Offrande lyrique : violence en politique

La violence, indissociable de la politique, a incarné bien des moyens d’action au cours de l’Histoire. Toutefois, les régimes démocratiques ne peuvent se satisfaire d’actes de violence et doivent y répondre. Sans pour autant accepter la violence au sein de la vie politique de nos démocraties, quelle est sa place si elle en a une ?

Si nos démocraties semblent aujourd’hui en proie à la violence, elles ne le sont pas plus que par le passé. Si les actes de violence regroupent des formes d’action larges et hétérogènes, ils ont toujours été liés à l’expérience politique. Si la violence a été la sage-femme de l’Histoire et fait partie de la vie politique de nos démocraties, celles-ci doivent savoir la traiter sans quoi elles pourraient être menacées.

LA VIOLENCE EST INDISSOCIABLE DE LA POLITIQUE

Le lien entre la violence et la politique structure la philosophie politique sans pour autant aboutir à un consensus. A ce titre, la pensée d’Hannah Arendt est éclairante car non sans contradiction. Considérant la violence comme « condition prépolitique de la politique », Hannah Arendt en conclut que la violence « ne joue pas de rôle dans l’activité politique elle-même » et qu’ainsi la violence et la politique s’excluent l’une de l’autre. Pour autant, ses derniers travaux soulèvent les limites de cette théorie puisqu’elle voit désormais la violence comme « une forme d’action politique, une manifestation de la vie et de l’histoire politiques des hommes ».
Il convient de préciser que la violence n’est pas le propre des régimes non démocratiques. La politique tient sa force de la violence qu’elle exerce sur ceux qui sont écartés de la chose publique. C’est tout le principe de la démocratie athénienne qui est conditionnée par la violence exercée sur les esclaves, qui affranchit de certaines obligations permettant ainsi de se charger des affaires publiques.

LA VIOLENCE « ACCOUCHEUSE DE L’HISTOIRE »

Rares sont les révolutions et les expériences politiques, quelles qu’elles soient, qui ne s’accompagnent pas de violence. Ce qu’Hannah Arendt nomme les « commencements en politique » sont illustrés par les propos de François Sureau : « la République est née de la haine des tyrans […] dans l’espoir fou du progrès et de l’émancipation individuelle et collective […]. La Révolution a voulu briser les idoles, les rois à Saint-Denis ». C’est cette même rhétorique qui fonde le discours des émeutiers et des « casseurs » qui considèrent que les moyens habituels de mobilisation politique que sont le suffrage, les manifestations ou encore les grèves, « ne servent à rien ».

SE CACHENT SOUVENT DERRIÈRE LA VIOLENCE DES MAUX PLUS PROFONDS

Si dans un Etat de droit on ne peut se satisfaire des mesures préventives que prendrait un Etat afin de contenir la violence avant qu’elle n’ait eu lieu, on ne peut non plus se satisfaire des images de lynchage d’une effigie du chef de l’Etat, élu démocratiquement, auxquels des représentants de la Nation ont pris part, pas plus qu’on ne peut se satisfaire des images de permanences d’élus vandalisées. La manifestation de la violence en politique est bien souvent le signe de maux plus profonds qui doivent nous préoccuper collectivement. Le rabbin Delphine Horvilleur constate que : « dans la Bible, quand la violence surgit, immédiatement l’humanité se défausse. Caïn tue son frère et quand Dieu lui demande ce qu’il a fait, l’assassin répond « Suis-je le gardien de mon frère ? ». En d’autres mots, Caïn plaide sa non-culpabilité devant Dieu tel un enfant : « Ce n’est pas moi, c’est l’autre ». Aujourd’hui, la parole de Caïn se retrouve dans bien des discours de la sphère publique : « c’est la faute de l’étranger, de la mondialisation, des élites… ».

FACE À LA VIOLENCE, L’ETAT DE DROIT EST LE GARANT DE NOS DÉMOCRATIES ET DE SON ESPACE POLITIQUE

S’il est admis que la violence fait partie de l’espace politique, la force des démocraties réside dans leur refus de la loi du talion, dans l’indépendance de leur justice et dans la garantie de l’Etat de droit. Il s’agit moins d’interdire la violence de se produire a priori que de la punir a posteriori en vertu des règles qui fondent notre droit commun. Cela ne veut pas pour autant dire que les démocraties doivent « laisser faire » car ces régimes ne doivent pas oublier qu’ils contiennent en eux leur propre chute. En d’autres termes, des moyens démocratiques suffisent à établir des régimes non démocratiques. A l’heure où nous sommes collectivement en proie à l’hydre terroriste, violence politique par excellence, les démocraties les plus solides sont celles qui ne cèdent pas à la facilité en faisant des mesures exceptionnelles des mesures de droit commun. Ce sont également celles qui jugent les auteurs d’actes terroristes à l’aune des règles de leur Etat de droit et non selon une justice expéditive, ni selon ce que l’avocate Marie Dosé nomme le
« populisme pénal ». Les démocraties sont fortes non de leur capacité à exclure la violence de la vie politique mais de la façon dont elles la traitent et y répondent.

Mamadou Banakourou TRAORE

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