Pénurie d’eau dans la ville de Ouahigouya : le calvaire des populations

Depuis le début de l’année 2020, l’eau potable est devenue une denrée rare à Ouahigouya. Les ménages et les services ne sont pas épargnés par cette pénurie. Face à cette situation et à l’impuissance de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA), les populations risquent leur santé en recourant, de plus en plus, à l’eau impropre à la consommation. Constat !

Dame Patricia Kayandé se rend à l’hôtel administratif du Nord pour se procurer « l’or bleu ».

A Ouahigouya, les populations des 15 secteurs de la ville peuvent passer plusieurs jours, voire des semaines sans avoir de l’eau courante. Affectée dans la cité de Naaba Kango, C.B. (qui désire garder l’anonymat), un agent de la Fonction publique, loge au secteur 1 de Ouahigouya. Arrivée le 9 octobre 2020, la jeune femme est loin de s’imaginer que l’or bleu est une denrée rare dans sa nouvelle ville d’accueil. Elle ne verra les premières gouttes d’eau que le 17 octobre 2020, soit plus d’une semaine après. Sa voisine E. K., une “habituée” de ces récurrentes coupures, réserve de l’eau dans des fûts et des bidons. Mme B. n’a pas d’autre choix que de lui « emprunter » de l’eau en attendant de s’en procurer. Mais elle n’hésite pas à emboîter le pas de sa nouvelle voisine car elle s’est acheté une barrique en vue de stocker, régulièrement, le « liquide précieux ». C’est ainsi, à chaque venue de l’eau au robinet. « Il n’y a pas d’heure pour voir l’eau couler du robinet. Elle peut arriver à n’importe quel moment, tard ou tôt le matin. Nous veillons à cela chaque jour », explique dame B. Elève en 2e année de Certificat de qualification professionnelle (CQP), Issouf Ramdé vit dans une famille de quinze personnes. Face à l’importante consommation en eau de la maisonnée, il devient donc difficile de garder l’eau en quantité suffisante.

Chaque jour, Issouf doit donc allier études et “corvée” d’eau. En compagnie des femmes et des jeunes de son secteur, il se rend régulièrement au puits, situé à moins d’un kilomètre de la concession familiale, muni d’une charrette où sont disposés 10 bidons de 20 litres. A l’aide d’une puisette, il remplit, l’un après l’autre, les différents récipients. Avant de se rendre à l’école, c’est le quotidien du jeune homme sauf lorsque l’eau fait son apparition au robinet. « Il nous arrive de manquer de l’eau pendant 4 jours. N’ayant pas de pompe à motricité humaine ou de fontaine au secteur 2, nous sommes obligés d’aller puiser l’eau. Certes, elle n’est pas potable, mais elle nous permet de faire la cuisine, de se laver et de faire la lessive », souligne-t-il, tout essoufflé au bord du puits. Une fois revenu de l’école, Issouf doit, à nouveau, reprendre le même itinéraire pour aller puiser l’eau. C’est la seule solution, confie-t-il, l’air résigné, face aux coupures intempestives d’eau dans la cité de Naaba Kango.

C’est dans ce fût que le vendeur, Halidou Ouédraogo, transporte l’eau de puits pour la vendre aux clients.

« L’essentiel est d’avoir de l’eau car sans elle, on ne peut rien faire », soutient-il. C’est pour cela que Joséphine Zoungrana, secrétaire à la direction régionale de la Communication du Nord, a déménagé et loge désormais dans une cour au secteur 13 où il existe un puits. « Au moins ici, j’ai l’eau en permanence pour faire ma cuisine et ma lessive. Pour la boisson même si elle n’est pas potable, l’essentiel est de l’avoir à sa portée. Pour ma boisson, j’achète le pack d’eau en sachet », relève-t-elle. Au secteur 11, le manque d’eau est encore criant. « Nous pouvons passer plus de deux semaines sans voir une goutte d’eau sortir de notre robinet. Et quand l’eau est disponible, c’est généralement aux environs de 2, voire 3 heures du matin», confirme Patricia Kayandé, mère d’un bébé de 6 mois. Installée dans ce secteur depuis 2017, elle affirme que les coupures d’eau se sont accentuées en 2020.

