en cuisine sportive du centre de formation de Rahimo football club (Rahimo FC, club de football de Bobo-Dioulasso), Jean Baptiste Agbarsiba, veille à ce que l’alimentation des apprenants soit riche et variée pour leur apporter tous les nutriments et vitamines nécessaires à leur bonne santé et leur permettre d’être performants et compétitifs.

la sauce épinard au soumbala préparé avec 1 litre d’huile.

Au centre de formation Rahimo FC, une académie située à Bama, à 30 km de Bobo-Dioulasso, les pensionnaires ont droit à trois repas par jour accompagnés de dessert : petit-déjeuner, déjeuner et diner. Dans la semaine, les joueurs peuvent recevoir par exemple au petit-déjeuner du thé au lait, du pain, du fromage, de la bouillie de petit mil, de la confiture et des œufs. Au déjeuner, ils consomment soit du riz au gras ou à la sauce pâte d’arachide et légumes, accompagné de viande ou du poisson, des féculents (igname, patate), des pâtes alimentaires (spaghetti, macaronis), du couscous, du tô. Ce sont pratiquement les mêmes mets qui se retrouvent au dîner. Pour les desserts, il est proposé de la banane, du yaourt, des oranges ou de la salade de fruits. Le but est d’assurer au jeune joueur les nutriments essentiels à son activité sportive afin de réussir sa carrière footballistique, explique M. Agbarsiba. Le spécialiste de l’alimentation sportive du centre dit éviter au maximum les matières grasses : « Pour préparer surtout le riz gras et le spaghetti gras, j’évite de mettre trop d’huile. Quant à la sauce d’arachide, j’retire l’huile au-dessus de la sauce ».

Des besoins nutritionnels plus accrus

« …. Kambou, Kambou !!! C’est bon, mais ce n’est pas arrivé, Bachirou !!! Cours, cours… ; Fadil, très bien, c’est ce que je veux voir… », ce sont là les encouragements du directeur sportif de SALITAS FC, Boureima Maïga, à l’intention des jeunes pensionnaires de cet autre centre de formation sis à la banlieue sud de Ouagadougou, dans le quartier Ouaga 2000. Nino, Fadil, Traoré, sont des noms qui reviennent fréquemment sur les lèvres de l’ancien international burkinabè. Neuf joueurs sont sur le terrain d’entrainement, âgés d’à-peine dix-huit ans, avec un rêve commun : aller jouer en Europe. Il est 11h30 minutes, le soleil monte progressivement au zénith. De grosses sueurs coulent sur les visages. La fatigue se fait ressentir. La pelouse mouillée est glissante. De temps à autres, les joueurs s’écroulent au sol, se relèvent et continuent de batailler. Pendant deux heures, le directeur sportif Boureima Maïga les soumet à différents ateliers pour les préparer au football de haut niveau. Puis, l’heure de la pause arrive. Le centre de football de SALITAS dispose également d’une académie de football où de jeunes joueurs viennent poursuivre leur rêve de jouer pour de grands clubs européens. Ici, le centre veille sur leur encadrement physique, sportif et leur équilibre alimentaire. Le médecin sportif du club, Dr Abdoul Kader Hébié, explique que le footballeur a des besoins nutritionnels standards comme tout être humain : glucides, lipides, protides et vitamines. Mais, précise-t-il, le footballeur a des besoins plus accrus en certains nutriments. « L’individu ordinaire a besoin, en apport journalier pour sa ration, de 50 à 60 % de glucides, mais chez le sportif, le besoin va jusqu’à 70 % à cause de l’effort physique qu’il fournit », soutient le spécialiste. Dr Hébié conseille ensuite que pour avoir une bonne santé et de meilleurs rendements sportifs, le footballeur doit avoir un régime alimentaire complet et équilibré à travers une alimentation la plus variée possible tant au petit déjeuner, au déjeuner, qu’au diner. Mais ces apports doivent se faire en fonction du rythme des entrainements. « Si le joueur s’entraine dans la matinée, son petit déjeuner n’aura pas la même consistance que s’il s’entraine dans la soirée.

