Retenues sur salaires de magistrats : « L’Etat est dans son droit… », Lamoussa Yao, inspecteur du trésor

L’agent judiciaire de l’Etat, Lamoussa Yao : « L’agent judiciaire de l’Etat conserve son rôle de représentant légal de l’Etat devant les juridictions ».

Inspecteur du trésor, Lamoussa Yao est l’agent judiciaire de l’Etat à la direction générale du Trésor et de la comptabilité publique. Dans cette interview, il revient, entre autres, sur les retenues de salaires de magistrats qui défraient la chronique et les attributions de l’Agence judiciaire du trésor.

Sidwaya (S 🙂 : Qu’est-ce que l’Agence judiciaire du trésor ?

Lamoussa Yao (L. Y ? 🙂 : L’Agence judiciaire du trésor est une structure centrale de la direction générale du Trésor et de la comptabilité publique. Elle a eu plusieurs dénominations dont la direction du Contentieux et du Recouvrement, la direction générale du Contentieux de l’Etat, la direction des Affaires contentieuses et du Recouvrement, l’Agence judiciaire du trésor et depuis le 22 avril 2020, le conseil des ministres a adopté un décret portant création, missions, attributions, organisation et fonctionnement de l’Agence judiciaire de l’Etat.

Cette nouvelle appellation fait suite à l’adoption de la loi n°008-2019 du 23 avril 2019 portant statut de l’Agent judiciaire de l’Etat qui a abrogé la loi n°028-2007/AN du 22 novembre 2007 portant statut de l’Agent judiciaire du trésor, mais les missions et les attributions n’ont pas changé.
En attendant l’effectivité de ce décret pour prendre désormais la dénomination « Agence judiciaire de l’Etat », l’Agence judiciaire du trésor exerce les missions et attributions conformément à la loi portant statut de l’Agent judiciaire de l’Etat.

Ceci dit, l’Agence judiciaire du trésor a pour missions :
– le conseil juridique au profit de l’Etat et de ses démembrements ;
– la représentation de l’Etat devant les juridictions et les instances arbitrales nationales et internationales ;
– la gestion des indemnisations des victimes d’accidents de circulation impliquant les véhicules de l’Etat ;
– le recouvrement des créances contentieuses ;
– l’exécution des décisions de justice rendues au profit de l’Etat et de veiller à l’exécution de celles le rendant débiteur.

S : Sur quelle base les retenues des salaires de magistrats ont-elles été opérées ? Y a-t-il une disposition légale qui encadre les retenues de salaires ?

L. Y. : Selon la réglementation, les termes employés sont soit la retenue, soit la suspension partielle ou totale du salaire. Chacun de ces termes a son régime juridique. La suspension de salaire par exemple intervient lorsque l’agent est en situation irrégulière vis-à-vis de l’administration.

Je suppose donc que vous voulez parler de retenue puisque la grève n’entraîne pas une situation irrégulière de celui qui l’observe vis-à-vis de son administration sauf, si une loi express lui interdit la grève.
Ceci étant, tout salaire est fondé sur le principe du service fait. Bien entendu, il y a quelques exceptions liées par exemple à l’autorisation d’absence ou aux congés.

En dehors de ces cas, l’agent public dont le magistrat, n’a droit à une rémunération que lorsqu’il y a la preuve de service fait. Cette base est suffisante pour opérer des retenues sur le salaire d’un agent en grève. La grève étant une cessation concertée et collective du service et suivant les textes en vigueur.

Il faut aussi noter qu’en matière de dépense publique, le principe de l’exécution de la dépense est strictement lié au principe de service fait. Aussi, l’article 91 de la loi n°073-2015/CNT du 06 novembre 2015 portant loi organique relative aux lois de finances dispose que « Les projets de liquidation sont examinés par l’ordonnateur au regard de l’existence et de la régularité des pièces justificatives à produire à l’étape de la liquidation, de la sincérité des certifications du service fait et de l’exact calcul de la liquidation ».

