Rapt de jeunes filles dans la Boucle du Mouhoun : une pratique culturelle à l’aune de la modernité

Dans certaines localités du Burkina Faso, une pratique consiste, pour des jeunes hommes, à enlever de force une fille pour faire d’elle leur femme. Ce phénomène, le rapt, est encore récurrent dans la région de la Boucle du Mouhoun. Dans la province des Balé (Boromo) et du Mouhoun (Dédougou), de nombreuses filles sont victimes de ce fléau, avec pour corollaire, leur déscolarisation. En fin octobre 2022, Sidwaya a parcouru quelques localités de la région pour lever un coin de voile sur l’étendue et les conséquences d’une pratique qui met à mal les efforts du gouvernement burkinabè et de ses partenaires pour la scolarisation des filles.

Père d’une fille décédée après son rapt, Jean François Diou pense que la pratique doit cesser.

Jeudi 27 octobre 2022. Il est 6 heures 48 minutes à Oullo, village de la commune rurale de Siby à une dizaine de kilomètres (km) à l’Ouest de Boromo, chef-lieu de la province des Balé, région de la Boucle du Mouhoun. En cette période de récoltes, les villageois s’affairent pour les champs alors que les élèves eux, s’activent pour prendre le chemin de l’école. Assis sur une chaise métallique au milieu de sa cour, Jean François Diou écoute les informations matinales en langue dioula sur une radio de la place. Ce père de 6 enfants dont 2 filles, ressasse toujours l’amer souvenir du décès de l’une d’entre elles, Justine Diou. Victime de rapt en octobre 2021, en début d’année scolaire alors qu’elle était en classe de 3e, la jeune fille, raconte son géniteur, trouvera la mort dans la nuit du 24 au 25 mars 2022, dans des circonstances « mystérieuses » après sa « libération ». Aux côtés de son épouse, il revient sur l’enlèvement de sa fille. Justine Diou, relate-t-il, le regard hagard, a été « enlevée » par un jeune d’un village voisin pour faire d’elle sa femme. Pour sa part, la génitrice de la défunte est convaincue que sa fille n’était pas consentante. « Elle ne connaissait même pas le prétendant en question. C’est une de ses amies qui l’a flattée et l’a amenée dans le village du jeune », indique-t-elle. Son père dit s’y être opposé au point de saisir la police qui a sommé le jeune de la relâcher. Une dizaine de jours plus tard, ce sera chose faite. Justine Diou a donc regagné le domicile familial. A son retour à la maison, la jeune fille a repris le chemin de l’école. Elle a même fait le premier, puis le deuxième trimestre, aux dires de sa mère. « Elle a mangé quelque chose qui lui a fait mal au ventre. Je l’ai amenée à l’hôpital mais, les infirmiers n’ont pas réussi à la sauver », confie le quinquagénaire, les larmes aux yeux.

Enlevée avec sa complicité

Impuissant face au phénomène, Jean François Diou pense tout de même qu’il doit cesser. « Même si ces pratiques aboutissent le plus souvent à des mariages, il faut qu’on arrête ça car on ne peut pas trouver un enfant à l’école et l’y soustraire sans l’accord de ses parents », martèle-t-il. Pour lui, cette pratique annihile les efforts des parents pour garantir un avenir radieux à leurs enfants, surtout les filles. A l’en croire, plusieurs cas de kidnapping dans le village ne sont pas signalés parce que les parents ne s’y sont pas opposés. Autre village, même pratique. Nous sommes à Ourbonon à 5 km de Boromo. Au Collège d’enseignement général (CEG) du village, les cours vont bon train. Barakissa Barry, 16 ans, aurait dû être en classe de 3e avec ses camarades pour suivre les cours, ce matin du jeudi 27 octobre 2022. Mais, elle a abandonné l’école après avoir été victime d’un rapt dont elle-même était complice. L’évènement s’est déroulé en octobre 2021, au début de l’année scolaire. Elle a été enlevée par des jeunes à des fins de mariage. Mais après l’intervention des services de l’action sociale de la province, elle a été « libérée » et a repris les cours, foi du directeur du CEG de Ourbonon, Etienne Ouédraogo. Elle a fini par abandonner l’école et quitter le village, pour des raisons jusque-là imprécises. « Nous l’avons suivie de très près mais malheureusement, ils avaient réussi à la détourner psychologiquement », regrette le directeur. Selon Etienne Ouédraogo, la déscolarisation de plusieurs filles est la conséquence directe de l’enlèvement dont elles ont été victimes. « Même quand on arrive à les maintenir à l’école, leur niveau baisse. Très souvent, ce sont des absences répétées suivies de mauvaises notes en classe. Finalement c’est l’abandon qui s’en suit », explique le directeur du CEG. Pour lui, il est difficile pour les filles qui ont vécu ces situations de poursuivre leurs études.

