Tribune : le 3 janvier 1966 n’était pas un coup d’Etat

Le professeur Sawadogo Amadé a présenté une communication à propos des évènements du 3 janvier 1966 et du phénomène récurrent des coups d’Etat au Burkina Faso, à la demande des organisations syndicales. A l’écouter, nous avions eu le sentiment de la rhétorique d’un vieux étudiant des années 70, tant le message était simple, accusant l’armée de ceci, de cela dans l’intrusion du jeu politique.

Nous estimons que pour le cas du Burkina, sur les 62 années d’indépendance, l’accès au pouvoir par les coups d’Etat semble être la règle, et la « démocratie » l’exception. Ce faisant, au vu de la forte fréquence des coups d’Etat, nous pensions qu’il était bien et mieux pour le Professeur, de nous établir un petit modèle, explicatif, aussi et surtout prédicatif sur l’avenir de nos institutions politiques. C’est leur travail de chercheur qui est interpellé. Ce ne sont ni les dénonciations ni les jérémiades qui feront arrêter les coups de force politiques. Nous nous proposons un tel exercice qui permet de cerner l’essentiel du contour des coups d’Etat au Burkina Faso.

C’est ainsi qu’autour du pouvoir d’Etat, gravitent trois principaux acteurs que sont : -les partis politiques, -les associations de la société civile, -l’armée. 1. Les partis politiques légaux, reconnus ont la légitimité de la conquête du pouvoir l’Etat. Ils s’organisent et battent campagne au moment des élections, et en fonction de la confiance accordée par les électeurs, accèdent aux rênes du pouvoir. Seulement, dans le cas du Burkina, il faut compter aussi avec les partis politiques non légaux ou clandestins qui influencent le jeu politique par leur propagande. 2. La deuxième composante, non des moindres dans le jeu politique, est la société civile qui regroupe essentiellement les organisations syndicales qui, bien qu’officiellement défendent les intérêts de leurs membres, ne sont pas moins intéressés par la chose politique. Il faut y ajouter des multiples associations des « droits humains » ou des thématiques de tout genre qui influencent aussi le jeu politique. 3. Enfin, la troisième composante majeure se trouve être l’armée ; elle est supposée être neutre d’un point de vue politique mais se pose en arbitre non neutre du jeu politique. Dans la réalité, ces trois principales composantes de la société autour du pouvoir politique, sont interconnectées, et ont des missions précises en temps voulu et souhaité. Comment ces acteurs majeurs interagissent pour créer l’insatiabilité politique, les coups d’Etat et s’emparer du pouvoir d’Etat ?

C’est ainsi que : 4.Chaque parti politique légal ou clandestin tisse des liens avec des syndicats de son obédience. Ils nouent également des relations avec leurs sympathisants au sein de l’armée ; donc, la prétendue neutralité de l’armée n’est qu’apparente. 5.Quand un parti qui n’est pas au pouvoir estime que les conditions sont réunies pour s’emparer du pouvoir, il activait ses éléments syndicaux pour qu’ils entrent en grève parfois pour un prétexte qui ne vaut pas la peine; ensuite, le même parti politique convainc ses éléments dans l’armée que la « situation est pourrie » et qu’il faut prendre ses responsabilisés en passant à l’action, sinon ils risquent d’être devancés par l’autre camp. Donc, les miliaires obéissent. Une fois le coup d’Etat réussi, le parti commanditaire participe à la formation du nouveau du gouvernement pour « aider les jeunes » ou les militaires si vous voulez. Quelle est la pertinence de ce modèle ? Ce scénario a fonctionné parfaitement de 1966 à nos jours. 6.En début janvier 1966, les travailleurs de la Haute Volta de l’époque entrent en grève générale. Pourquoi ? Parce que le président Maurice Yaméogo a décidé unilatéralement d’une coupure des salaires et allocations familiales de 20%. Pourquoi cette décision ? Parce que la France qui subventionnait l’enseignement primaire catholique a décidé d’arrêter ses financements en faveur de la Haute- Volta.