Cela signifie en termes simples que celui qui donne l’ordre de payer doit tenir compte nécessairement de documents attestant du montant à payer, de l’effectivité du travail à rémunérer et d’absence d’erreur dans le calcul du montant à payer.

Pour donc payer un agent public et même tout autre personne voulant bénéficier d’une rémunération sur la base du budget de l’Etat, il faut s’assurer que la rémunération est légale, c’est-à-dire respectant la loi organique relative aux lois de finances.

Dès lors qu’il y a un élément justifiant l’illégalité de la rémunération, l’administration doit se réserver de payer sinon l’agent public qui procède à ce paiement engage sa responsabilité personnelle et pécuniaire.

Il y a aussi le décret n°2018-0376 du 26 avril 2018 portant procédure d’exécution de la solde mensuelle des agents publics de l’Etat qui précise que la mise en place du salaire et de ses accessoires ne peut intervenir qu’au vu des pièces justificatives apportant la preuve de la présence du bénéficiaire à son poste et de l’accomplissement des prestations pour lesquelles il occupe ledit poste.

Etant donné que c’est une retenue et pour ne pas rendre l’agent public dans une situation de précarité, il a été adopté le décret n°2008-741 / PRES / PM / MTSS / MEF / MFPRE / MJ / DEF du 17 novembre 2008 portant cessions, saisies et retenues sur les rémunérations et pensions de retraite des agents publics de l’Etat, des magistrats, des militaires et des travailleurs salariés du secteur privé et l’arrêté conjoint n°2013-195/MEF/MFPTS du 30 mai 2013 portant procédure de traitement et modalités de liquidation de la retenue pour faits de grève. C’est donc sur la base de tous ces textes que la retenue de salaire s’opère dans la Fonction publique.

S : Ce qui signifie que ces retenues de salaires se justifient ?

L. Y. : Nous sommes dans un Etat de droit et l’administration doit respecter les textes en vigueur. Si un agent est absent de son service pour faits de grève, l’Etat est dans son droit de procéder à la retenue de salaire correspondant au nombre de jours de grève qu’il a lui-même fixés dans son préavis de grève adressé à l’autorité compétente.

S : Les magistrats ont attrait l’Etat en justice à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. A Ouagadougou, l’Etat a été sommé de reverser les salaires coupés. A Bobo-Dioulasso, les magistrats n’ont pas eu gain de cause. Qu’est-ce qui explique cette différence dans les décisions ?

L. Y. : Il y a lieu de noter également qu’à Koupéla, les magistrats n’ont pas eu gain de cause. A priori, cette question doit être adressée à ceux-là-mêmes qui ont rendu les décisions différentes. Nous n’allons pas discuter des décisions de justice ici parce que d’abord, le juge est indépendant et il ne doit pas être inquiété sur la base des décisions qu’il prend et en plus quand un justiciable n’est pas satisfait d’une décision, il y a en principe les voies de recours.

Ce que je peux dire, c’est que l’Etat burkinabè a produit les mêmes moyens de défense avec l’assistance du cabinet Me Kam et Me Somé. En substance pour le Tribunal de Bobo-Dioulasso, son président a estimé que la décision du ministre de la Justice est une décision administrative et a servi de fondement pour les retenues pour faits de grève alors qu’à Ouagadougou, le président du Tribunal administratif a considéré la même pièce comme étant un acte préparatoire et non une décision administrative.

Je voudrais rappeler qu’en matière de référé mesures utiles, la décision du juge ne doit pas faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative. C’est donc dire qu’en considérant la décision du ministre de la Justice comme étant la décision ayant servi de fondement aux retenues de salaires chez les magistrats, il est clair que le référé mesures utiles ne peut pas être accordé. Ce que le président du Tribunal administratif a refusé de reconnaître malgré nos moyens de défense avancés par le cabinet Me Kam et Me Somé.

S : L’Etat va-t-il se plier à la décision du Tribunal administratif de Ouagadougou?

