Report de l’ECO en 2027 : « L’engagement politique des dirigeants n’est pas très ferme », Pr Ousseni Illy

L’enseignant-chercheur en Droit international économique, Pr Ousseni Illy : « Sans une bonne dose de volonté, on risque de revivre les mêmes situations de reports ».

Après les échéances manquées de 2005 et 2020, la 59e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), tenue le 19 juin 2021, à Accra au Ghana, vient de repousser le lancement officiel de la monnaie commune de la région, l’ECO, en 2027. Pour savoir davantage sur cette décision et bien d’autres conclusions de la rencontre, Sidwaya a rencontré, en ligne, un spécialiste des questions monétaires et d’intégration régionale, Pr Ousseni Illy, agrégé des facultés de Droit, à l’Université Thomas-Sankara.

Sidwaya (S) : La 59e session ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, tenue le 19 juin 2021, à Accra au Ghana, a adopté une nouvelle feuille de route pour le lancement de la monnaie commune de la région, l’ECO, à l’horizon 2027. Est-ce un délai réaliste ?

Pr Ousseni Illy (O.I.) : Ce délai est a priori réaliste, d’autant plus qu’il a été proposé par des experts. La conférence n’a, en réalité, fait que prendre « note » (selon les termes mêmes du Communiqué) du délai proposé par les experts. Par conséquent, techniquement, on pourrait dire qu’il peut tenir. Toutefois, sans une bonne dose de volonté derrière, on risque de revivre les mêmes situations de reports qu’on a connues avant. La création d’une monnaie unique est beaucoup plus un processus politique qu’économique. Malheureusement dans la zone CEDEAO, les obstacles politiques à la création de cette monnaie sont encore nombreux ; à commencer par ces rapports complexes des pays de l’UEMOA avec la France, qui refont surface à chaque fois que l’on semble proche du but.

S : Y a-t-il un espoir que l’échéance de 2027 soit la bonne ?

O.I : Personnellement, j’ai des doutes, notamment au regard des obstacles politiques dont j’ai parlé tantôt. Mais espérons qu’ils nous surprendront agréablement cette fois-ci. Tout cela montre que la création d’une monnaie unique n’est pas chose aisée et quand vous regardez un peu partout dans le monde, il y en a très peu. Peut-être que si les pays de l’UEMOA n’avaient pas hérité leur monnaie unique de la colonisation, Il n’y aurait pas de monnaie dans cet espace. Prenons donc notre mal en patience ; c’est déjà une bonne chose qu’on en parle dans la CEDEAO. Dans d’autres parties du continent, ce n’est même pas une question à l’ordre du jour.

S : Quelles mesures ou précautions faut-il prendre pour que l’avènement de l’ECO ne soit pas toujours renvoyé aux calendes grecques ?

O.I. : Comme je l’ai dit, il faut une bonne dose de volonté politique. Pour l’instant, l’engagement politique des plus hauts dirigeants n’est pas très ferme ; aussi bien chez certains anglophones comme le Nigéria que chez certains francophones comme la Côte d’Ivoire ; alors que ces deux pays sont parmi les poids lourds de l’économie de la sous-région.

S : La Conférence a également adopté le Pacte de convergence et de stabilité macroéconomique entre les Etats membres de la CEDEAO dont la phase de convergence couvre la période de 2022 à 2026 et la phase de stabilité à partir du 1er janvier 2027. Ces nouvelles échéances se justifient-elles ?

O.I. : Le nouveau Pacte n’a pas été rendu public (en tout cas je n’en ai pas eu connaissance). Je ne peux donc pas dire si ces échéances se justifient. Néanmoins, on sait bien que l’ancien pacte avait été suspendu en janvier dernier, donc il fallait fixer de nouvelles échéances pour la convergence et la stabilité, conditions sine qua non pour le lancement de la monnaie.

S : A l’issue de ce sommet, l’ouverture des frontières des Etats membres n’a pas été actée. En tant que spécialiste des questions d’intégration, quelle est votre opinion sur le maintien de la fermeture des frontières pour raison de COVID-19 ?

O.I. : Je trouve que c’est bien dommage. Le maintien de la fermeture des frontières n’a plus aucun fondement. La COVID-19 est quasiment derrière nous (il n’y a qu’à regarder les chiffres) et c’est vraiment à ne plus rien comprendre le pourquoi de cette fermeture. En réalité, cette situation révèle le manque de sincérité de nos Etats dans les processus d’intégration régionale. Dans la forme, tout le monde chante les mérites de l’intégration au quotidien mais dans le fond, très peu y croient réellement. Mais au-delà de tout ça, je pense qu’il n’appartient pas à la CEDEAO de décider de la réouverture des frontières. Les Etats les ont fermées unilatéralement, donc il appartient à chaque Etat de décider de la réouverture de ses frontières. Et à ce propos, je ne comprends pas l’inaction de nos autorités alors que nous sommes un pays enclavé. J’en appelle au Chef de l’Etat à procéder à la réouverture de nos frontières ; cela aura certainement un effet d’entrainement chez nos voisins.

S : Sur le plan de l’architecture institutionnelle, la commission de la CEDEAO passe de 15 membres à 7. Qu’est-ce qui explique ou justifie cette réduction de la taille de la Commission ?

O.I. : Cette réduction se justifie sans doute pour des raisons financières. Avec le traitement qui est accordé aux commissaires, je pense qu’à un moment donné cela n’était pas tenable avec 15 commissaires. Il s’agit donc d’une bonne décision à mon avis. Cela permettra de dégager un peu de ressources pour financer d’autres choses plus pressantes.

S : Comment sera géré la représentation des Etats membres au sein de cette commission ?

O.I. : Ce sera certainement la plus grande équation à venir et qui sera l’objet de chaudes empoignades diplomatiques, puisqu’il faudra effectivement désormais répartir 7 postes de commissaires entre 15 pays. Mais je pense que c’est une question qui peut être réglée, par exemple en instaurant un système de rotation.

Interview réalisée en ligne par
Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com

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