Roger Barro, directeur de la prévention des pollutions et des risques environnementaux : « L’une des solutions pour mettre fin au péril plastique est de réviser la loi »

Roger Barro : « Actuellement, les kits sont très en vogue, alors qu’ils sont potentiellement plus nocifs pour la santé ».

Malgré l’entrée en vigueur, en 2015, de la loi portant interdiction des sachets plastiques, la majorité des espaces verts semble toujours envahie par les sachets plastiques. Le directeur de la prévention des pollutions et des risques environnementaux, Roger Barro décortique, à cet effet, dans cette interview, les actions qui ont été mises en œuvre pour assainir l’environnement face au péril plastique et aux contraintes qui plombent son application. Il aborde également les perspectives pour inverser la tendance et les enjeux d’un accord mondial contraignant dans le domaine de la lutte contre la pollution plastique.

Sidwaya (S) : Présentez-nous la direction générale de la protection de l’environnement?

Roger Barro (R.B.): La direction générale de la préservation de l’environnement est l’une des directions du ministère en charge de l’environnement. Elle a pour mission essentielle la mise en œuvre et le suivi de la politique nationale en matière d’amélioration du cadre de vie, d’éducation environnementale, de lutte contre les pollutions et nuisances. Elle comprend 4 directions techniques à savoir, la direction des aménagements paysagers et de l’écologie urbaine, la direction de la promotion de l’éducation environ-nementale et de l’écocitoyenneté, le laboratoire d’analyses de la qualité et l’environnement, la direction de la prévention des pollutions et des risques environnementaux.

S : A quel souci répond l’adoption de la loi 017 portant interdiction des sachets plastiques au Burkina Faso en 2014 ?

R.B. : Le Burkina faisait face à un phénomène de péril plastique, donc la loi vise à contrer la prolifération des déchets plastiques. Elle vise également à assainir le cadre de vie des populations et créer une alternative à l’utilisation des emballages plastiques non biodégradables dans le but d’enclencher une nouvelle dynamique de protection de l’environnement.

S : Quelle est l’ampleur du préjudice causé au Burkina Faso par le péril plastique ?

R.B. : Lorsque vous circulez d’une manière générale dans les quartiers, c’est la catastrophe. Les plastiques ont remplacé l’herbe partout, c’est la pollution visuelle qui enlaidit le paysage en ville tout comme en campagne. Associés à cela les sachets rendent les sols imperméables et ainsi contribuent à accentuer les inondations en cas de grosse pluie, mais également à réduire les rendements agricoles.

Vous l’aurez remarqué devant les concessions, les gens rassemblent les déchets plastiques pour les brûler et cela occasionne la pollution de l’air par les dioxines et les furanes qui sont des polluants organiques persistants nocifs pour la santé, et pour l’environnement. Dans le domaine de la santé, l’utilisation des sachets plastiques comme contenant des repas est dangereuse pour la santé.

Actuellement, les kits sont très en vogue, alors qu’ils sont potentiellement plus nocifs pour la santé. Les kits sont en polystyrène et lorsqu’on y met des aliments chauds, le styrène qui est un gaz se retrouve dans le repas. Cela peut occasionner des problèmes de santé. Enfin, au Burkina 30% du cheptel meurt à la suite de l’ingestion des sachets plastiques occasionnant une perte de 405 milliards FCFA/an.

S : Cela fait 7 ans maintenant que le décret d’application de cette loi a été adopté. Quel constat peut-on faire quant à son application sur le terrain ?

R.B. : Effectivement, la loi est entrée en vigueur le 21 février 2015. Et je peux affirmer qu’il y a eu une nouvelle dynamique. Déjà, pour mettre en œuvre la loi, il fallait prendre un certain nombre de textes d’application. Dans ce cadre, il y a eu un arrêté portant homologation des emballages et sachets plastiques biodégradables.

En effet, pour importer des emballages plastiques biodégradables, il faut une homologation valable pour 2 ans. Il y a eu un décret sur la gestion des déchets liés à l’utilisation des emballages et sachets plastiques non biodégradables. Il a permis d’organiser le système de collecte. Le ministère a également adopté le décret 2015 du 3 juillet 2015 portant contraventions et amendes administratives en matière d’emballages et de sachets plastiques.

Ainsi, une personne qui jette un sachet d’eau dans la nature, sans autre forme de procès, doit être sanctionnée. L’amende va de 5 000 et 10 000FCFA. Si après une manifestation, le site est laissé sale, jonché de déchets plastiques, l’amende fait 50 000FCFA, en plus du nettoyage des lieux. Il y a également l’arrêté sur les conditions de récupération et d’élimination des emballages.

