Production du coton : L’inaccessibilité à la terre, un plomb dans l’aile des femmes

Pour le président de l’UNPCB, Bambou Bihoun, seule la sensibilisation pourrait faciliter l’accès des femmes aux terres cultivables.

Longtemps utilisées comme main d’œuvre dans les travaux champêtres, les femmes s’illustrent de plus en plus dans la production des cultures de rente. Sésame, arachide, niébé, coton … plus rien n’échappe à l’autre moitié du ciel dans sa quête d’une autonomie financière. En novembre 2019, Sidwaya a parcouru les champs de quelques productrices de coton biologique du Nayala, de la Comoé et du Boulgou.

La soixantaine bien sonnée, Korotoumou Sory, habitante de Tiéfora, localité située à 30 km de Banfora (Comoé), a fait la première récolte de son coton, en début novembre 2019, alors qu’avec l’âge, elle a désormais du mal à mener à souhait ses travaux champêtres. « En plus du mil et du maïs, je produisais des arachides, du coton et plusieurs autres céréales », rappelle-t-elle. Mais depuis quelques années, cette productrice de plusieurs spéculations, dit avoir revu à la baisse ses ambitions, se consacrant prioritairement aux cultures vivrières. Dans la commune de Tiéfora, Mme Sory est la déléguée des producteurs de coton biologique pour avoir été la pionnière du coton biologique dans cette commune depuis 2004.

« J’ai été la première productrice de ce coton et j’ai commencé avec moins de 0,25ha et j’ai évolué à plus de 1,5 ha », explique-t-elle. Pour avoir autant de superficie à exploiter, Korotoumou Sory dit n’avoir eu aucune difficulté. « Je suis chez mes maris. La terre que j’exploite appartient à mon mari et par conséquent, à mes enfants. Même si je veux produire deux ou trois hectares, je peux le faire », lance-t-elle. Contrairement à Mme Sory, elles sont des dizaines de femmes qui n’ont pas accès à la terre à leur guise pour produire le coton. Parmi celles-ci, Aminata Traoré, habitante de Bounouna à la sortie Nord de la ville de Banfora.

« La terre ne suffit même pas pour les cultures vivrières. Ce qui reste, nos maris l’utilisent pour leurs cultures de rente. Pourtant, une femme ne peut pas demander la terre aux propriétaires terriens et l’obtenir », regrette-t-elle. Pour sa part, Anne Marie Zina, cotoncultrice au Nayala (Toma), dans le département de Yé, a eu accès à la terre, mais en deçà de ses attentes. Commerçante, vendeuse de dolo, productrice de riz, d’arachides, de sésame et secrétaire au lycée de la localité, Mme Zina (46 ans), mariée et mère de deux enfants, produit le coton depuis 2011.

Ayant débuté par 0,5 ha, elle a exploité en cette saison pluvieuse, 0,57 ha. « Cette année, le rendement sera bon avec une prévision d’une tonne/ha. Le coton bio est rentable et il n’y pas de crédit et on applique uniquement de la fumure organique dans la parcelle », précise-t-elle. Pourtant, pour un ha, elle pouvait obtenir 400 à 500 kg de coton qui devait lui rapporter 950 000 F à un million F CFA. Derrière cette joie de se faire de l’argent, se cache une impuissance : avoir une plus grande superficie à emblaver.

« Nous ne sommes que des femmes »

Salamatou Mamboné est dans la production de coton depuis plus de 5 ans.

« J’ai eu la terre avec mon mari. Il n’est pas propriétaire terrien. Si c’était le cas, j’allais avoir assez de terrain pour produire mon coton. Le peu qu’on lui a donné, il m’a prêté une partie. C’est le grand problème que les femmes ont ici », soutient-elle. Comme Assétou Ouattara, cette autre productrice, du village de Djandoro dans la commune de Tiéfora, n’a pas les mêmes possibilités d’exploiter la terre à souhait. En effet, celle qui a débuté la production du coton, il y a trois ans avec 0,20 ha, l’a étendue à 0,40 ha en 2018 avant de voir ses ambitions se plafonner cette année à 0,5 ha. Pourtant, Assétou Ouattara aurait bien voulu faire plus, pour acheter une charrette en vue de transporter la fumure de la maison vers son champ et du coup, augmenter son rendement et par conséquent ses gains dans la vente du coton.