L’amateurisme des clubs de la ligue 1

Le directeur sportif de Salitas, Boureima Maïga : « Un joueur doit abandonner ses habitudes alimentaires et se soumettre à la discipline du métier pour réussir ».

Il en est de même pour le déjeuner et le diner », indique Dr Abdoul Kader Hebié. Ce qui fait dire au directeur sportif, Boureima Maïga, que le métier de football est un sacrifice : « Lorsqu’un joueur aborde ce métier, il doit abandonner ses habitudes alimentaires et se soumettre à une discipline pour réussir sa carrière ». En matière d’hygiène alimentaire, les deux centres de formation de football que nous avons visités disposent d’une certaine organisation prenant en compte les besoins nutritionnels de leurs pensionnaires dans l’optique de les préparer à embrasser une carrière professionnelle de haut niveau. Ils disposent à ce titre d’un budget alloué à l’alimentation.

Le centre de formation de Salitas FC a un internat où se met en œuvre une politique d’hygiène alimentaire. Tous les jours, les joueurs internés et ceux qui doivent rejoindre des clubs à l’international sont soumis à un programme alimentaire rigoureux. Seulement, le club révèle que des difficultés demeurent lorsque les joueurs rentrent en famille pendant les temps de sortie. Le directeur sportif reconnait que le suivi et le contrôle de l’alimentation est difficile pour les footballeurs qui sont hors de l’internat. Du côté de l’Association Jeunes Espoirs de Kolsama (AJEK), un club de troisième division basé à Bobo-Dioulasso, le constat est tout autre. Le coach de cette formation sportive, par ailleurs, sélectionneur par intérim de l’équipe nationale burkinabè, Oscar Barro, avoue que « les conditions de vie et de travail très difficiles dans lesquels végètent les clubs de Ligue 1 ne leur permettent pas de mettre en place un système de suivi de l’hygiène alimentaire des joueurs ». C’est seulement lors des regroupements d’avant-match ou lorsque les joueurs sont mis au vert en vue d’une compétition qu’ils bénéficient d’une discipline alimentaire, poursuit-il. En dehors de ces cadres, les joueurs sont laissés à eux-mêmes. Et le coach des Etalons A de supposer que les joueurs « essaient d’appliquer l’hygiène » pour leur propre performance.

Mais à l’évidence, cette supposition est erronée eu égard de la précarité dans laquelle évoluent les footballeurs sur le plan national. Le milieu de terrain de l’Association Sportive des fonctionnaires de Bobo (ASFB), Issa Karambiri, admet qu’il est difficile pour lui d’observer un régime alimentaire adapté à un joueur professionnel, car il n’a pas un salaire régulier. Il essaie, bon an mal an, de se débrouiller avec le peu qu’il gagne, comptant sur le soutien de sa famille lorsque son salaire se fait attendre. Son coéquipier, gardien de but de l’ASFB, l’Ivoirien Valentin Kouakou, soutient par contre que son salaire est de nature à lui permettre de s’assurer une bonne hygiène alimentaire au prix d’une certaine rigueur budgétaire. « Lorsque je touche mon salaire, j’évite les sorties dans les maquis ou en boîtes de nuit. J’essaie d’avoir une vie rangée, ce qui me permet de ne pas gaspiller mon argent et de me garantir une bonne hygiène alimentaire », soutient-il. Les ressources allouées à son hygiène alimentaire constituent un poste de dépense clé dans la nomenclature budgétaire privée du portier de ce club. Les réalités sont sensiblement les mêmes dans bien d’autres clubs de football évoluant dans le championnat national de première division au Burkina Faso. Issu d’une famille de footballeurs, le milieu offensif du Racing Club de Bobo-Dioulasso (RCB), Wilfried Dipama, est confronté au même problème d’irrégularités de sa paie. « Dans notre club, ce n’est pas du tout facile. Actuellement les salaires viennent en retard et cela nuit un peu à l’application d’une saine alimentation », confie-t-il.

Aucune carrière envisageable sans discipline alimentaire

Ce type de petit déjeuner permet au joueur d’avoir les nutriments nécessaires pour performer.

