Sénégal : la démocratie mérite mieux

Les leaders de l’opposition sénégalaise réunis au sein de la coalition Yewwi Askan Wi sont très remontés contre la décision du Conseil constitutionnel. Et pour cause, l’institution a invalidé la liste nationale des titulaires de cette coalition pour les législatives du 31 juillet prochain. La raison avancée, une erreur dans la confection de la liste pour les élections législatives. Mais l’opposition voit en cette décision du Conseil constitutionnel une manœuvre politique pour l’écarter purement et simplement de la compétition électorale. C’est pourquoi le farouche opposant au Président Macky Sall, Ousmane Sonko, par ailleurs maire de Ziguinchor et d’autres figures de l’opposition sont descendus dans les rues de Dakar, hier mercredi 8 juin 2022 avec leurs militants pour dénoncer ce qu’ils appellent une « forfaiture ».

Par la voix de Sonko, la coalition Yewwi Askan Wi accuse le Conseil constitutionnel de « haute trahison » afin de préparer une éventuelle troisième candidature de Macky Sall en 2024. Si l’invalidation de la liste de Yewwi Askan Wi reste telle, il est clair que des figures majeures de l’échiquier politique sénégalais seront absentes du prochain parlement. L’on s’attendrait à voir une assemblée nationale qui serait acquise à la cause de la coalition majorité Benno Bokk Yakaar. Ce qui convainc l’opposition d’une initiative préméditée du pouvoir pour l’écarter des futurs débats démocratiques. La mise à l’écart des figures de l’opposition de la course pour les législatives a quelque chose d’irritant et de surprenant pour la démocratie sénégalaise, pourtant citée en exemple sur le continent africain. Même si l’on reconnait une certaine indépendance au Conseil constitutionnel dans ses prises de décisions, celle inhérente à l’invalidation de la liste de la coalition Yewwi Askan Wi suscite une once de soupçon tout de même. Ousmane Sonko et les autres ont de bonnes raisons de croire que l’institution roule pour la majorité.

Que vaudront ces législatives si véritablement les candidats de Yewwi Askan Wi sont écartés de la compétition ? Le Sénégal est-il en train de saborder son processus démocratique pour assouvir les ambitions personnelles d’un président qui voudrait s’éterniser au pouvoir ? Au fond, que cache ce branle-bas inquiétant à la veille des législatives ? Le pays de la Téranga aurait pu au moins nous épargner d’un tel spectacle au regard de son exemplarité en matière de démocratie. Si rien n’est fait pour trouver un compromis dans un bref délai, il est évident que ces élections législatives vont écorner sérieusement l’image de la démocratie sénégalaise. A tout le moins une crise post-électorale pourrait survenir. Autant prévenir le mal que le laisser s’installer pour venir après jouer les pompiers. La démocratie sénégalaise mérite mieux que ce qui est en train de se tramer en cette veille électorale.

L’invalidation de la liste de la coalition de l’opposition n’est rien d’autre qu’une exclusion orchestrée de toutes pièces des challengers sérieux et encombrants pour la majorité. Avec quelle plus-value pour la démocratie sénégalaise ? Absolument rien si ce n’est un recul patent. La démocratie doit sa vitalité en ce qu’elle favorise le commerce du débat contradictoire. Elle ne saurait être le règne de l’unanimisme ou de la pensée unique. Ses règles ne sauraient non plus être arrimées à des considérations partisanes au détriment de l’intérêt général. L’on ose espérer que le Président Macky Sall, qui est d’ailleurs le président en exercice de l’Union africaine, saura jouer le bon arbitre pour éviter une crise post-électorale à son pays. Comme il vient de montrer récemment son attachement à la paix en allant jouer le médiateur à Sotchi auprès de Vladimir Poutine qui a envahi l’Ukraine, il saura certainement siffler la fin de la cacophonie en cette veille électorale dans son pays. Pour l’honneur de la démocratie sénégalaise, le jeu en vaut la chandelle.

Karim BADOLO

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