Car tout déchet plastique doit être récupéré. Avec ces instruments, la loi est bien en vigueur. Il s’agit maintenant de voir comment les acteurs l’appliquent. Depuis 2017, le ministère en charge de l’environnement délivre des homologations aux importateurs de sachets plastiques et des certificats d’exemption, car la loi prévoit en son article 11 des exceptions concernant les sachets plastiques non biodégradables utilisés dans la recherche, la santé et l’agro-alimentaire.

Par ailleurs, dans le code des impôts, on a fixé 5% sur le coût des emballages plastiques à l’importation et à la production nationale destiné à être reversé au Trésor et à financer des activités dans le cadre de la lutte contre le péril plastique.

S : Pourtant, on continue de voir des espaces et terrains vagues envahis par des sachets plastiques. Qu’est-ce qui freine donc l’application de la loi ?

R.B. : Ce constat est juste. Il est lié à la nature même de la loi. Le premier frein est donc le caractère partiel de la loi. Elle autorise les sachets biodégradables, mais c’est toujours du plastique. Au sens de la loi, le biodégradable prend 5 ans pour se dégrader. Si vous jetez un sachet plastique dans la nature, il va rester et donc polluer pendant 5 ans et c’est tout le problème de la loi.

L’autre difficulté est qu’on ne peut pas faire la différence entre les emballages plastiques biodégradables et non biodégradables. Ceci fait que des sachets non biodégradables se retrouvent sur le marché. Les sanctions et les contraventions relèvent des collectivités territoriales, mais ne sont pas effectives sur le terrain.

Il appartient aux collectivités de les mettre en œuvre. C’est la police municipale qui est habilitée pour faire respecter cette disposition. Pour le moment, on ne sent pas cet engagement, mais on espère que les choses vont changer. Après l’adoption de la loi, les gens n’ont pas changé leur mode d’utilisation des emballages et sachets plastiques. Certains ont même exagéré puisqu’on dit qu’ils sont biodégradables, c’est donc normal qu’ils se retrouvent dans la nature.

De plus, Il n’y a pas eu plus de poubelles et le système de récupération des déchets plastiques ne s’est pas amélioré alors que la population a augmenté. Or, il y a une corrélation entre la quantité de déchets produits et la taille de la population. Selon les estimations, chaque habitant produit par jour 0,57kg de déchets. Enfin, le budget pour prendre en charge les déchets, n’a pas évolué.

S : Que faudrait-il faire alors pour inverser la tendance ?

R.B. : Pour ne plus voir ces scènes de sachets qui polluent l’espace, il faut mieux sensibiliser les acteurs notamment leur faire comprendre que le sachet qu’on a autorisé est aussi nocif que celui qu’on a interdit. Deuxièmement, chacun de nous devrait utiliser des sacs réutilisables pour tous les achats. Les officiers de police en matière d’environnement doivent faire de la répression sur le terrain concernant ceux qui jettent des sachets plastiques dans l’espace public.

Les collectivités devraient intégrer dans l’autorisation d’occupation de l’espace public, l’obligation de laisser les lieux propres à la fin de la manifestation. Elles devraient également positionner plus de poubelles dans certains lieux des villes où il y a de l’affluence. Par ailleurs, le système de collecte et de transport des déchets devrait être renforcé partout.

On devrait aussi monter en puissance sur la valorisation des déchets plastiques. Au niveau institutionnel, il y a le programme de micro-financement du Fonds mondial pour l’environnement logé au niveau du Programme des Nations unies pour le développement ( PNUD) qui souhaite accompagner le gouvernement dans l’élaboration d’une stratégie et d’un plan d’actions de gestion des déchets plastiques.

Le Burkina va ainsi disposer d’un outil de planification qui va fédérer toutes les actions au niveau national autour d’un objectif unique. A long terme, les efforts doivent conduire à trouver une alternative à l’utilisation du plastique. J’exhorte également ceux qui font les emballages en tissu ou papier à augmenter la production et faire connaitre leurs produits, en attendant une réglementation pour accompagner le processus.

S : Ne pourrait-on pas tout simplement interdire l’usage des sachets plastiques au Burkina ?

R.B. : C’est comme si vous étiez dans le secret des dieux. L’une des solutions pour mettre fin au péril plastique est de réviser la loi. Un groupe interministériel a planché sur la question et a fait la proposition d’une nouvelle loi. Elle va être introduite dans le circuit pour que le conseil des ministres apprécie et transmette à l’Assemblée nationale pour adoption. L’esprit de cette révision est d’interdire l’utilisation des sachets plastiques à usage unique. Une telle loi n’est pas propre au Burkina car beaucoup de pays sont déjà dans cette dynamique au niveau sous régional et régional.

S : Quelles sont les actions qui ont été menées depuis l’entrée en vigueur en 2017 ?

