Un pas de géant

C’est un pas de géant dans la quête de vérité dans le dossier des victimes du 15 octobre 1987. Le tribunal militaire a mis en accusation, hier mardi 13 avril 2021, l’ex-président Blaise Compaoré, pour attentat à la sûreté de l’État, complicité d’assassinat et recel de cadavres dans le dossier de l’assassinat de l’ancien chef de l’État, Thomas Sankara. Son homme de main, l’ex-chef d’état-major particulier à la présidence du Faso, le général Gilbert Diendéré, est aussi poursuivi pour complicité d’assassinat, recel de cadavres, attentat à la sûreté de l’État. Douze autres personnes sont également mises en accusation dont l’ancien ministre des Sports, Mori Aldjouma Jean-Pierre Palm et Hyacinthe Kafando, cité comme l’un des cerveaux du coup d’Etat de 1987.

Le traitement de ce dossier, qui a évolué à pas de tortue sous les 27 ans de pouvoir du président Blaise Compaoré, a connu un rebondissement après l’insurrection populaire salvatrice d’octobre 2014. Le feuilleton judiciaire a été réchauffé sous la transition, ce qui a permis à la justice de lancer un mandat d’arrêt contre l’ancien président Compaoré, le 7 mars 2016. Depuis cette date, les actions s’enchainent à l’effet de connaître le fond du dossier. Dans ce sens, en février de la même année, une première reconstitution de l’assassinat de Thomas Sankara s’est déroulée sur les lieux du crime au siège du Conseil national de la Révolution (CNR). Autre avancée notable : en 2017, lors d’une visite au Burkina, le président français, Emmanuel Macron, avait promis que tous les documents français concernant l’assassinat de Sankara seraient « déclassifiés ». Selon les avocats de la famille Sankara, « un important lot de ces documents a été transmis à la justice burkinabè ».

Ces récentes mises en accusations sonnent comme une volonté pour la justice burkinabè, elle qui n’a pas bonne presse sur les dossiers emblématiques qui dorment dans les tiroirs, de sauver son honneur. Ira-t-elle au bout de sa détermination ou aura-t-elle les coudées franches pour terminer ce qu’elle a commencé ? Ce sont, entre autres, interrogations qui taraudent les esprits de bon nombre de Burkinabè, épris de justice. Le président Compaoré, en exil en Côte d’Ivoire, voyant l’étau se resserrer sur sa personne, a fait des démarches et a obtenu la nationalité ivoirienne. Cette double nationalité pourrait être un frein à son extradition dans son pays d’origine. L’on se souvient de l’affaire des écoutes téléphoniques dans le dossier du putsch manqué de septembre 2015 entre l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro et le général Djibrill Bassolé. Une « muraille de Chine » s’était dressée contre la volonté de la justice burkinabè d’entendre M. Soro dans cette affaire. Les autorités ivoiriennes et burkinabè ont préféré la voie diplomatique au détriment de celle judiciaire. Ceux qui n’ont pas intérêt à la manifestation de la vérité dans l’affaire Thomas Sankara pourraient exploiter cette piste.

L’autre inquiétude réside dans la dynamique actuelle amorcée au pays des Hommes intègres. Il s’agit de la question de la réconciliation nationale. Le ministre en charge de ce dossier, Zéphirin Diabré multiplie, à cet effet, des concertations avec les différentes couches socio-politiques dans l’optique de mener à bien la mission à lui confiée par le chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré. La crainte est d’autant plus grande, que la volonté du détenteur du dossier de vouloir ratisser large. A cette allure, certains redoutent que cette réconciliation nationale n’offre une occasion à des bourreaux d’enfiler des manteaux de victimes pour exiger de l’Etat des dédommagements. Si une telle situation survenait, ce serait dommage pour un pays qui a déjà amorcé la dynamique de la recherche de la vérité à travers le jugement du dossier du putsch manqué. La meilleure façon de jeter les bases de la réconciliation passe par la manifestation de la vérité et de la justice. De ce fait, les exécutants et les commanditaires dans les dossiers Thomas Sankara, Norbert Zongo, Dabo Boukary et bien d’autres doivent être identifiés et jugés sans haine, dans le but de faire la lumière sur ces pages sombres du Burkina qui ont endeuillé plusieurs familles. Dans ce sens, la justice burkinabè mérite d’être encouragée dans ses efforts de quête de la vérité. Après cette étape de mise en accusation, il lui reste à aller sereinement au jugement du dossier Sankara.

Abdoulaye BALBONE

Laisser un commentaire