« Nous devons veiller pour l’avoir. Même en saison hivernale, nous avons eu des coupures de 4 à 5 jours », explique-t-elle. Mais, grâce au forage implanté au sein de l’hôtel administratif de la région du Nord, elle voit ses souffrances atténuées un tant soit peu. « Mon mari y travaille. C’est parfois lui qui m’amène de l’eau dans des bidons. Avec un nourrisson dans les bras, j’ai fréquemment besoin de l’eau pour prendre soin de lui et de la famille», justifie Mme Kayandé, visiblement lasse de ce calvaire. C’est pourquoi, l’admission de son époux à un concours professionnel est perçue comme un signe de la providence divine. « Ce calvaire sera bientôt derrière nous », confie-t-elle, à présent toute souriante.

Une maternité sans eau

Quant à ses voisines, elles se ravitaillent en eau auprès des vendeurs. La barrique d’eau (200 litres) est vendue à 500 F CFA. Halidou Ouédraogo est l’un de ces marchands d’eau. « Il m’arrive de livrer plus de 10 barriques par jour. Mes deux jeunes frères et moi, nous nous chargeons d’honorer les nombreuses commandes. Ils remplissent le fût de 1000l avec l’eau du puits et je livre aux clients en raison de 10 bidons pour une barrique grâce à mon taxi-moto », informe-t-il, son front dégoulinant de sueur. C’est un travail certes, pénible, admet-il, mais qui permet de prendre soin de sa famille. Pour Patricia Kayandé, l’eau de ce forage (puits) est impropre à la consommation. « Ils ne sont pas protégés. Car, ils ne disposent pas de margelles. Malheureusement, l’eau n’est pas traitée. Je risque, en consommant cette eau, de créer des problèmes de santé à mon bébé», se convainc-t-elle. La situation est encore plus complexe dans les centres de santé, selon le responsable de la maternité du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) du secteur 2, Abdoulaye Ouédraogo. A son avis, la disponibilité de l’eau constitue une épineuse question dans la cité de Naaba Kango. « Ce 23 décembre 2020 (date à laquelle Sidwaya l’a rencontré, ndlr), je viens de faire un accouchement. Malheureusement, il n’y avait pas d’eau au robinet. J’étais obligé de recourir au polytank situé hors de la maternité pour me nettoyer les mains et désinfecter le matériel. Cette situation est simplement inacceptable », s’énerve M. Ouédraogo, par ailleurs maïeuticien d’Etat. Malgré son rôle crucial dans ce centre de santé, l’eau peut manquer, regrette-t-il, amèrement, durant plus d’une semaine. Le responsable et son équipe sont contraints de faire appel à un vendeur d’eau. « Deux voyages de son fût de 1 000 litres sont nécessaires pour remplir notre polytank.

C’est dans ce polytank de 2000l du CSPS du secteur 2 C’est dans ce polytank de 2000l du CSPS du secteur 2…

Un voyage fait 2 500F. Cela grève le budget de notre structure. Il arrive parfois que notre gestionnaire refuse de s’exécuter. Et, nous sommes obligés d’acheter un pack d’eau en sachet de 500F pour travailler», se désole-t-il. Les accompagnants, eux, se rendent au chevet de leurs malades munis de bidons d’eau afin de parer à toute éventualité. Face à cette situation, des femmes ont battu le pavé dans la ville de Ouahigouya le 3 novembre 2020 pour exprimer leur ras-le-bol à l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA). La démission pure et simple de la Directrice régionale de la nationale de l’eau a même été réclamée. Pour le maire de la commune de Ouahigouya, Basile Ouédraogo, la pénurie de l’or bleu est une réalité. Mais les manifestations, reconnaît-il impuissant, ne peuvent rien changer à cette situation. La construction du barrage de Guitti, perçue comme « la solution idéale » s’apparente, de plus en plus, malheureusement à un mirage. Sa mise en eau a été effective en 2017, mais jusque-là les travaux n’ont pas encore commencé. « Le consommateur est fatigué des délais. Il veut du
concret », renchérit Abdoulaye Ouédraogo, membre de la société civile.