L. Y. : Le juge, en rendant sa décision, a bien précisé qu’il la rend en premier ressort. Ce qui veut dire que la décision est susceptible d’être examinée à nouveau à travers l’appel qui est une voie de recours reconnue par la loi n°011-2016/AN du 26 avril 2016 portant création, composition, attributions, fonctionnement des Tribunaux administratifs et procédure applicable devant eux.

Conformément à cette loi, l’Etat a fait appel et attend que le Conseil d’Etat statue à nouveau sur la décision de Ouagadougou et des autres également qui ne lui ont pas donné raison. Après épuisement des voies de recours, si la décision de Ouagadougou est confirmée, l’Etat va certainement l’exécuter.

S : On a l’impression que l’Agence judiciaire du trésor défend l’Etat dans cette affaire. En plus, il y a des avocats de l’Etat qui sont présents aussi. Quel est le rôle de chaque partie dans cette affaire ?

L. Y. : Il faut d’abord noter que la loi portant statut de l’Agent judiciaire de l’Etat en son article 31 permet à l’agent judiciaire de l’Etat de se faire assister par des avocats. Ces avocats sont appelés conseils de l’Etat et recrutés conformément à la procédure de sélection des consultants en matière de commande publique.

Leur rôle est d’assister l’agent judiciaire de l’Etat dans les dossiers qu’il a estimés utiles de les confier. C’est dans ce sens que les dossiers contentieux des magistrats ont été confiés à un des conseils de l’Etat.
L’agent judiciaire de l’Etat conserve son rôle de représentant légal de l’Etat devant les juridictions et suit avec le conseil de l’Etat l’évolution des dossiers confiés.

S : Jusqu’à quel seuil les retenues peuvent-elles s’opérer

L. Y. : Les seuils, en ce qui concerne les retenues de salaires, sont régis par le décret n°2008-741 / PRES / PM / MTSS / MEF / MFPRE / MJ / DEF du 17 novembre 2008 portant cessions, saisies et retenues sur les rémunérations et pensions de retraite des agents publics de l’Etat, des magistrats, des militaires et des travailleurs salariés du secteur privé.

L’article 3 précise que les rémunérations et pensions sont saisissables suivant les proportions ci-après :
Du SMIG à 75 000 (33,33%)
75 001 à 100 000 (40%)
100 001 à 200 00 (45%)
200 001 à 300 000 (50%)
Au-delà de 300 000 F (55%)
En ce qui concerne les magistrats, ils ont tous un salaire qui va au-delà de 300 000F, le seuil donc légal est de 55%.

S : Comment s’enclenche le processus de retenue ?

L. Y. : En cas de grève, les listes des agents grévistes sont saisies dans le logiciel SIGASPE par les DRH et DAF des structures de rattachement des agents grévistes et les bordereaux de transmission desdites saisies sont édités, signés et transmis à la solde qui procède à la validation pour prise en compte dans le mois suivant la date de réception desdits bordereaux. Les listes ne sont pas transmises à la solde puisqu’il peut y avoir des réclamations.

Je précise qu’en vertu de la règle du trentième indivisible, une grève même d’une demi-journée entraîne une retenue égale au trentième du traitement mensuel. Le décompte des retenues s’élève à autant de trentième qu’il y a de journées comprises entre le premier jour inclus au dernier jour inclus de grève. Si des agents font 5 jours de grève alors qu’il y a un jour férié parmi les cinq jours, l’administration ne tiendra pas compte de cela. Les retenues c’est pour cinq jours.

S : Peut-on s’attendre dans cette affaire qui oppose l’Etat et les magistrats à un recours devant le Conseil d’Etat ?

L. Y. : Bien entendu, c’est le droit d’une partie au procès en ce qui concerne les décisions rendues en premier ressort. Dans ce cas, les décisions ont été rendues par le juge en premier ressort. De même que les magistrats qui ne sont pas satisfaits des décisions rendues peuvent interjeter appel, l’Etat également peut interjeter appel. C’est ce qui d’ailleurs sera fait.

Propos recueillis par
Karim BADOLO

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