Offrande Lyrique: Politique et économie… qui commande ?

Bien que la politique et l’économie partagent un même but, l’harmonie de la vie en société, les moyens qu’ils préconisent sont différents : l’alignement des volontés d’une part, et celui des ressources de l’autre. Ainsi, ces deux concepts, par essence en friction, sont désormais dans un équilibre perçu comme défavorable aux populations. Cela nous amène à la réflexion suivante : qui, de la politique ou de l’économie, est responsable du tissage de nos sociétés contemporaines ? Laquelle des deux commande et contrôle l’autre ? Ce champ de réflexion, vieux de plusieurs siècles, a déjà été exploré par de nombreux économistes, sur les théories desquels nous allons revenir notamment sur les fondements des théories libérale et communiste, et la mise en tension qu’elles induisent en faveur de l’économie. Nous verrons ensuite comment les évolutions du XXème siècle ont bouleversé cet état des choses, et tenterons de donner un aperçu contemporain du rapport de tension entre la politique et l’économie.

Le premier axe de réponse à cette interrogation nous est donné par l’étude des théories fondatrices de l’économie. Les textes de Smith, Mill et Marx renvoient une image secondaire de la politique, et placent en revanche l’économie en force sous-tendant la société. Une première théorie liant intimement la politique et l’économie est celle d’Adam Smith, qu’il développe dans son ouvrage « La Richesse des Nations ». Il y est ainsi développée l’idée d’une économie qui serait auto-suffisante, dotée d’une « main invisible » qui régule d’elle-même les prix, les volumes et la qualité des biens et des services échangés.

Cette « main invisible » est le fruit d’une collaboration entre des individus qui sont, chacun, à la recherche de la maximisation de leur utilité marginale, tout en interagissant avec leurs pairs. De ce fait, la concurrence, par exemple, est lissée : si un marchand augmente ses prix, ses clients se redirigeront vers son concurrent pour leur consommation, et il se verra obligé de baisser de nouveau ses prix. La politique n’intervient dans cette organisation que pour lisser des écarts importants de marché, où l’asymétrie d’information est trop pénalisante.

Elle est moins nécessaire que l’économie, et surtout, ce n’est pas elle qui régit les rapports entre les individus mais bien cette « main invisible ». Considéré comme le père du libéralisme, Smith enjoint la classe politique à se plier aux engagements économiques et à n’apporter que des modifications secondaires et bénéfiques au système en place. Cette vision est également partagée par John Stuart Mill, notamment au sein de ses « Principes d’Economie Politique ».

Il y présente en effet l’avancée sociale comme dépendante d’un état de liberté absolue de chaque individu, notamment dans l’exploitation des ressources, dans un cadre de « juste distribution des fruits du travail [de chacun] ». Ainsi, l’économie reste considérée comme la priorité principale, et chaque individu doit pouvoir administrer à sa guise les ressources qui lui sont attribuées dans le respect de l’autre.

La politique n’intervient, ici encore, qu’en second lieu, afin de garantir ce respect et d’assurer une avancée sociale uniforme. Ainsi, l’économie demeure la priorité et doit être laissée le plus libre possible pour permettre à chacun d’avancer vers de meilleures conditions de vie. De l’autre côté de l’échiquier politique, on retrouve une même prédominance de l’économie sur la politique.

Ainsi, le fondateur du communisme, Karl Marx, décrit la société comme soumise à des forces économiques implacables qui maintiennent chacun dans une classe socio-économique immuable. Le réel poids entre les individus est leur différence de conditions. La classe politique est alors présentée comme pervertie par les grands pontes capitalistes, qui détiennent les rênes de l’économie.

Soumise par nécessité aux désirs de ces derniers, la classe politique déroge au but qui lui est assigné, celui de garantir le meilleur pour tous les citoyens, au privilège des couches les plus aisées de la société. Hypocrite et mensongère, la politique n’a alors plus d’autre rôle que le maintien des classes sociales établies par le système capitaliste. Toutefois, ces acceptions ont été élaborées au XIXème siècle, c’est-à-dire au sein d’un système fonctionnant principalement sur l’artisanat, l’agriculture, et avant les prémisses de l’industrialisation.

