Production de manioc : une filière en souffrance

Jadis considéré au Burkina comme une culture vivrière, le manioc s’impose aujourd’hui comme une culture de rente. Les provinces du Kénédougou ou du Houet dans les Hauts-Bassins et celle de la Comoé dans les Cascades font partie des grandes zones de production. Plusieurs acteurs mobilisés dans l’exploitation de cette filière souhaitent un accompagnement pour booster la production, la transformation et la commercialisation de ce tubercule.

La province du Kénédougou est le grenier de manioc du Burkina. Elle occupe le 1er rang des provinces productrices de ce tubercule. A Orodara, chef-lieu de la province, les producteurs sont regroupés en 13 coopératives d’une cinquantaine de membres chacune. Adama Traoré en est l’un des membres. Il cultive depuis une vingtaine d’années le manioc sur une superficie de 2 hectares (ha).

Tout comme Sanata Barro, les transformatrices de manioc souhaitent des moyens matériels pour renforcer leurs unités.

« La production du manioc nourrit son homme, mais elle reste confrontée, à de nombreuses difficultés comme le manque de matériel, d’intrants agricoles ou de semences », dit-il. Ses collègues, Moumouni Sanou et Ibrahim Barro, tous producteurs à Wasssanan, un village situé à une dizaine de kilomètres de Orodara, ont abondé dans le même sens. Leurs difficultés se résument également au manque de matériel et surtout d’eau. « Nous n’avons pas suffisamment d’eau pour produire à tout moment. Avec l’eau pluviale nous ne faisons qu’une seule traite. Nous voulons des barrages ou des retenues d’eau pour avoir en permanence l’eau et pouvoir produire à tout moment de l’année », souhaite Ibrahim Barro. La disponibilité du manioc en tout temps est d’ailleurs l’une des préoccupations majeures de Arouna Traoré, acheteur de manioc frais. « Il est difficile d’avoir le manioc à tout moment sur le marché alors que la demande est souvent forte », dit-il. Les autres problèmes du manioc sont relatifs au manque de moyens financiers et de transport.
« J’achète le manioc dans les villages pour les livrer dans les centres et dans les unités de transformation. Nous manquons de liquidité pour acheter le manioc aux paysans. Les commerçants des pays voisins viennent l’acheter avec leurs gros moyens à notre détriment .
En plus de cela, nous n’avons pas de moyens de transport pour acheminer nos produits à leur destination. Sinon, le marché existe », souligne M. Traoré. Sanata Barro est l’un des clients à Orodara. Elle achète le manioc et le transforme en attieké frais ou en pâte. Elle est la présidente de l’Union des transformatrices de manioc de Orodara. L’Union regroupe 18 coopératives avec plus de 600 membres. Son unité de transformation, à elle, située au secteur n°4 de Orodara, transforme plus de 10 tonnes de manioc par semaine en période normale. Elle vend ses produits dans les grands centres urbains comme Bobo-Dioulasso, Ouagadougou, Fada ou Gaoua.

Le manque d’eau, un casse-tête

Tout comme Arouna Traoré, Mme Barro est souvent confrontée au manque de matière première. « Le manioc n’est pas disponible à tout moment chez les producteurs par manque d’eau. Ce qui fait que nous n’avons pas toujours la matière première pour transformer et satisfaire la demande. Nous souhaitons alors qu’on aide les producteurs avec le matériel, les intrants et surtout des retenues d’eau pour pouvoir produire le manioc à tout moment. On aide les acteurs de certaines filières comme le riz. Il faut qu’on nous soutienne aussi car de plus en en plus, le manioc est consommé au Burkina », martèle Sanata Barro. Elle souhaite qu’on appuie également les transformatrices afin qu’elles puissent signer des contrats avec des partenaires pour l’écoulement de leurs différents produits. Les producteurs, les transformateurs et les commerçants de manioc de la Comoé, région des Cascades, rencontrent les mêmes difficultés que ceux du Kénédougou. Dans la Comoé, la production du manioc est beaucoup plus concentrée dans la commune de Bérégadougou, surtout dans le village de Takalédougou-Kôkô à cause de sa proximité avec les zones humides de production de la canne à sucre. Un certain nombre de producteurs existe aussi dans la commune de Sidéradougou. Dans le village de Takalédougou-Kôkô, les producteurs sont réunis en coopérative dénommée « Coopérative jeunesse manioc de Takaledougou-kôkô ».