« Cette année, j’ai voulu produire jusqu’à 3 ha, mais le problème de terre a fait que je me suis limitée à 0,50 ha. Nous sommes de Banfora et nos maris ont migré ici (Djandoro, ndlr). Ils ont demandé la terre aux Karaboro pour cultiver. C’est une portion de cette terre que mon mari m’a donnée pour produire le coton », raconte-t-elle. Impuissante, elle dit avoir posé le problème avec son époux qui lui a rappelé que la terre ne lui appartient pas.

Déjà, explique-t-elle, c’est avec cet argent qu’elle s’habille et paie les vêtements de ses enfants, les scolarise et les soigne, en appui à son époux. Pour Assétou Ouattara, le dernier mot revient aux maris et surtout aux propriétaires terriens. « Nous ne sommes que des femmes et nous n’avons pas le droit de parler d’une terre qui n’appartient même pas à nos maris. C’est eux qui doivent porter le problème aux propriétaires terriens et aux chefs de terre », se contente-t-elle de dire. Dogoni Soma, productrice de coton du même village, vit aussi cette « galère ».

Cotoncultrice depuis 2014 avec 0,25 ha au départ, elle exploite aujourd’hui plus d’un hectare de coton. « Mon mari et moi, sommes des étrangers. C’est quand il défriche les superficies pour les cultures vivrières et de rente, que je peux demander ce qui reste pour produire mon coton », a-t-elle relevé. Quant aux fruits de son travail, elle dit l’utiliser pour épauler son mari dans la scolarisation et les soins de santé de ses enfants, en plus de ses propres besoins. Autres cieux, même réalité. A Kalakoudi, dans le département de Bagré, province du Boulgou (Tenkodogo), Salamatou Mamboné est dans la production du coton depuis plus de 5 ans pendant lesquels elle se contente de 0,25 ha que son mari lui a donné. « J’ai exprimé le besoin à mon mari, mais il a dit que c’est ce qu’il pouvait faire pour moi », dit-elle avec un brin de déception.

Des considérations ancestrales

Dans la plupart des localités, les femmes peinent à avoir des superficies cultivables pour produire le coton. Le problème est réel, insiste Korotoumou Sory, empêchant la majorité des femmes de la commune de produire l’or blanc. « Certaines femmes défrichent leur champ de coton biologique et leurs maris ne disent rien. Quand elles finissent de semer le coton, les maris vont semer le coton conventionnel à côté de leurs champs, alors qu’il doit y avoir une distance de 150 m au moins entre les deux champs parce que le biologique ne va pas avec l’engrais et les insecticides et autres pesticides », révèle-t-elle.

La raison de ce refus est toute simple, selon Sounsoun Alphonse Sory, propriétaire terrien dans la commune de Tiéfora. Partout ailleurs au Burkina Faso, confie-t-il, la terre n’appartient pas à la femme, mais à l’homme. « La femme ne peut avoir la terre que chez ses maris parce que la terre de ses maris appartient à ses enfants et donc à elle aussi. Mais si une fille qui n’est pas encore mariée demande la terre, son père peut lui donner un lopin afin qu’elle la cultive. Mais une fois mariée, elle perd ce droit et doit désormais demander la terre chez ses maris. Si un étranger nous demande la terre pour s’installer et cultiver, si nous en avons, nous pouvons la lui donner, mais pas à une étrangère », résume-t-il. Boureima Sioné est aussi propriétaire terrien, à Kalakoudi.

A l’entendre, la demande de terre par les femmes en vue de produire le coton est certes forte, mais c’est surtout la disponibilité des terres cultivables qui pose problème. M. Sioné dit avoir donné la terre à sa femme pour produire le coton parce que les bénéfices profitent à toute sa famille. Il appelle les autres propriétaires terriens à « libérer » la terre au profit des femmes, parce que, dit-il, il y va de l’intérêt de tous. Anne Marie Zina, quant à elle, appelle le maire de la commune de Yé à lutter aux côtés des femmes pour leur accès à la terre. « Si la femme gagne la terre aujourd’hui comme elle veut, la famille sera à l’aise », argue-t-elle.