A partir de la fin du XIXème siècle, plusieurs mouvements ont pris place et ont bouleversé le fonctionnement socio-économique établi auparavant. Les développements simultanés de l’industrialisation de l’économie, de la globalisation des marchés, et, à la fin du XXème siècle, l’arrivée d’internet, ont bouleversé les institutions pré-existantes. Les échanges de biens et de services ont gagné non seulement en volume, mais aussi en distance couverte et en rapidité de livraison.

Le floutage des frontières pré-existantes et l’arrivée de cette nouvelle économie ont remis en cause le côté auto-régulateur et immuable qui était attribué à l’économie, et ont permis de mettre en exergue l’importance du pouvoir politique. Ainsi, le XXème siècle a été marqué par l’émergence de nouvelles théories, qui affirment que l’économie ne peut en réalité se passer de la politique : son fonctionnement débridé ne serait pas bénéfique à la société, et la politique est nécessaire pour réguler correctement ce fonctionnement.

C’est notamment la thèse portée par le courant du keynésianisme, appelé l’économie politique, développé par John Maynard Keynes. Ce dernier suggère, contrairement à la théorie de Smith, que l’économie ne peut se suffire à elle-même. Les marchés, opérant indépendamment, ne conduisent pas à un optimum économique.

Afin d’y parvenir, une intervention de l’Etat est nécessaire. En effet, la classe politique, bénéficiant d’une vision long-termiste, tempère l’impétuosité des acteurs économiques et permet la juste répartition des emplois et des ressources. Une intervention politique est, par exemple, absolument nécessaire dans des contextes de crise, au cours desquels les marchés sont trop lents dans leur ajustement des prix tel que mentionné par Smith.

L’Etat peut alors financer des plans de relance, alliant les acteurs économiques et les classes moins aisées de la société, afin de garantir une avancée harmonieuse de la société à tous les niveaux. L’idée que l’économie ne conduit, dans sa forme la plus libre, pas au bénéfice de tous, a été illustrée par les crises financières et économiques qui ont pris place tout au long des XXème et XXIème siècles.

Démentant les théories libérales qui affirment le bien-fondé du fonctionnement débridé de l’économie, les crises financières et les chocs pétroliers ont résonné aux quatre coins de la planète et ont durement frappé chaque couche de la société. Démontrant le manque de confiance et de jugement des marchés, ces crises ont souligné l’importance de la régulation des activités économiques afin de prévenir les dérives liées à la recherche de profits. Ce sursaut de légifération s’est notamment illustré après les crises financières de 2008 et 2012.

Suite à ces deux crises, de nombreuses zones grises ont été identifiées sur le marché financier, c’est-à-dire des pans entiers de la finance qui n’étaient ni encadrés ni régulés. Des comités se sont alors formés pour encadrer les activités bancaires et d’investissements afin d’en prévenir les glissements. On voit donc que les Etats, au sens d’organisations politiques, ont pris le pas sur les marchés, et détiennent un rôle qui est aussi déterminant que nécessaire à la survie de la société.

L’importance des Etats s’est également fait ressentir avec un sursaut de nationalisme face au constat des destructions que peut générer une économie internationale et libérale en crise sur les économies nationales, et notamment sur les classes les moins aisées de la société. De plus en plus de politiques prônent un retour à un encadrement de l’économie. Le rôle de la politique devient alors crucial, car il permet de recréer un cadre sécurisant et de confiance, dans lequel chaque classe sociale peut se retrouver.

Dégageant son importance de son contrôle de l’économie, la politique prend clairement le dessus en pliant cette dernière aux règles qui siéent le plus aux citoyens. Ainsi, on a pu voir que si l’économie est traditionnellement vue comme la force dominante face à la politique, les évolutions récentes lui ont donné un rôle dont l’importance crée le préjudice social. Dès lors, l’intervention de la politique paraît inévitable, et cette dernière prend alors le dessus sur l’économie en responsabilité mais aussi en légitimité.

Néanmoins, malgré la volonté politique, la capacité d’un Etat à contrôler l’ensemble des nouveaux acteurs et des nouveaux enjeux émergeants de notre époque reste incertaine. Ces interrogations trouvent résonance au cœur des luttes contre la fraude fiscale, contre le shadow banking, ou encore dans le domaine de la protection des consommateurs. Ainsi, bien que la politique domine de plus en plus l’économie de nos jours, le but de cette domination, à savoir l’effacement des dérives de l’économie débridée, reste difficile à atteindre par les gouvernements.

Mamadou Banakourou TRAORE

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