Le budget de l’Etat n’étant pas élastique, Maurice Yaméogo décida alors d’une réduction des salaires afin d’intégrer les nouveaux travailleurs jadis payés par la France à travers l’Eglise catholique. Pourquoi cette décision française de couper les subventions éducatives à la Haute- Volta ? Parce que Maurice a refusé l’implantation des bases militaires françaises à Bobo-Dioulasso. Mais pourquoi cette décision maintenant en 1966 pour des faits qui datent du début des indépendances ? Parce que d’une part, les négociations ont échoué et d’autre part, Maurice avait un avocat auprès de l’Elysée en la personne du président Houphouët- Boigny qui défendait sa tête au motif qu’il était pour lui le seul rempart anti- communiste dans la sous-région. En effet, la Côte d’Ivoire est limitée à l’Est par le Ghana de Kwamé Krhuma pro communiste, au Nord par le Mali de Modibo Keita également pro russe, à l’Ouest par la Guinée où étaient installées les bases russes. Seule la Haute- Volta semblait innocente mais des cellules dormantes du communiste y étaient déjà. En effet, le Mouvement de libération nationale (MLN) du Pr Ki- Zerbo, parti clandestin de l’époque, était pro chinois de Mao et le Parti africain pour l’indépendance/ Ligue patriotique pour le développement (PAI/LIPAD) naissant clandestin également était d’orientation socialo- communiste et pro russe.

Tous étaient tapis dans l’ombre et contrôlaient le mouvement syndical. C’est dans cette ambiance que Maurice Yaméogo a bénéficié des Etats- Unis d’un fonds de lutte contre le communisme. Sur la grève, le président Maurice après avoir eu l’assurance de son ami le président ivoirien pour combler le gap budgétaire, a rencontré les responsables syndicaux. Maurice leur a informé du retrait de son projet de coupure salariale. Alors, les syndicats ont accepté le compromis et décidé de cesser le mouvement de grève et reprendre le travail. Des témoins vivants de cette scène existent toujours et peuvent témoigner. En revanche, ce sont les politiciens qui ont lancé le mot d’ordre, « l’armée au pouvoir, Maurice démission ». Nous avions eu personnellement les confidences de Maurice sur ses derniers instants au pouvoir, en tête- à- tête avec le chef des armées, Lamizana. Il n’était ni préparé, ni prêt, ni ambitieux de pouvoir.

C’est sous les conseils de Maurice lui-même que la passation de pouvoir s’est faite. La preuve durant ses 14 ans au pouvoir, Lamizana était indéniablement intègre, mais n’avait aucun projet pour le pays ; il croyait plus à la fatalité de la pauvreté de la Haute- Volta comme l’attestent ses discours. En termes simples pour le cas du Burkina Faso, il ne s’agissait pas d’un coup d’Etat, ce sont les politiciens civils qui ont convié l’armée à « goutter au fruit défendu », le pouvoir politique. Joseph Ouédraogo avec tout l’humour dont il avait le secret, disait qu’il a confié « sa chose » à Lamizana pour qu’il conserve en attendant qu’il revienne retirer, et Lamizana veut garder la chose définitivement. Les syndicats ont été utilisés, et même bernés, sinon comment comprendre qu’ils aient refusé la renonciation des coupures de salaires proposées par Maurice Yaméogo qui aurait maintenu leur niveau de vie, et accepté le lendemain de la chute de Maurice, la coupure des salaires, l’imposition de nouveaux impôts par le nouveau gouvernement de Lamizana, qui ont détérioré leurs conditions de vie ?

Dans tous les cas, le scénario reste identique : les civils composent la musique, les militaires jouent et ils arrangent ensemble. C’est ainsi que durant les années 70, tous les renversements de situation sont précédés de grèves pour la plupart des syndicats des enseignants sous l’influence de MLN de Ki-Zerbo. Seulement dans les années 80, quand bien même le scénario restait le même, les acteurs ont changé : Sur le plan des acteurs politiques, on assista à l’entrée en scène des partis politiques clandestins de gauche dont le PAI/LIPAD était le chef de file, entouré de toute une flopée de partis groupuscules socialo- communistes, très à l’aise dans les débats politiques étudiants, mais sans base sociale réelle ; Au plan de la société civile, les syndicats de fonctionnaires traditionnellement actifs comme ceux des enseignants font place à des nouvelles organisations du secteur informel avec Touré Soumane dirigeant d’une centrale syndicale, qui était le leader incontesté. Il embrassait le secteur informel, les jeunes des quartiers, les scolaires et ne cachait pas sa volonté de « faire sa révolution ». Au sein de l’armée également dans les années 80, les jeunes capitaines font leur entrée évinçant les anciens colonels, le tout instrumentalisé par l’idéologie de gauche de leur parrain des partis politiques civils.