Mme Zina invite donc les autres femmes à la culture du coton et des autres cultures de rente parce qu’elles vont s’épanouir financièrement et aider leurs maris dans les charges de la famille. En tous les cas, Salamatou Namboné recommande à celles qui peuvent avoir de grandes superficies, de produire le coton parce que contrairement aux autres spéculations, l’argent du coton est payé d’un coup, permettant ainsi de faire face aux besoins.

Sensibiliser les propriétaires terriens

Sounsoun Sory, propriétaire terrien à Tiéfora : « La femme ne peut avoir la terre que chez ses maris ».

Pour sa part, Sounsoun Sory est « partant » pour l’accès des femmes à la terre pour produire le coton. Pour que les autres hommes lui emboîtent le pas, il souhaite que ces derniers soient sensibilisés « parce que les gains de la femme restent dans la famille et contribuent à son bien-être et au développement du village ». Au regard de la demande des femmes en terre cultivable et de la réticence de certains hommes à la leur donner, Korotoumou Sory recommande une rencontre départementale de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB) qui fait la promotion du coton biologique, avec les propriétaires terriens, les chefs de terre et les femmes.

« Il faut qu’on s’explique, qu’on sensibilise les hommes et les propriétaires terriens aux bénéfices de la production du coton par les femmes au profit des familles », a-t-il recommandé. A l’image des périmètres aménagés, Assétou Traoré demande plutôt à l’UNPCB d’œuvrer à obtenir des parcelles dans les villages dans lesquels les femmes vont produire le coton de plein droit. Pour favoriser l’accès des femmes à la terre pour produire le coton, le président de l’UNPCB, Bambou Bihoun, recommande la sensibilisation des acteurs dans leur totalité et la subvention des équipements agricoles. C’est aussi l’avis de la cheffe de service à la Direction générale du foncier rural, Laurentine Bationo.

A l’entendre, la Politique nationale de sécurisation foncière en milieu rural de 2007, la Loi 034 portant régime foncier rural adoptée en 2009 et la relecture de la Réforme agraire et foncière (RAF) en 2012, ont introduit sept (07) innovations majeures dans la gestion du foncier rural. Elle a cité, entre autres, la fin du monopole de l’Etat sur les terres rurales qui définit trois catégories de terres (le domaine foncier rural de l’Etat, celui des collectivités et le patrimoine foncier rural des particuliers), la prise en compte des coutumes et pratiques locales et la prise en compte du genre.

« Dans l’article 75 de la loi, il est dit que l’Etat et les collectivités territoriales peuvent organiser des programmes spéciaux d’attribution, à titre individuel ou collectif des terres rurales aménagées de leurs domaines fonciers ruraux, au profit des groupes de producteurs ruraux défavorisés comme les petits producteurs, les femmes, les migrants, les jeunes et les éleveurs », précise-t-elle. Pour Mme Bationo, la loi n’oblige aucun propriétaire terrien à donner sa terre à une femme, d’où la nécessité de les sensibiliser au bien-fondé de l’accès de l’autre moitié du ciel à la terre. En tous les cas, elle invite les propriétaires terriens à avoir des Attestations de possession foncière rurale (APFR) de leurs terres comme le leur reconnaît la loi, pour éviter tout désagrément comme on le constate dans de nombreux conflits fonciers.

Jean-Marie TOE


 

Le coton bio, la spécialité des femmes

En très grande partie, les productrices de coton cultivent le coton biologique dont la promotion est du ressort de l’UNPCB, contrairement au coton conventionnel qui relève de la SOFITEX. Pour Pié Joël Traoré, Agent suivi du coton biologique (ASB) de l’Unité de production (UP) de Yé (Nayala), les femmes se sont « spécialisées » dans la production du coton bio parce qu’il est plus facile à cultiver. En effet, a-t-il expliqué, le bio utilise uniquement la fumure organique et ne demande ni engrais, ni pesticide ou encore moins des herbicides.

S’agissant de petites superficies, les femmes n’ont pas besoin de prêts pour les intrants (semences). « A l’achat du coton, elles ne doivent à personne », a signifié M. Traoré. De plus, a-t-il dit, l’UNPCB sensibilise les femmes et les accompagne en technique de culture en mode biologique, du choix de la parcelle, à la récolte en passant par la lutte contre les ravageurs, pour avoir du coton graine de qualité. Des bureaux des productrices de coton biologique ont donc été mis en place afin de sensibiliser les hommes et propriétaires terriens à l’ accès à la terre.