Des équipements inadaptés

Le maire de la commune de Ouahigouya soutient que le problème d’eau dans sa cité perdure depuis belle lurette. Cela s’explique, croit-il savoir, en raison de sa situation géographique avec en toile de fond une pluviométrie insuffisante. Avec un climat sahélien, la quantité d’eau qui tombe par an est comprise entre 200mm et 600mm.
« Nous sommes situés dans la partie Nord de la zone sahélienne du Burkina Faso. La ressource est difficile d’accès. Les pluies sont, en plus, insuffisantes.
A partir du mois de février, le barrage de Goinré et celui de Kanozoé sont déjà secs. Or, ce sont eux qui ravitaillent la ville en eau alimentaire.

Certains maraîchers utilisent cette eau pour leur activité et s’en servent également pour abreuver le bétail », explique le maire. Pour la directrice régionale de l’ONEA, Kiswendsida Ouédraogo, la raison de cette pénurie est également liée à la croissance de la population et l’arrivée des déplacés internes. Les chiffres officiels dénombrent environ 12 900 personnes à la date du 2 décembre 2020. Or, selon les données de l’ONEA, pour une estimation de 7 000 m3 par jour, la nationale de l’eau ne peut que fournir 4 300 m3 par jour, soit un déficit de 2700 m3. « A cette situation vient s’ajouter la vétusté de la station. Car, sa construction remonte à 1963 », précise-t-elle, gênée. En outre, la station se ravitaille en eau dans le barrage de Goinré et les eaux souterraines à travers 41 puits et forages. «Ces eaux sont, pour la plupart du temps, troubles à telle enseigne que la station n’arrive plus à les traiter. Pire, elle arrête de fonctionner à cause des équipements inadaptés», explique la directrice. Au regard de cette situation, sa structure a opté pour la distribution alternée afin de ravitailler toute la ville à des périodes bien précises. “Elle consiste à fermer les vannes de certains quartiers tout en les ouvrant à d’autres chaque 2 jours pour permettre à tous les secteurs d’être approvisionnés », détaille la première responsable régionale de l’ONEA. Mais en attendant de résoudre définitivement cette équation à travers la mise en eau du barrage de Guitti, la nationale de l’eau de Ouahigouya s’est dotée d’un nouvel équipement sur le site de traitement de Goinré.

« Il sert à filtrer l’eau du barrage afin qu’elle soit moins trouble pour être mieux traitée. Il sera opérationnel d’ici la fin de l’année 2020 », informe Mme Ouédraogo, ajoutant que cet équipement a un débit de 50m3/h, et améliorera l’accès à l’eau potable. Pour l’heure, le bourgmestre de la ville conseille aux populations d’utiliser l’eau de puits. « Elle n’est, certes, pas à 100% potable, mais elle n’est pas mauvaise. Les familles proches de ces forages n’ont pas d’autre choix que les utiliser pour le moment en attendant la solution définitive », insiste Basile Ouédraogo. A long terme, l’ONEA envisage la mise en œuvre du projet d’alimentation de Ouahigouya à partir du barrage de Guitti. «Nous appelons la population de Ouahigouya à la patience. Certes, la situation a tant duré mais pour un marché d’environ 30 milliards FCFA, c’est un long processus. Les Avant- projets détaillés (APD) sont déjà validés. Nous sommes à la phase de recrutement des entreprises. Et n’eut été la COVID-19 qui a bouleversé le programme, les travaux auraient dû commencer en novembre 2020 », jure, la main sur le cœur, Mme Ouédraogo. Le lancement des travaux, annonce-t-elle, est prévu pour juin 2021.

Fleur BIRBA
fleurbirba@gmail.com

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