C’est dans cette ambiance qu’est intervenue la révolution d’août 83, précédée de grèves et d’agitation troublante, afin de créer les conditions de la prise de pourvoir par les jeunes militaires. Seulement, le butin fut inégalement réparti entre les jeunes militaires et les partis politiques civils en charge de la mobilisation sociale. Le scénario bien rodé fut repris : troubles sociaux au sein des CDR provoqués intelligemment par les partis lésés, coup d’Etat en octobre 1987, recomposition du jeu politique avec les vainqueurs, et la vie continue. Après 1987, s’installe une longue période « démocratique » et de stabilité dirigée par les révolutionnaires reconvertis en démocrates. Blaise Compaoré en stratège politique, pour régner tranquillement entreprit de casser la triade partis-syndicats-miliaires. En militaire avisé, il contrôlait l’armée. Au plan civil, il crée un méga parti le CDP regroupant plusieurs partis politiques. Tous ceux qui ont refusé la nouvelle alliance avec le CDP furent démantelés de l’intérieur.

En effet, l’ADF/ RDA, la CNPP/PSD du Pr Ki- Zerbo, l’UNIR/MS, le PAI furent affaiblis par implosion interne. Enfin, les syndicats furent mis en coupe réglée. Sous le règne de Blaise Compaoré, le droit de grève n’était pas suspendu, mais curieusement les syndicats étaient aphones. La société civile gagna avec l’éclosion de milliers d’associations bénéficiant des prébendes du parti au pouvoir. Il n’est pas exagéré de dire qu’il y avait deux opposants : Norbert Zongo et Me Bénéwendé Stanislas Sankara de l’UNIR/PS par ailleurs affaibli. L’insurrection populaire de 2014 prit sa source dans l’usure du pouvoir, les fortes inégalités sociales, l’appauvrissement des quartiers périphériques par l’accaparement des terres par les promoteurs immobiliers du régime. La coalition société civile et une partie des déçus du méga parti ont composé la musique. Les militaires n’ont pas joué cette fois- ci, mais en revanche, ont abandonné Blaise, en ne faisant rien pour le défendre, ni le sauver ; au contraire certains militaires et gendarmes distribuaient l’eau aux insurgés. Toutefois, sans organisation d’avant-garde, le pouvoir échoua encore entre les mains du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’aile milice militaire de l’ancien régime, pour organiser la transition. Face à l’incapacité du président Roch à juguler la crise sécuritaire, la musique fut de nouveau réchauffée : les partis d’opposition et leurs alliés de la société civile réclamaient sans gêne l’intrusion des militaires au pouvoir, ce qui fut fait par le MPSR1 avec Damiba.