Les transformatrices et les vendeurs des produits dérivés du manioc veulent de meilleures conditions de travail.

Elle (la coopérative) regroupe une quarantaine de membres qui exploitent une centaine d’hectares de ce tubercule. Blaise Traoré en est le président. Il cultive depuis 2008 le manioc et produit en moyenne 70 tonnes par hectare. Tout comme les autres producteurs, il dit être confronté au manque de matériel de travail, d’eau, de semences et surtout aux attaques de ces plantes par les animaux. En plus de son champ de 5 hectares, M. Traoré dispose d’une unité de transformation de manioc. Lui et son collègue, Aladary Ouattara, du même village, souhaitent l’aménagement de bas-fonds, la clôture de leurs exploitations, l’octroi de matériel et l’accès aux crédits pour mener à bien leurs activités. La disponibilité du manioc est aussi un talon d’Achille pour les transformatrices de manioc à Banfora comme le relève Foulamousso Binso, présidente de l’Union des transformatrices de manioc des Cascades forte de plus de 600 membres. «Nous pouvons transformer près de 70 tonnes par jour. Nous avons des clients mais le manioc manque. Nous n’avons pas de local ni de matériel de travail approprié», a dit Mme Binso.
La présidente souhaite un accompagnement pour booster la production du manioc afin de créer des emplois, pour lutter contre la famine et la pauvreté . Foulamousso Binso emploie plus de 25 personnes dans son unité de transformation. Pour Fatim Ouattara, vendeuse d’attieké à Banfora, la vente d’attieké, un produit dérivé du manioc, est une importance source de revenus pour des femmes dans la ville.

Un attiékié de qualité

A l’en croire, l’attieké produit au Burkina est de bonne qualité.
La qualité du manioc burkinabé est confirmée par Sylvie Kassongo, une productrice de manioc à Diarradougou dans la commune de Bama dans le Houet. Elle exploite 2 ha de manioc et fait un rendement de 40 tonnes par hectares.
Pour elle, la culture du manioc réussit bien au Burkina et surtout la nouvelle variété V5 développée par l’INERA. «Il n’y a pas de différence entre le manioc produit au Burkina et celui produit dans les pays côtiers », indique Mme Kassongo. Elle a invité les autorités et les partenaires à soutenir la production du manioc.
Les difficultés des producteurs, des transformateurs et des vendeurs de manioc ne sont pas inconnues des services de l’agriculture.

Selon le chef de service régional des Cascades de la promotion de l’économie rurale, Abiba Coulibaly, il s’agit du manque d’eau, d’espace, ou des attaques des plants par des animaux.
« Nous suivons les transformatrices en matière de qualité du manioc transformé, et nous leur donnons des conseils pour la bonne marche de leurs activités », souligne-t-elle.
A l’entendre, les services compétents de l’agriculture accompagnent les producteurs de manioc en matière de transformation, ou de renforcement des capacités sur la comptabilité, ou les bonnes pratiques d’hygiène.

D’autres partenaires appuient les différents maillons de la filière. Dans le Kénédougou ou la Comoé les différents acteurs de la filière manioc ont été moins prolixes sur ce qu’ils gagnent dans la production, la transformation ou la vente du manioc. A Takalédougou-Kôkô, Blaise Traoré nous a cependant confié que la production du manioc lui a permis d’installer des moulins et d’ouvrir un maquis dans son village.

Adaman DRABO

 

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