50 rapts en 4 ans

R. N., élève en classe de 5e au lycée provincial de Boromo : « j’ai reçu un vélo qui me permet de me rendre à l’école facilement ».

Elles sont nombreuses ces jeunes filles qui ont dû abandonner les classes pour se marier dans plusieurs localités de la province. Les cas de rapt qui n’ont pas eu d’opposition passent comme une lettre à la poste. Selon le chef de service provincial chargé de la famille et de l’enfant des Balé, Daouda Sawadogo, de 2019 à 2022, ce sont 50 cas de rapt qui ont été recensés dans la province.

« En 2019, il y a eu 12 cas, en 2020, 13 cas et en 2021, 19 cas. Pour l’année 2022 en cours, nous avons enregistré 6 cas », indique M. Sawadogo. Pour lui, ces chiffres sont en deçà de la réalité car en 2019 et 2020, seule la commune de Boromo avait un service social où on pouvait signaler des cas. Comme l’indique M. Sawadogo, il y a des cas où la jeune fille est consentante. Il faut alors la ramener à la raison et cela n’est pas souvent facile, vu que la plupart de ces filles ont un âge compris entre 15 et 17 ans. « Souvent, la fille est bernée et flattée par les jeunes garçons qui l’enlèvent. Donc, elle n’est pas en mesure de savoir que les actes qu’elle pose la compromettent. Nous lui faisons comprendre que même si elle veut se marier, son âge ne le lui permet pas pour le moment », soutient le chef de service. Tout compte fait, relate-t-il, les cas de rapt sont très complexes à traiter. « D’abord, il faut mettre la jeune fille en sécurité en la plaçant dans une famille d’accueil. Il faut ensuite entrer en contact avec les parents pour une médiation et leur faire comprendre que les actes posés ne sont pas justes et sont punis par la loi », explique-t-il. Toutefois, dit-il, l’objectif des médiations est de trouver une solution à l’amiable. « Si la médiation réussit, la fille peut rejoindre ses parents. Mais si les deux parties s’entêtent, on est obligé de se référer à la justice », ajoute Daouda Sawadogo.

Des habitudes culturelles

A écouter le chef de service provincial chargé de la famille et de l’enfant des Balé, si une grande partie de ces kidnapping n’est pas signalée par la population, c’est parce que la pratique est liée à la coutume dans la localité. C’est aussi l’avis du substitut du procureur du Faso près le Tribunal de grande instance (TGI) de Boromo, Emmanuel Dofini Fao. A l’entendre, de 2021 à aujourd’hui, au moins 10 cas ont été jugés, mais le combat n’est pas seulement un combat contre des infractions, mais surtout celui contre des habitudes culturelles. « Les arguments que les accusés avancent sont entre autres le mariage et le refus de la jeune fille de rejoindre sa famille », affirme-t-il. Et d’ajouter que souvent, il y a des victimes qui disent vouloir rester avec leurs « bourreaux ». Selon le substitut du procureur, les enlèvements sont aussi favorisés par les sévices que les jeunes filles subissent dans leurs familles. « Elles ont envie de quitter la famille pour retrouver le bonheur ailleurs », relève-t-il. Emmanuel Dofini Fao note que pour certains rapts, les parents de la fille sont complices pour des causes culturelles. Toutefois, signifie-t-il, le rapt n’est pas pratiqué par un seul groupe ethnique, des cas ayant été recensés dans plusieurs communautés.