Conscient de l’importance de l’hygiène alimentaire pour les performances sportives d’un joueur, Wilfried se désole de ne pouvoir mettre en œuvre cette exigence du fait des réalités du football burkinabè. « Lorsque tu manges bien, tu as un bon mental, tu es en pleine forme, tu peux donner tout sur le terrain pour réussir. Mais quand tu as des difficultés, surtout financières, c’est vraiment difficile de donner le meilleur de soi-même », développe-t-il. Retard de paiement, irrégularité ou modicité des salaires s’avèrent être l’apanage de nombre de clubs au Burkina Faso dont la plupart fonctionnent sur la base des subventions de la Fédération burkinabè de football (FBF). En plus, seuls les clubs de première division (D1) et de deuxième division (D2) bénéficient de cette subvention. C’est dire à quel point la situation des joueurs évoluant en 3e division est davantage moins enviable. Oscar Barro souligne que les clubs de ce niveau n’ont pas la capacité financière d’offrir un salaire rationnel afin de permettre aux joueurs de s’assurer un équilibre alimentaire. « Tout ce que nous dépensons pour les joueurs vient de nos fonds propres », assure l’entraîneur de l’AJEK. Oscar Barro est formel, l’irrégularité des salaires est un véritable obstacle à l’observation d’une hygiène alimentaire chez les joueurs évoluant sur la scène nationale. L’ex-entraineur de l’ASFB, Yssouf Ouédraogo dit Lato, est d’avis avec l’actuel sélectionneur par intérim des Etalons A. Lui, renchérit pour accabler davantage les structures qui emploient les joueurs. Il estime, en effet, que c’est un luxe pour des clubs qui peinent à payer régulièrement les salaires de leurs joueurs, de s’offrir les services d’un nutritionniste sportif. « Des joueurs viennent souvent le ventre creux pour jouer des compétitions, une situation qui influe négativement sur leurs rendements », déplore Yssouf Ouédraogo. L’entraîneur souligne en outre que le fait pour un joueur de ne pas pouvoir compenser ce qu’il a dépensé pendant un match de football est aussi une cause de contre-performance à la longue. Les clubs sont sans doute défaillants mais certaines voix accusent par ailleurs un manque de professionnalisme des joueurs eux-mêmes. Le coach- adjoint du RCB, Marcel Tiemtoré, estime par exemple qu’un joueur n’a pas besoin de beaucoup de moyens pour s’imposer un régime alimentaire équilibré. Selon lui, les joueurs peuvent adapter les exigences nutritionnelles aux mets locaux que certains joueurs négligent par rapport aux aliments occidentaux. Marcel Tiemtoré estime ainsi que pour être bien dans son corps, un footballeur professionnel peut prendre de la bouillie de petit mil au petit-déjeuner, un quart de pain et un peu de lait.

En tout état de cause, le médecin du sport, Dr Abdoul Kader Hébié établit une connexion entre l’alimentation et la performance sportive. « Si l’alimentation du joueur est déficitaire en glucide, il ne pourra pas fournir un effort physique et donc, exceller. S’il lui manque des vitamines, il ne pourra pas avoir un bon rendement musculaire afin de pouvoir performer… », explique-t-il. Et par voie de conséquence, le footballeur qui ne respecte pas l’hygiène alimentaire, aura beaucoup de problèmes pour performer et progresser dans sa carrière. A ce titre, les crampes à répétition, les troubles musculaires, les déchirures musculaires fréquentes, les lésions ligamentaires, voire les fractures multiples sont autant de risques que courent les footballeurs déficients en matière de régime alimentaire adapté aux exigences de leur métier. « Nous ne pouvons que leur donner des conseils. Dans la pratique, nous ne pouvons pas garantir de l’application des conseils hygiéniques au niveau de chaque joueur », se désole Dr Hébié. C’est pourquoi Oscar Barro, considérant le bénéfice d’une alimentation équilibrée pour l’évolution professionnelle du joueur dans sa carrière, plaide pour la mise en place de foyers au sein de chaque club, où les footballeurs pourront se restaurer sainement.

Wamini Micheline OUEDRAOGO

Laisser un commentaire