Un dialogue sincère ?

Le Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) au Tchad, entamé il y a plus d’un mois, s’est achevé le samedi 1er octobre 2022 à N’Djamena, par l’adoption par consensus de plusieurs mesures. La centaine de délégués ont décidé de la prolongation de deux ans de la période de Transition, censée se terminer le 20 octobre prochain et de l’augmentation des membres du Conseil national de Transition (CNT) pour inclure 45 représentants des mouvements rebelles présents.

Ils ont aussi accordé un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois au prochain président élu, qui ne devra modifier sous aucun prétexte la Constitution pour prétendre à un troisième mandat. Le président du Conseil militaire de Transition (CMT), le jeune général, Mahamat Idriss Déby Itno, à la tête du pays depuis la mort de son père le 20 avril 2021, a également reçu le feu vert des participants pour être candidat à la prochaine présidentielle. Quels enseignements peut-on tirer de ce dialogue national inclusif, dont l’objectif est de ramener définitivement la paix au Tchad, pays où les armes crépitent depuis son accession à l’indépendance ?

Le premier constat est que ce dialogue, qui devait ratisser large, n’a pas été à la hauteur des attentes. Un certain nombre d’organisations de la société civile et de partis politiques de l’opposition ont boycotté le DNIS. De même que les deux groupes rebelles les plus importants du pays, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), à l’origine de l’offensive qui a coûté la vie à Idriss Déby et le Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR).

Ces deux entités n’avaient pas signé l’accord du pré-dialogue de Doha au Qatar. Tous accusent le général Déby de manœuvrer pour se maintenir au pouvoir, en dialoguant avec des personnalités proches de lui ou acquises à sa cause. Autrement dit, le DNIS est un moyen pour légitimer les ambitions du nouveau maitre du pays et des autres généraux qui l’accompagnent. Le chef du FACT, Mahamat Mahadi Ali, a réagi aux propositions du DNIS qui, à son avis, ne vont pas dans le sens de la volonté du peuple tchadien. Toute chose qui, à l’entendre, ne les amènera pas à renoncer à la lutte armée.

Dans ces conditions, on se demande comment ce dialogue, moins inclusif qu’il n’en donne l’air, peut contribuer à apaiser véritablement les cœurs et à jeter les bases d’un nouveau contrat social en terre tchadienne. Il semble plutôt confirmer les intentions prêtées au général Déby, à voir les conclusions des travaux. Le second enseignement à retenir, et il nourrit objectivement les inquiétudes de ses détracteurs, est que le général Déby n’a pas tenu sa parole d’organiser le dialogue, pour tourner la page de la Transition et mettre en place un régime démocratique et une alternance.

S’il affiche une volonté manifeste de changer les réalités dans son pays, le président du CMT laisse libre cours à toutes les spéculations, en acceptant que sa candidature au futur scrutin présidentiel soit possible. Cette démarche est de nature à biaiser le processus de Transition et conforte dans leurs positions, tous ceux qui le soupçonnent de vouloir monopoliser le pays. A la lumière des conclusions du DNIS, on peut se risquer à dire que le général Déby œuvre visiblement à conserver les clés du palais présidentiel. Ce haut gradé aurait voulu s’y prendre autrement, qu’il allait jouer à l’arbitre et s’éclipser par la suite, au lieu d’adopter une posture partisane et dominante.

Le général Déby va se mettre à dos la communauté internationale qui ne veut pas qu’un des 15 généraux du CMT soit candidat à la prochaine présidentielle. Elle avait également marqué son opposition à une prolongation de la durée de la Transition. L’ Union africaine (UA) et l’ONU, organisations habituellement attachées à la neutralité des gouvernements de Transition, ne transigent pas sur ce principe et ne cessent de le réaffirmer. A la vérité, les conclusions du DNIS, telles que formulées, vont davantage diviser les Tchadiens, qu’elles ne les uniront comme espéré. Alors, le général Déby porte la lourde responsabilité de ce qui va advenir dans son pays avec un processus manifestement taillé sur mesure. A moins qu’il ne rectifie le tir…

Kader Patrick KARANTAO

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