Par moments, Damiba donnait l’impression de vouloir restaurer l’ordre ancien au détriment d’une stratégie volontariste de lutte contre le terrorisme. Survint, 8 mois plus tard, le 30 septembre 2022, le MPSR2 avec Ibrahim Traoré qui, visiblement, semble avoir composé seul sa musique, sans les partis politiques civils, ni les syndicats. Seulement, il a un soutien populaire de la jeunesse et des moins jeunes. Pourra-t-il toujours naviguer sans l’influence des maîtres du jeu que sont les partis politiques, experts dans l’art de la destitution des organisations ? Aujourd’hui, les partis politiques attendent la fin de la Transition dans les délais fixés par la communauté internationale pour aller aux élections. Le goût immodéré des Burkinabè pour la politique tient au fait que la politique est la seule activité où le retour sur investissement est le plus rapide et le plus élevé, instantané, l’enrichissement sans cause accepté, en régime d’impunité tolérée. La fin de la Transition signifie le renouvellement des alliances entre partis politiques-syndicats-militaires, organisés en sous-groupes antagonistes autour du pouvoir d’Etat, et prêts à en découdre, dans leurs propres intérêts et non ceux des masses. Le jeu démocratique contenu dans la Constitution du Burkina postule le multipartisme intégral, raison pour laquelle plus de 250 partis politiques sont enregistrés au BF. Dans la réalité, dans l’histoire du développement économique des nations, aucun pays avec moins d’un dollar par jour et par habitant, n’a réussi à faire des progrès économiques significatifs avec cette démocratie de type libéral. Nous avions copié collé la Constitution de la France de 1958 qui est le produit de plus de 1000 ans d’histoire des institutions, de politiques, de rapports sociaux et économiques propre à la France. Elle est très excellente pour les Français, mais ni les Anglais, ni les Allemands, Italiens ou Suisses, en moins les Africains ne s’y reconnaissent. Aujourd’hui nous avons les ressources intellectuelles pour écrire une Constitution qui nous ressemble, que tout le monde comprend et qui bannira les coups d’Etat. Mais pourquoi nos experts en droit constitutionnel ne le font-ils pas ? Ecrire une constitution qui s’éloigne de celle des Occidentaux est une façon de se priver des prébendes, des consultations, des financements des ONG, des institutions occidentales de la démocratie, qui sont implantées en Afrique pour vendre la référence, le modèle occidental de la démocratie qui se veut universelle. Or tant que nous refuserons de chercher un modèle démocratique fondé sur nos propres valeurs africaines, bonjour les dégâts. Sans cet effort, l’instabilité risque de se poursuivre, car la classe politique burkinabè dans son ensemble est vieille des années 80, sans un leader charismatique ni projet captivant, laissant libre cours aux aventures putschistes. Il est temps que pendant que les militaires organisent le front sécuritaire, les civils de toutes les conditions réfléchissent sur une Constitution mieux adaptée à nos réalités. Les Maliens l’ont fait, pourquoi pas les Burkinabè ?

A la fin de la Transition, trois scénarii sont envisageables : – Le pays renoue avec la démocratie traditionnelle des partis politiques ; les anciens partis responsables de nos maux vont gagner sur la base d’un corps électoral extrêmement réduit car l’électorat potentiel a perdu confiance aux anciens politiciens. Ils vont tenter de remettre en cause les acquis de l’insurrection de 2014 et ceux du MPSR2, ce qui provoquerait des grincements de dents ; -Le corps social pourrait alors renouer avec la triade de l’instabilité, avec la connexion partis politiques-syndicats-armée. Il y a des parties légaux ou clandestins qui n’ont jamais gouverné et qui n’ont pas dit non plus leurs derniers mots ; ils ont de l’influence au sein des organisations syndicales, de la jeunesse et peut être même dans l’armée ; – Si les jeunes capitaines réussissent à juguler la crise sécurité, la population pourrait plébisciter le capitaine Traoré Ibrahim pour au moins 10 à 15 ans pour poursuivre les réformes économiques, politiques, foncières, la lutte contre la corruption et le laxisme de l’administration publique.

Dans cette perspective, deux camps peuvent s’opposer : d’une part, les anciens politiciens qui n’ont rien prouvé sinon que le délitement de la société mais qui veulent toujours contrôler le pouvoir d’Etat, et d’autre part le reste de la population et surtout la jeunesse qui ne croit plus au politique. Dans ce cas également, la probabilité de crise et d’affrontement social est non nulle. Nos évêques, imans, pasteurs, chefs coutumiers auront encore du travail dans le dialogue social. Heureusement que ces forces de stabilisation sociale existent encore, sinon c’est le pays qui n’existerait plus. – Notre propos est simple : le Burkina Faso possède une riche histoire fondée sur des institutions politiques traditionnelles stables et solides dans le temps. Nos intellectuels peuvent et doivent s’en inspirer pour nous doter d’institutions modernes qui nous ressemblent, que tout le monde maitrise. A-t-on vraiment besoin de deux cents partis politiques au nom de la démocratie occidentale pour satisfaire les besoins basiques de la population comme l’eau potable, les toilettes, les pistes rurales, les micro- crédits, l’assainissement, la scolarisation des enfants, la santé ? Ce qu’il y a de plus démocratique au Burkina Faso est la pauvreté qui existe dans tous les villages, toutes les régions, toutes les villes et tous les quartiers. Il serait temps et plus judicieux que les politiciens trouvent un cadre et du temps pour doter les populations d’un minimum de dignité humaine avant les joutes oratoires politiques.

Clément Roger YAMEOGO

YAMEOGO Clément Roger cerya.org

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