Selon le président de l’UNPCB, Bambou Bihoun, en termes de statistiques pour le coton biologique et équitable, le Burkina Faso compte 4 849 femmes productrices sur 8 093 producteurs de coton bio, soit 59 %. Elles produisent environ la moitié du coton bio, soit 600 tonnes de coton graine par an.

JMT


 

Wilfried Yaméogo, DG de la SOFITEX

« L’accès à la terre est une contrainte majeure pour les femmes »

Sidwaya (S.) : Quelle est la place de la femme dans la production cotonnière au Burkina Faso ?

Le DG de la SOFITEX, Wilfried Yaméogo.

Wilfried Yaméogo (W.Y.) : La femme joue un rôle important dans la production cotonnière au Burkina Faso. Elle constitue plus de 60% des actifs de l’exploitation. Elle participe à toutes les opérations culturales sauf l’application des insecticides. Sa participation est plus importante pendant les semis et au moment des récoltes. Certaines femmes produisent du coton sur des parcelles individuelles cotonnières sous le couvert du chef d’exploitation. Nous avons aussi des femmes- chefs d’exploitation, membres de Sociétés coopératives spécialisées des Producteurs de coton (SCOOPS-PC) exclusivement féminines ou de SCOOPS-PC mixtes. Elles participent à la prise de décision de la fixation des objectifs de production en coton.

S. : Combien de productrices de coton la zone SOFITEX compte-elles et quelle quantité de coton produisent-elles ?

W.Y. : La zone SOFITEX compte au total 22 600 femmes qui produisent le coton conventionnel dont 547 chefs d’exploitation cotonnière de femmes inscrites sur le fichier de base des producteurs de coton de la SOFITEX et environ 22 053 femmes disposant de parcelles individuelles de coton dans l’exploitation de leur époux. On enregistre également quatre (04) SCOOPS-PC féminines. Les femmes produisent environ entre 15 000 à 20 000 tonnes de coton graine par an. Celles qui bénéficient des intrants par le biais de leur époux, sont obligées de vendre également sous le couvert de leur époux.

S. : Quelles sont les mesures prises par la SOFITEX pour accompagner les femmes dans la production du coton ?

W.Y. : La SOFITEX œuvre toujours dans la prise en compte de l’approche genre dans la production cotonnière. Elle encourage la création de SCOOPS-PC féminines pour leur faciliter le crédit intrants coton et la commercialisation de leur produit. Ainsi, elle a œuvré à la promotion des cotoncultrices à travers le concours, meilleur producteur et meilleure productrice SCOOPS-PC. Des prix spéciaux ont été réservés aux meilleures productrices et aux meilleures SCOOPS-PC féminines. A travers le Projet d’accès à l’irrigation en culture cotonnière (PAICC), la SOFITEX a encouragé les femmes à s’inscrire en vue de bénéficier des bienfaits de l’irrigation d’appoint. A ce niveau, deux productrices volontaires ont toutes été retenues à l’issue de la procédure de sélection.

S. : Quelles difficultés les femmes rencontrent-elles dans la production du coton ?

W.Y. : L’accès à la terre constitue une contrainte majeure pour les femmes dans le domaine agricole en général et en culture cotonnière pour ce qui nous intéresse. En effet, à quelques exceptions près, les détenteurs de la terre sont du sexe masculin. Elles ont tout au plus des parcelles secondaires de petites tailles, le plus souvent pauvres en éléments fertilisants. Le statut social de la femme ne lui permet pas de prendre part au processus décisionnel.

Le rôle de chef d’exploitation est détenu par l’homme qui est également membre de la SCOOPS-PC. Les femmes qui sont le plus souvent des bénéficiaires indirectes du crédit à travers leur époux. Il y a aussi des difficultés liées à l’accès à la mécanisation agricole. Elles doivent attendre que les hommes finissent les opérations mécanisées avant d’avoir accès aux équipements. Ce qui engendre des retards dans les opérations culturales.

 Interview réalisée par JMT

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