Sécurité alimentaire : le niébé Bt, une légumineuse prometteuse

Le Burkina Faso possède un avantage potentiel dans plusieurs cultures de rente, comme les légumineuses. En la matière, le niébé est apprécié comme plat dans l’alimentation, mais il est aussi une source de revenus importante pour les producteurs. Malgré sa large adaptation et son importance, la culture du niébé est confrontée à des attaques de chenilles comme le « Maruca vitrata » occasionnant des pertes considérables en termes de rendement. Dans l’optique d’apporter une réponse à cette situation, des chercheurs expérimentent le niébé génétiquement modifié dont les premiers résultats suscitent de l’espoir.

Les gousses du niébé Bt ( gauche) résistent aux attaques par rapport à celles non génétiquement modifiées ( droite).

Parmi les céréales que produit chaque année Modeste Ives Hien cultivateur de son état, le niébé (haricot) occupe une bonne place comparativement au maïs, au mil, au sorgho et bien d’autres. En fonction des années et de sa détermination, le producteur, âgé de la trentaine peut cultiver jusqu’à un hectare de niébé dans son village, Gbagba, dans la commune urbaine de Dano (province du Ioba). La raison principale du choix porté sur cette légumineuse, de l’avis de Modeste Ives Hien, est qu’en plus de sa qualité nutritionnelle pour la famille, le haricot constitue une source de revenus importante pour tout cultivateur. « A chaque récolte, j’arrive à subvenir aux besoins de ma famille à travers la vente du niébé. Il y a une période de l’année où la vente de cette céréale est très intéressante. Je me souviens qu’il y a deux ou trois ans de cela, j’ ai acheté une moto grâce au commerce de cette légumineuse », raconte M. Hien, tout souriant. Mais, sur cette superficie d’un hectare, le père de famille de trois enfants a conscience qu’il ne peut pas récolter le rendement escompté, du fait de la présence des ravageurs et des maladies qui attaquent les jeunes plants après quelques jours de semis. Malgré la variété de pesticides achetés régulièrement sur le marché pour lutter contre ces bestioles, le rendement n’est pas à la hauteur de ses efforts.

« On m’a même conseillé de cultiver en association avec d’autres céréales telles que le maïs, le sorgho et le mil. Mais avec cette technique, il n’est pas à 100% sûre d’avoir une bonne récolte en quantité et en qualité », confie-t-il. Cette année, c’est au bord du désespoir que le chef de famille a décidé de cultiver le niébé sur moins d’un demi-hectare, au regard des pertes subies l’année dernière dûes aux attaques des chenilles lors des premiers mois de semis. Modeste Ives Hien a perdu environ la moitié de sa récolte de niébé. « Cette campagne est un mauvais souvenir. Une maladie a attaqué mon champ de niébé. Dès les premiers mois après avoir semé les grains, j’ai constaté de petites taches sous forme de rouille sur les feuilles qui commençaient à dessécher. Dès lors, j’ai compris que la récolte ne serait pas bonne », raconte le cultivateur. Lui qui avait l’habitude de payer la scolarité de ses enfants à travers la vente du niébé par warrantage, s’est vu obliger de brader son cheptel (moutons, chèvres, volaille) et une partie du contenu de son grenier (mil) pour payer la scolarité de deux de ses enfants. Ce samedi 23 juillet 2022, c’est sous une fine pluie qu’il sarcle son champ de niébé.

Cet exercice est le deuxième après les semis. Il consiste à débarrasser le champ de mauvaises herbes pour espérer une bonne maturation et un bon rendement de son niébé. A l’en croire, les jeunes plants ont déjà atteint 30 jours. En ce qui concerne la régularité des pluies, il dit ne pas craindre, car, sa zone est bien arrosée. Mais le cultivateur du village de Ggagba a opté de produire pour des besoins de consommation familiale. Car, la hantise des chenilles ravageuses continue de lui troubler l’esprit. « Je ne veux plus subir la déception de l’année dernière. Je n’ai plus les moyens pour m’acheter des pesticides pour pulvériser régulièrement mon champ. Le sac d’engrais que j’achetais à 12 000 F CFA est passé à 25 000 F CFA et même plus cher dans d’autres endroits de la province », justifie-t-il.

Des méthodes de conservation

Modeste Ives Hien confie que généralement au mois d’août, le développement des légumineuses coïncide avec la présence des insectes et des maladies si bien qu’il y a une baisse de rendement. En effet, la plante de niébé est la plupart du temps menacée par les ravageurs comme les scarabées qui se nourrissent principalement des fleurs et hypothèquent le rendement. Il en est de même pour la conservation où les grains de haricot stockés après les récoltes sont attaqués par des insectes. Pour éviter que de telles situations se produisent, la productrice Hyacinte Méda utilise une méthode de conservation qu’elle a héritée de sa mère. « Après la récolte, les grains de haricot sont séchés au soleil pendant une semaine. Ensuite, ils sont mis dans des canaris pour être chauffés à feu doux. Une fois refroidi, le haricot est stocké dans des greniers. Quand on a besoin de haricot, nous en prenons dans le grenier et on le referme soigneusement pour éviter la détérioration du haricot», explique-t-elle. Dame Hyacinte Méda indique que de nos jours, les gens ne prennent plus la peine de chauffer avant de conserver si bien que l’on constate souvent des grains perforés par des insectes. « Lorsque le niébé se présente dans cet état, non seulement il est vendu à un prix bas, mais il perd ses éléments nutritifs et n’a plus de goût », ajoute-t-elle. Bertrand Somé, un autre producteur de niébé qui exploite une superficie d’environ un demi-hectare, utilise une autre méthode de conservation. Elle consiste à conditionner les grains dans des sacs de 50 kg doublés de sachets imperméables.