Rapt ou enlèvement ?

Le substitut du procureur du Faso près le TGI de Boromo, Emmanuel Dofini Fao : « les arguments que les accusés avancent sont entre autres le mariage et le refus de la jeune fille de rejoindre sa famille ».

Pour le procureur du Faso près le TGI de Dédougou, Lamoussa Héma, le rapt est une pratique qui a la peau dure dans la région de la Boucle du Mouhoun. Et pour cause, soutient-il, malgré les condamnations allant jusqu’à des privations de liberté, le phénomène persiste et les exemples sont légion, avec des cas actuellement en instruction. Selon lui, il y a une différence entre le rapt et l’enlèvement. « L’enlèvement c’est le fait de soustraire un enfant mineur de la garde de quelqu’un qui est attributaire de l’autorité parentale. Pour que l’enfant puisse aller d’un point A à un point B étant chez les parents, il faut la permission expresse de ces derniers. Dès que vous soustrayez un enfant de cette autorité, il s’agit d’un enlèvement », précise le procureur Héma. Quant au rapt, nuance-t-il, il est une forme d’enlèvement qui est d’ailleurs prévu par la loi. En effet, dit-il, l’article 513-2 du nouveau Code pénal stipule que le rapt est le fait pour toute personne d’enlever de force une femme ou une fille en vue de lui imposer le mariage ou une union sans son consentement.

S’attaquer aux causes du mal

Les frais de scolarité de A. M., 17 ans, élève en Terminale au lycée municipal de Boromo n’ont toujours pas été payés.

Malgré la répression, la pratique du rapt, qui est l’une des causes de la déscolarisation des jeunes filles dans la région de la Boucle du Mouhoun persiste. Que faire pour y mettre fin ? C’est la question que bon nombre d’acteurs se posent. Pour éradiquer le phénomène, les services sociaux des Balé ont décidé de combattre le mal par la racine, en s’attaquant à ses causes. « Etant donné que la pauvreté est l’une des causes, nous avons décidé d’accompagner les filles scolarisées qui sont susceptibles d’être des victimes », déclare Daouda Sawadogo, chef de service provincial chargé de la famille et de l’enfant des Balé, citant l’UNICEF et Save the Children comme les partenaires de ce programme. C’est dans ce cadre que Rachelle Nébié, élève en classe de 5e au lycée provincial de Boromo a bénéficié d’un accompagnement pour poursuivre ses études après le décès de son père. « J’ai reçu un vélo qui me permet de me rendre à l’école facilement parce que je dois parcourir 5 km entre Ourbonon et Boromo », s’enthousiasme-t-elle. La jeune fille de 16 ans continue son témoignage en confiant que sa scolarité a été prise en charge par les services de l’action sociale. Pour elle, ce geste est sans doute une motivation pour poursuivre son cursus scolaire malgré les difficultés familiales. Aminata Mien (17 ans), élève en classe de Terminale au lycée municipal de Boromo, fait partie des bénéficiaires du programme d’accompagnement. Elle a bénéficié d’un vélo. Mais jusque dans la soirée du jeudi 27 octobre 2022, sa scolarité n’avait pas encore été payée. « Mes parents n’ont pas les moyens. L’action sociale m’a appelée pour savoir si je n’ai pas encore payé mes frais scolaires. Je leur ai dit non. Donc j’attends de voir s’ils vont m’aider », lance-t-elle avec l’espoir de passer son examen de baccalauréat cette année.

Noufou NEBIE

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