PathéO, 50 ans dans la mode : « Nous devons être des passerelles pour les jeunes »

Le styliste burkinabè basé à Abidjan (Côte d’Ivoire), Ainé Pathé Ouédraogo, plus connu sous le nom de PathéO, célèbre en 2021, ses noces d’or dans la mode. Après 50 ans de carrière, le « styliste des présidents » est plus que jamais engagé dans la promotion du textile africain et la formation des jeunes. Il s’est livré à Sidwaya, le temps d’une visite dans son atelier à Treichville.

Sidwaya (S) : Vous avez célébré récemment 50 ans de carrière dans la mode. Quel bilan pouvez-vous dresser ?

PathéO : 50 ans, cela parait long mais en réalité, dans la mode, on ne le sent pas. Chaque jour, il faut créer du nouveau et se projeter sur le futur. Chez nous, les couturiers, on voit toujours ce qui n’a pas été encore fait. Quand je regarde mon parcours, je me dis que j’ai beaucoup fait mais en même temps, il reste beaucoup à faire. On remercie Dieu d’être en vie. Travailler pendant 50 ans, sans un réel repos ou des congés, c’est une grâce. Il y a une certaine fierté, parce que la clientèle est satisfaite. On a des retours. Tous ceux qui consomment nos produits en redemandent. Nous sommes fiers et cela nous donne la force de continuer à travailler, à créer. On peut dire que le bilan est plus que positif.

S : Quel est votre bilan en termes de formation de la relève ?

PathéO : C’est énorme. Presque toute la nouvelle génération de couturiers a plus ou moins bénéficié de notre collaboration, pas comme des apprentis. La plupart du temps, ils sont venus demander des conseils d’orientation. J’ai beaucoup d’expériences. J’ai reçu beaucoup de jeunes, presque toute la nouvelle génération. Je ne vois pas ceux qui ont atteint un grand sans pour autant être passés par nous, pour demander soit des conseils, soit la direction à prendre, soit la formation. C’est vraiment au quotidien que je les reçois. Je ne peux pas les dénombrer.

S : A l’ occasion de la célébration de vos 50 ans de carrière, avez-vous prévu quelque chose à Ouagadougou ?

PathéO : Absolument ! J’étais récemment à Ouagadougou où j’ai rencontré beaucoup de personnes. Nous pensons organiser le cinquantenaire à Ouagadougou. Nous avons déjà pris des contacts, avons aussi eu des rencontres, des pourparlers. Mais pour le moment, nous n’avons pas arrêté une date. Il y a encore beaucoup de partenaires à mobiliser.

S : A quoi doit-on s’attendre dans les prochaines années ?

PathéO : Dans la mode, ce n’est pas comme dans une entreprise dans laquelle on fait un plan de travail, une projection sur des années. La mode, c’est tous les jours. On imagine, on anticipe, on innove. On avance au fur et à mesure, on propose de nouvelles créations. On n’a pas une limite fixe. La mode est un perpétuel recommencement. On essaie d’imaginer quelque chose de nouveau, pour faire plaisir aux clients et leur proposer de nouvelles choses. Quand un client rentre chez nous, il demande ce qui est nouveau. Chez nous, la création et la nouveauté sont des obligations. Ce qui reste à faire est énorme, on continue d’avancer.

S : Dans beaucoup de posters, l’on vous voit en compagnie de chefs d’Etat ou d’hommes riches, habillés par vous-mêmes. Continuent-ils à faire appel à vos services ?

PathéO : Ils nous font confiance et de plus en plus, ils nous feront appel. Ils se sont rendus compte de ce que les stylistes africains font. Plus ils se rapprocheront de nous, plus ils pousseront ce secteur. Cela nous rend aussi fiers. C’est nous les africains qui devront habiller nos présidents. Il arrive qu’ils aillent ailleurs, mais ce n’est pas encore pour longtemps. Il y a tellement de couturiers talentueux et nous avons aussi de la matière. Avec le Faso Danfani, par exemple, on peut faire de belles créations. Nous avons tout ce qu’il faut pour les satisfaire. Ils portent nos tenues partout et c’est beaucoup apprécié. C’est aussi leur combat que de promouvoir les stylistes et les tenues africains.

S : Vous avez créé une fondation PathéO. Quel est son objectif ?
PathéO : Dans tous les domaines, comme dans la mode, il y a des devanciers, des précurseurs. Ceux qui suivent ont besoin de coup de pouce, de repères. Nous avons créé cette fondation pour aller vers ces jeunes qui commencent ce travail et qui veulent être orientés. Ils sont dans le domaine mais ils ont besoin de conseils sur les plans, sur les lignes vestimentaires, comment installer un atelier, collaborer avec les autres, s’approcher des devanciers pour profiter de leurs expériences. Beaucoup pensent que la couture, c’est pour juste avoir de quoi nourrir sa famille.

Mais, il faut aller au-delà. J’ai déjà avec l’Association de couturiers de Koudougou, 17 de ses membres venus pour un stage de deux semaines. L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) nous a déjà envoyé des jeunes de dix pays pour être encadrés. Cela a eu des résultats positifs. Une chose est de savoir faire, l’autre est de faire savoir. Même si vous savez travailler, il faut l’apprendre aux autres.

S : Au-delà de la formation, est-ce que vous allez œuvrer dans le social ?

PathéO : Quand on parle du social, l’on voit généralement, enlever de l’argent et le remettre à une personne. Le social, c’est aussi orienter quelqu’un, lui donner des conseils, l’aider à s’améliorer au quotidien. Les gens sont enfermés sur eux-mêmes et attendent, alors qu’il faut aller vers les autres. Il faut les pousser, les secouer, leur ouvrir les portes et leur dire qu’ils sont aussi capables de faire, d’accomplir de grandes œuvres. S’ils pensent qu’ils sont moins que les autres, ils vont se morfondre et se replier sur eux, d’où la nécessité d’aller vers eux. Cela manque très souvent. Les jeunes estiment que les portes leur sont fermées, qu’il y a des barrières alors qu’il suffit d’un pas, de pousser la porte et elle est ouverte. Nous devons être des passerelles pour les jeunes. Pour moi, tout cela fait partie du social.

S : Vous aviez également écrit un livre intitulé de « Fil en aiguille ». De quoi parlez-vous ?

PathéO : Pour commencer à coudre, il faut déjà un fil et une aiguille. C’est dire qu’il y a eu un parcours, du village à la ville, des temps d’apprentissage, être responsable, former des gens, les appuyer, créer une entreprise à gérer. Gérer ceux que vous avez formés et continuer à créer du nouveau.

S : D’aucuns trouvent que vous n’êtes pas assez représentés au Burkina. Que leur répondez-vous ?

PathéO : Parce que je suis Burkinabé, donc je dois être présent là-bas ? (Rires). Je ne suis pas aussi représenté à Kinshasa (RD Congo) ou au Ghana. Je suis un couturier, un styliste africain. Je ne peux être partout. Le Burkina est le pays où j’ai plus de boutiques après la Côte d’Ivoire. J’ai au moins quatre points de vente à Ouagadougou. A Abidjan, nous avons huit boutiques. Dans beaucoup de pays, nous en avons une. A Bamako, il y en a deux. Je suis très fréquent à Ouagadougou. Je participe à tous les grands évènements. J’y vais pour encadrer les jeunes.

 

Interview réalisée par Djakaridia SIRIBIE

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