Les variétés du niébé Bt du Burkina sont déjà consommées au Nigéria.

« On y ajoute un produit chimique qui empêche des insectes nuisibles d’y pénétrer. Après trois mois, il faut remplacer le produit parce qu’il n’est plus efficace. Lorsqu’on a besoin d’utiliser les grains pour la consommation ou pour les semis, on arrête l’utilisation du produit », dévoile-t-il. Qu’à cela ne tienne, les paysans subissent des pertes en termes de quantité et de qualité de la production à la conservation du niébé. Au regard du rôle important que le niébé occupe dans la sécurité alimentaire et les revenus qu’il procure aux producteurs, sa production mérite d’être améliorée pour résister aux ravageurs. A la station de recherche de Farako-Ba de l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) dans les Hauts-Bassins, cette légumineuse est en expérimentation par les chercheurs, afin de venir en aide aux producteurs avec des variétés améliorées qui vont résister aux agressions de la chenille. En d’autres termes, il s’agit des variétés génétiquement modifiées nommées niébé Bt, possédant un gène de résistance contre la chenille ravageuse. Cette dernière appelée « Maruca vitrata » dont l’adulte est un papillon sévit sur les jeunes plants du niébé au stade de production, au moment où les fleurs et les bourges apparaissent. Selon les techniciens de la station de recherche de Farako-Ba, lorsque la chenille va apparaître, les organes reproducteurs du niébé Bt vont l’éliminer parce que le gène est très nocif pour la chenille. En ce qui concerne le rendement, l’expérimentation sous serre augure de résultats probants au grand bonheur de milliers de producteurs burkinabè. – Paténéma Oumar OUEDRAOGO pathnema@gmail.com


Hervé Bama Ingénieur de recherche

« Les variétés du Burkina sont très appréciées au Nigéria »

Ingénieur de recherche, Hervé Bama travaille sur les légumineuses, notamment le niébé à la station de recherche de Farako-Ba de l’INERA dans les Hauts-Bassins. A travers cette interview, il donne quelques particularités de variétés locales du niébé génétiquement modifié et prisé au Nigéria.

Sidwaya (S) : A quel stade se trouve l’expérimentation sur le niébé Bt?

Bama Hervé (B.H.) : Actuellement, nous sommes au stade plein champ. Car, avec l’agence nationale de biosécurité, nous avons eu l’autorisation d’aller en milieu réel pour évaluer l’efficacité des différentes variétés génétiquement modifiées développées. Si l’efficacité que nous avons observée en station se révèle vraiment efficace en milieu réel, en ce moment nous pourrons passer au stade de vulgarisation. Si vous voulez, nous sommes au stade de pré-vulgarisation.

S: Il semble que certaines de vos variétés sont beaucoup utilisées au Nigéria. Pouvez-vous nous en parler davantage ?

B.H. : Nous avons commencé les expérimentations courant 2010-2011. Il se trouve qu’au niveau du Burkina Faso, les choses sont un peu lentes. Mais, cela nous est avantageux en ce sens que lorsque le processus est lent, vous arrivez à avoir de bons résultats. Nous travaillons avec d’autres pays sur cette technologie qui est de développer les variétés de niébé génétiquement modifié. Présentement, l’INERA a eu l’autorisation pour manipuler le gène. C’est cela qui nous a permis de transférer le gène « Bt » au sein de nos variétés locales. Etant donné que notre système de type francophone est lent, le Nigéria qui est de tradition anglo-saxonne a commencé à consommer les variétés génétiquement modifiées. Maintenant que nous travaillons en collaboration, les Nigérians ont nos variétés et nous avons aussi les leurs. Ils ont mis à la disposition de leurs consommateurs des variétés génétiquement modifiées. Si vous allez au Nigéria, vous trouverez que nos nombreuses variétés génétiquement modifiées sont très appréciées et consommées par les populations nigérianes.

S : Quel est le rendement du niébé Bt à l’hectare?

B.H. : Actuellement avec les variétés conventionnelles, les rendements obtenus en milieu paysan vont de 400 à 600 kg par hectare. Mais avec nos variétés génétiquement modifiées, nous tendons vers une tonne 400 à l’hectare. Cela avec un à deux traitements alors qu’avec les variétés conventionnelles il faut aller jusqu’à 4, 5, 6 traitements d’insecticide.

S : Faut-il donc tirer la conclusion que le niébé Bt peut contribuer à lutter contre l’insécurité alimentaire ?

B.H. : Oui ! Nous pouvons dire avec certitude qu’avec le niébé génétiquement modifié, nous allons contribuer à résoudre le problème d’insécurité alimentaire au Burkina Faso. Je le dis parce ce que la consommation du niébé n’exige pas grand-chose. On peut le cuisiner qu’il soit assaisonné ou non, le consommateur l’apprécie. Donc, qu’il y ait des céréales ou pas, consommer uniquement du niébé peut nous permettre de résoudre ce problème d’insécurité alimentaire. On pourra aussi utiliser cette culture ou cette spéculation comme une culture de rente. Si on arrive à produire suffisamment pour l’alimentation de nos populations, on peut exporter le surplus. Cela va créer de l’emploi pour de nombreux jeunes, producteurs et aussi des devises pour notre pays. C’est pourquoi nous demandons l’accompagnement de nos autorités afin que notre travail puisse être perçu par tous les Burkinabè. Nous pensons qu’avec leur aide le Burkina peut aller de l’avant à travers le travail des chercheurs.

Propos recueillis par POO

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