Procès Thomas Sankara et compagnons : Gilbert Diendéré plaide « non coupable »

Me Prosper Farama de la partie civile : « Il n’a peut-être pas appuyé sur la gâchette, mais il a été le superviseur direct de toute l’opération ».

L’audience du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses douze compagnons s’est poursuivie, le mardi 9 novembre 2021, au tribunal militaire délocalisé à Ouaga 2000 avec l’interrogatoire du général Gilbert Diendéré.

Chef de corps adjoint du Centre national d’entrainement commando (CNEC) au moment des faits, le général de brigade Gilbert Diendéré a été appelé à la barre, le mardi 9 novembre 2021, pour répondre des charges qui pèsent contre lui. Il est accusé d’attentat à la sûreté de l’Etat, complicité d’assassinat, recel de cadavres et subornation de témoins. Est-ce que vous reconnaissez les faits ? a interrogé le président du tribunal à l’accusé. « Pour l’ensemble des faits, je plaide non coupable », a répondu Diendéré au juge.

« Est-ce qu’on peut avoir des éclaircissements ? », a poursuivi le tribunal. Le général avant de donner le récit des faits, a d’abord décliné ses condoléances à toutes les personnes qui sont tombées. « Le 15 octobre 1987, aux environs de 9h j’avais une réunion au Conseil de l’Entente qui a regroupé les différents responsables de la sécurité rapprochée du défunt Thomas Sankara et de Blaise Compaoré », a-t-il indiqué.

A l’en croire, ce jour, seul Hyacinthe Kafando était absent mais, il avait envoyé des éléments pour le représenter. Cette rencontre qu’il a qualifiée de régulière parce qu’il avait l’habitude de la tenir, s’est terminée vers 13h. « A cette réunion, compte tenu de la situation, j’ai insisté sur le fait que nous devons faire attention à ce que nous entendons dehors. Parce que les intoxications pourraient avoir des impacts négatifs sur les éléments de sécurité », a-t-il laissé entendre. De son avis, il y avait des rumeurs tendant à dire que Thomas Sankara voulait arrêter Blaise Compaoré et que Blaise Compaoré voulait faire un coup d’Etat à Thomas Sankara.

Après, la réunion, a-t-il poursuivi, je suis rentré à la maison et par la suite me suis rendu au terrain de sport. « C’est en y étant que j’ai entendu les coups de feu », a-t-il expliqué. C’est ainsi qu’il s’est déporté sur le lieu. « J’ai trouvé Nabié N’soni et Arzouma Ouédraogo dit Otis près des corps », a confié Dienderé. C’est là-bas, a-t-il dit, qu’il aurait appris que Thomas Sankara voulait arrêter Blaise Compaoré.

« Ils m’ont dit qu’ils ont préféré prendre les devants parce que la sécurité de leur chef (Blaise Compaoré NDLR) était menacée », a-t-il déclaré. Il a dit avoir demandé si leur chef était informé de ce qui s’est passé. « Ils m’ont dit qu’ils s’en foutaient », a-t-il affirmé. Selon ses dires, il a fait demi-tour puis il a rendu compte à son chef qui était le commandant Lingani. A l’en croire c’est aux environs de 18h, que Lingani est venu avec Blaise Compaoré.

« Nous nous sommes rencontrés auprès des cadavres et les deux sont repartis. J’ai replié à la permanence pour prendre mes dispositions. Car une certaine information faisait état d’une attaque imminente. Mais Dieu merci jusqu’au matin, il n’ y a rien eu », a déclaré M. Diendéré .

« J’ai reconnu Sankara dans sa tenue de sport »

En ce qui concerne le recel de cadavres, « je me demande pourquoi je suis mêlé à ça ?», s’est interrogé le général. Pour lui, le 15 octobre 1987 dans la nuit, les corps ont été récupérés par Karim Tapsoba, régisseur à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) au moment des faits, pour être enterrés.

« C’est un ancien militaire du CNEC qui avait été nommé par le capitaine Thomas Sankara », a-t-il précisé. Il a affirmé n’avoir pas été informé de l’enlèvement ni de l’enterrement. Ce n’est que le lendemain, a-t-il relaté, que Tapsoba est venu me tendre une liste de noms. « Je ne connaissais pas les noms des cadavres, à part Sankara que j’ai vu dans sa tenue de sport. « Il (Tapsoba ndlr) m’a dit qu’il a écrit des étiquettes pour poser sur chaque tombe. C’est à partir de ces étiquettes que les tombes ont été identifiées par les familles», a-t-il fait savoir.

« Les déclarations incohérentes »

Pour Me Prosper Farama, avocat de la partie civile, la responsabilité de Gilbert Diendéré

Me Mathias Somé, avocat de la défense : « Il a bien expliqué que c’est un affrontement entre deux gardes, des éléments de deux corps ».

dans l’affaire se « confirme ». A l’entendre, les déclarations du général sont incohérentes « Non seulement sa version des faits ne tient pas la route, mais il y a des témoignages et des éléments concordants», a-t-il souligné.

Même, a-t-il poursuivi, la déclaration de Blaise Compaoré, montre que des éléments de la garde du Conseil de l’entente ont décidé de prendre les devants. « C’est ce qui explique pourquoi quand Gilbert Diendéré est arrivé au conseil, il ne s’est pas inquiété. Parce que ce sont ses éléments qui ont décidé de prendre les devants », a-t-il martelé. Ces éléments permettent, selon Me Farama, de dire qu’ il n’a peut-être pas appuyé sur la gâchette, mais il a été le superviseur direct de toute l’opération.

Les hommes qui ont agi étaient sous son commandement, a dit l’avocat. Après les évènements, pour conforter le régime, il a pris des dispositions en renforçant les points de sécurité au niveau de Ouagadougou alors qu’il n’était ni le responsable de la région militaire ni le Commandant en chef, a-t-il ajouté. « Il a aussi procédé aux arrestations et aux détentions des opposants. Alors en quelle qualité il a fait tout cela ? », s’est-il demandé.

Pire, a-t-il relevé, des témoins déclarent qu’il y a eu des gens qui ont été amenés au Conseil de l’Entente et qui n’ont plus jamais refait surface. Au cours de l’interrogatoire, le parquet militaire a estimé que l’accusé contribue à renforcer le flou dans le dossier. Une chose que Mathias Somé, de la défense du général Diendéré a rejeté. « Le parquet doit prouver les faits et s’il n’a pas d’éléments de preuve il n’a pas à accuser davantage notre client» a-t-il laissé entendre. Pour lui, son client n’était pas sur place.

Il est revenu trouver que les faits étaient en cours de réalisation, a-t-il estimé. « Il a bien expliqué que c’est un affrontement entre deux gardes, des éléments de deux corps. Quand c’est comme cela, c’est difficile », a-t-il défendu. Pour cela, a-t-il lancé, « il n’y a rien comme contradiction dans les propos de mon client ». Le procès reprend aujourd’hui avec les questions des avocats des parties civiles.

Aly Sawadogo

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