R.B. : Outre l’adoption des textes réglementaires, il y a eu d’autres actions sur le terrain. Il s’agit notamment du projet national de traitement et de valorisation des déchets plastiques de 2015 à 2018 qui a permis d’acheter 6 000 tonnes de déchets dont les revenus sont allés directement aux familles. Depuis 2017, le ministère procède à des contrôles annuels pour s’assurer que les stocks sont constitués de sachets homologués au niveau de l’importation. Ces contrôles révèlent parfois 60% ou 50% de conformité.

La loi est donc en vigueur et elle est appliquée. Depuis 2017, la Semaine nationale de la salubrité est célébrée chaque année en vue de rendre les communes propres. En 2016 et 2018, nous avons organisé des opérations SIAO sans sachets plastiques avec un prix de l’environnement et valorisation des déchets plastiques. Nous organisons également des campagnes annuelles d’information et de sensibilisation de tous les acteurs des secteurs informel et formel sur le péril plastique.

S : Quelle appréciation faites-vous de l’engagement des acteurs à respecter la loi surtout que vous évoquez des taux de conformité de 60% ou 50% ?

R.B. : Les importateurs sont tous engagés puisque ce sont eux qui demandent les certificats d’homologation. Les distributeurs, vu qu’ils dépendent des importateurs, sont aussi engagés. En fait, sur la chaine de consommation, il n’y a aucun problème. La présence de 40% ou 50% de sachets non homologués s’explique par la fraude.

Les frontières étant poreuses, même à partir de Lomé, certains contrebandiers font rentrer des sachets. C’est l’occasion de remercier les services des douanes, car ils exigent systématiquement le certificat d’homologation lorsqu’ un importateur se présente avec du plastique.

S : Qu’en est-il de la volonté de l’Etat de mettre en place des unités de transformation ?

R.B. : Dans le cadre du projet national de valorisation et de traitement des déchets plastiques, 5 centres de transformation ont été mis en place à Bobo-Dioulasso, Tenkodogo, Manga, Dori et Gaoua. Tous ces centres sont équipés de broyeurs, presses, groupes électrogènes, fonderies, moules et forages. Le centre de la ville de Bobo dispose d’une chaine complète de production de granulés plastiques.

Le projet étant achevé, le ministère a engagé un processus de dévolution des biens aux collectivités pour assurer la pérennité du projet. Dans le cadre du financement du fonds international pour l’environnement, il est prévu un appel à projet pour mieux faire fonctionner ces centres.

S : Comment se passe la collaboration entre le ministère en charge de l’environnement et les promoteurs privés dans le domaine de la valorisation des déchets plastiques ?

R.B. : La collaboration se passe très bien. Le ministère a pour mandat d’accompagner les acteurs et dans ce cadre, lorsqu’un promoteur veut implanter un site de valorisation, nous effectuons une analyse d’impact environnemental, car il ne faut pas faire un transfert de pollution. Nous effectuons des visites pour nous assurer du respect des cahiers des charges. Nous les appuyons aussi à travers des formations. Ces promoteurs sont même en avance en matière de valorisation.

S : Comment appréciez-vous leur apport ?

R.B. Très positivement. Ils confectionnent des objets utilitaires qui sont bien appréciés. Certains par exemple confectionnent des tables-bancs. Nous les encourageons à continuer et à se professionnaliser. Nous leur recommandons de se protéger à travers des équipements de protection individuelle et le respect de toutes les bonnes pratiques.

S : Du 28 février au 2 mars s’est tenue à Nairobi, au Kenya, l’assemblée des Nations unies pour l’environnement autour d’un accord international de lutte contre la pollution provoquée par la production de matière plastique. Quels sont les enjeux d’un tel traité pour l’Afrique et le Burkina en particulier ?

R.B. : La question environnementale est devenue tellement importante que les Nations unies ont décidé d’y accorder une assemblée à part. Nous nous réjouissons du thème de la 5e assemblée de l’environnement. Selon que l’on soit en Europe ou en Afrique, la question du plastique n’est pas perçue de la même manière.

Dans les pays occidentaux, elle est surtout perçue en termes de pollution marine alors qu’en Afrique, elle est perçue en termes de pollution continentale. Le Burkina souscrit à ce qu’un accord international juridiquement contrai-gnant sur les déchets plastiques soit trouvé pour régler le problème parce que cela va faire une bonification pour tous les acteurs qui sont engagés dans le processus.

Au niveau mondial, le péril plastique c’est 11 millions de tonnes de déchets qui sont déversées dans les océans, ce chiffre peut être multiplié par 4 d’ici 2050 si rien n’est fait. Il faut prendre le taureau par les cornes pour éviter le pire. Puisque c’est la pollution continentale qui se retrouve dans la mer par le phénomène de ruissellement. L’accord mondial va offrir de nouvelles opportunités de financement pour les actions au niveau de chaque pays.

Nadège YE

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