Pr Augustin Palé, anthropologue : «La dépigmentation s’inscrit dans une problématique complexe »

Professeur d’anthropologie au département de sociologie de l’Université Joseph-Ki-Zerbo (UJKZ), Augustin Palé explique, dans cette interview accordée à Sidwaya, les causes sociales, psychologiques et surtout sociologiques du phénomène de la dépigmentation.

Sidwaya (S) : De plus en plus de femmes, en dépit des risques sur leur santé, se dépigmentent. Est-ce à dire que la beauté et la séduction sont des enjeux prédominants chez la femme ? Augustin Palé

(A.P.) : C’est vrai que nombre de femmes à travers le monde (ici au Burkina Faso et ailleurs) s’adonnent à la dépigmentation de leur peau malgré les répercussions que cette pratique a sur la santé. Mais il faut rappeler que ce n’est pas un phénomène nouveau. C’est une réalité qui date du contact des peuples colonisés avec l’Occident, un contact qui a chamboulé les échelles de valeurs en termes d’identité, de représentation de soi, des pratiques qui ont une profondeur historique. Avec ce bouleversement, de l’ordre des identités, avoir une peau claire est signe d’identité valorisée et valorisante et la peau noire, cette ‘’Nuit de Sine’’ (Senghor), est le symbole du sauvage, de l’indigène ‘’ brut’’… Autant de qualificatifs qui, au fil des temps, sont une source de complexes multiples d’infériorité chez nombre de Noirs (on se rappelle du contre-courant avec le mouvement Black is beautiful des années 60 porté par les Afro-Américains). Pour revenir à la question, la beauté et la séduction sont un enjeu majeur chez tout être et peut-être, chez la femme en particulier. En latin, séduire seducere signifie : tirer de côté, déplacer, écarter du chemin initial, déplacer de sa routine habituelle. Alors, pris dans ce sens, on est presque tous des êtres de séduction, et aussi des êtres séductibles. On se plait à profiter des failles de l’autre pour le/la faire succomber, l’appâter, le/la faire craquer, le/la mettre dans son escarcelle …. C’est la nature de ce jeu que l’on pourrait appeler : séduction qui amène les uns et les autres à affûter les meilleures ‘’armes’’ pour avoir gain de cause dans la relation avec l’autre. Apparemment, les femmes ont plus d’arguments, plutôt d’éléments pour séduire, ce qui donne l’impression que la séduction se conjugue seulement au féminin. Or à y regarder de près, ce n’est pas exact. Car, dans nos sociétés actuelles avec ces mouvements rapides dans les identités (le clivage entre le sexe biologique et le sexe social, entre l’être et le paraitre), on remarque que la beauté, la séduction, la dépigmentation ne sont plus une ‘’affaire des femmes’’ mais s’inscrivent dans une problématique complexe qu’il faut lire sur un tableau complexe et contextuel des appartenances.

S : Des hommes, en effet, s’adonnent aussi aujourd’hui à cette pratique…

A.P. : Aujourd’hui, selon les contextes, l’image de soi varie. Etre un homme au Burkina n’a pas le même contenu qu’être un homme dans les deux Congo, pays des ‘’’sapologues’’. Les canons de la beauté et de la séduction varient (dans le temps dans l’espace et selon la culture), ce qui justifie que des hommes se sentent mieux d’être sous un masque clair (allusion à Frantz Fanon) dans un être noir. Toujours est-il que cela participe de la complexité humaine et des identités.

S : D’aucuns estiment que la dépigmentation est la résultante d’un complexe d’infériorité vis-à-vis de la peau blanche. Qu’en pensez-vous ?

A.P. : Il faut retenir que les contextes sont différents (sociétés qui ont connu l’esclavage, sociétés colonisées et encore…) et le poids historique des faits de contacts culturels varie selon les communautés. Par exemple Haïti est différent du Burkina Faso et le Burkina Faso est différent du Cap-Vert. Il faut tout simplement noté qu’au-delà de cette dimension de complexe d’infériorité cultivée depuis très longtemps, il faut aussi pointer du doigt l’industrie cosmétique et toutes les publicités y relatives. Aujourd’hui, on a l’impression que ce qui est beau est clair, mince, surtout chez les femmes … Alors, la publicité formate les populations, notamment les femmes (pour ce qui est de notre pays) qui se sentent de plus en plus dans un « Moi-peau claire ».

S : Peut-on y voir aussi une forme d’aliénation culturelle ?

A.P. : Pris dans un sens, l’on pourrait penser que c’est une forme d’aliénation. Mais pris dans un autre, cela s’inscrit dans la dynamique logique des contacts de cultures avec les formes d’emprunts, de changements à différents paliers, linguistique, vestimentaire, etc. La dépigmentation, tout comme le bronzage ailleurs, est perçue comme un marqueur social. S : La dépigmentation a-t-elle des explications sociologiques ? A.P. : Il faut aller dans certains pays (exemple du Mali) pour mieux comprendre que la dépigmentation est un véritable marqueur social : signe d’aisance, de noblesse, d’ascension sociale… des éléments qui doivent être lisibles d’abord sur le ‘’ Moi-peau ’’, la peau claire expurgée de ses impuretés, de sa noirceur symbole d’indigence, de rudesse, de souffrance…

Interview réalisée par

W. Aubin NANA

1 COMMENTAIRE

  1. Monsieur, je viens de lire votre interview fort intéressante. Je suis française et, pour venir plusieurs fois par an au Burkina Faso, j’ai en effet remarqué, sur bon nombre de marchés, ces « pommades » éclaircissantes. Produits qui, à mon avis, ne devraient pas se retrouver sur un étal. Les femmes africaines souhaitent éclaircir leur peau…comme de nombreuses femmes blanches souhaitent avoir une peau plus mate et foncée. De nombreux produits cosmétiques (autobronzants, gélules au carotène, fonds de teint, poudre de soleil…) offrent la possibilité d’obtenir une peau plus hâlée. Que penser aussi des innombrables personnes qui restent, des heures durant, en plein soleil, pour obtenir un bronzage parfait et ce en sachant pertinemment que les dermatologues déconseillent cette pratique. Certaines femmes africaines veulent une peau claire, certaines femmes occidentales une peau foncée. Je suis d’accord avec vous lorsque vous parlez de marqueur social. Ici, être bronzé est synonyme de bonne santé, de standing social. Ne dit-on pas de quelqu’un qui a la peau très blanche qu’il « a l’air malade » ? Idem pour la chevelure. Combien de femmes aux cheveux lisses ont recours à des permanentes chez leur coiffeur pour obtenir une chevelure frisée ? Tout est affaire d’image, d’apparence, et de représentation que l’on se fait d’un idéal de beauté. Je ne suis ni anthropologue, ni sociologue. Je ne peux donc vous donner que mon constat. Néanmoins, ce dont je suis sûre, c’est qu’il devrait y avoir un contrôle plus strict de la part des autorités de l’État sur la qualité de ces produits en vente libre dont certains font des ravages (parfois irrémédiables) sur la peau des femmes -et des hommes- qui les achètent.

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